Usagers ou concurrents des trois lauréats n’ont pas fait preuve de pitié, lors de la première visite publique proposée jeudi 17 octobre, en examinant les propositions de mobilier urbain formulées dans le cadre de la quatrième édition de la biennale Forme publique. Le vainqueur, désigné dans un an, devrait décrocher un marché à la forte portée symbolique, en déployant ses bancs et tables dans tous les recoins du plus grand quartier d’affaires d’Europe continentale. Deux des trois concurrents en lice ont choisi d’innover plus que le troisième. Le risque paiera-t-il ou sera-t-il rejeté car trop peu abouti ?

« C’est un peu droit, là, c’est à 89 degrés, à 95 degrés, ça aurait été plus confortable. » Sans appel, la remarque portant sur la verticalité excessive de l’assise est formulée par un salarié en plein déjeuner à la table métallique rouge vif proposée par le designer industriel Jean Couvreur et Buton industries. Plusieurs interrogent la température des bancs, alors que la visite se fait par un temps plutôt frais. « Ça fait partie du retour d’expérience, la question du confort », commente la directrice artistique de la biennale, Valérie Thomas.

Ce midi d’octobre, la foule délaisse presque ostensiblement le tout-métal de Couvreur et Buton, et fréquente raisonnablement les drôles de formes proposées par Charrié et Rondino (photo).

« C’est beau, ils sont magnifiques », commente Caroline, sexagénaire et habitante de Puteaux depuis une trentaine d’années, devant une autre création du duo. « C’est très beau, mais j’ai l’impression d’être dans le métro… je ne sors pas pour être dans le métro ! », répond à l’admiration générale des présents de cette visite Bénédicte, salariée quadragénaire travaillant depuis deux ans et demi au quartier d’affaires. De l’avis général ce jour-là, le mobilier de Couvreur et Buton est de loin le plus esthétique, mais aussi celui qui a posé le plus de questions concernant son confort.

« La question posée dans Forme publique cette année […] était de pouvoir produire des prototypes plus affinés, plus solides, déjà quelque chose de plus pérenne, et de créer le cadre juridique pour lequel ça pourra être pérennisé », exposait quelques minutes plus tôt Valérie Thomas, directrice artistique de Forme publique, et fondatrice de l’agence Nez haut qui est spécialisée dans la « scénographie urbaine ».

« Ce cadre a été créé avec des équipes d’avocats pour faire entrer le retour d’expérience dans la décision finale du jury et du comité d’experts », poursuit-elle face aux quelques salariés et habitants venus à cette première visite de cette édition un peu spéciale de la biennale, jusque-là réservée à des créations purement expérimentales. Le thème porte logiquement sur la notion d’élément « générique », avec un postulat de départ qui, lui, reste le même : « Un espace public se crée par les usages. »

À la Défense, quatre ont été identifiés et soumis aux duos en lice : la pause, l’attente, le déjeuner, ainsi que le besoin de connexion ou de déconnexion. Après trois éditions d’essais en tout genre, « il a fallu tout empaqueter, tout mettre en usine », indique Valérie Thomas. « Comment faire pour que ce soit industrialisable, rentable aussi, car l’industriel ne va pas venir sinon, on ne peut pas le forcer, tout en conservant ce qui avait été fait lors des précédentes éditions ? », interroge la directrice artistique.

« C’est beau, ils sont magnifiques », commente Caroline, sexagénaire et habitante de Puteaux depuis une trentaine d’années, devant une autre création du duo Jean Couvreur et Buton industries (photo).

Sur l’esplanade, le dessin des bancs, tables et abris en lattes de bois de Pierre Charrié construits par Rondino ne séduit pas tout le monde. « J’aurais tendance à trouver ça pas forcément très joli, mais c’est affaire de goût », note Nathalie, quinquagénaire qui traverse la dalle tous les jours à vélo pour aller travailler à Nanterre. « Je travaille juste là, quand on sort boire nos cafés, on s’assoit là », témoigne cependant de son utilisation Bénédicte.

Ce midi d’octobre, la foule délaisse presque ostensiblement le tout-métal de Couvreur et Buton, et fréquente raisonnablement les drôles de formes proposées par Charrié et Rondino. Mais c’est un troisième duo qui l’emporte haut la main à la mesure du nombre de gens assis, le seul composé d’un designer internationalement reconnu.

« Son générique à lui, c’est la proposition d’un espace », précise la directrice artistique du choix de Robert Stadler et de TF urban en désignant la forme tubulaire, ronde et très jaunes de ses bancs et tables eux-mêmes relativement conventionnels. « Celui-là est très ordinaire, et la couleur… », commente cependant en fin de visite Jean-Jacques, Putéolien de 65 ans et très bon connaisseur du quartier d’affaires.

« Le jaune est un peu fort, il s’étale un peu, il y a une question d’élegance vis-à-vis des autres architectes », abonde un autre visiteur de Forme publique. Dans le maigre public, l’un des présents a en effet l’oeil acéré. Lui-même designer et candidat à cette quatrième édition, il est venu examiner les projets qui l’ont emporté. Mais n’est pas ressorti de la visite très convaincu. « Aucun endroit du mobilier n’est utilisable, on peut parler du beau, mais si on parle d’espace public… », commente du choix tout-métal d’un des duos cet observateur à qui La Gazette a garanti l’anonymat.

A la Défense, quatre usages ont été identifiés et soumis aux duos en lice : la pause, l’attente, le déjeuner, ainsi que le besoin de connexion ou de déconnexion.

« L’adaptation, c’est une version molle de la non-décision », poursuit-il à l’endroit du mobilier de lattes de bois de Charrié et Rondino, dont les formes épousent les reliefs du quartier d’affaires. « Stadler, c’est la plus classique, mais finalement, ce n’est pas un hasard, analyse-t-il du travail du dernier duo. Sur le mobilier, on n’a pas forcément l’obligation de réinventer les choses : ce ne sont pas des stéréotypes, mais des archétypes. »

Lui s’interroge surtout sur la difficulté qu’auront habitants et salariés à déterminer des préférences tranchées. « On voit que pour chacun des mobiliers, il y a des choses à revoir, pour moi, ce n’est pas assez abouti pour choisir », note cet ex-concurrent. Il estimerait nécessaire de « reprendre la copie et refaire un tour de table », mais lâche : « En l’état, si ça ne bouge pas, il n’y en a qu’un seul qui tient la route. » Le mobilier de Robert Stadler doit cependant peut-être sa fréquentation initiale à des emplacements plus avantageux, fait remarquer le Putéolien Jean-Jacques en connaisseur de la Défense.

« C’est peut-être le plus reconnaissable tout de suite, reconnaît Valérie Thomas. Il y a une adoption immédiate d’un mobilier plus classique. » S’il n’est pas prévu de mener des comptages pour chacun des concurrents, la fréquentation sera bien un facteur du processus de sélection. « La forme métal est plus exigeante, il faut laisser du temps au temps », nuance ainsi la directrice artistique de conclusions qui en seraient tirées trop rapidement.