Après trois éditions dédiées à expérimenter, à enthousiasmer, à surprendre ou à interroger, la quatrième édition de la biennale de mobilier urbain de la Défense, Forme publique, se recentre sur un objectif à la fois plus concret et plus prestigieux pour les candidats. Leurs bancs, tables et modules sont en effet destinés, d’ici deux ans, à être installés dans l’ensemble du quartier d’affaires, du parvis aux confins de la dalle piétonne. Ils ont été présentés ce jeudi 3 octobre à la presse et sont désormais implantés pour un an sur l’esplanade à titre expérimental.

Trois duos regroupant chacun un designer et un industriel ont été sélectionnés par Valérie Thomas et Jean-Christophe Choblet, directeurs artistiques de la biennale et fondateurs de l’agence Nez haut, dont le bagage comporte le mobilier des Paris plage. Parmi les critères de cette édition figurent l’éternel point de départ constitué par les multiples besoins des usagers de la Défense, qu’ils soient salariés, étudiants, habitants ou de passage… mais aussi le coût, la déclinabilité et la durabilité. Dans un an, une seule équipe devrait être retenue pour un déploiement massif dans le quartier.

« C’est cool quand il pleut ! », commente un cadre observant la petite troupe réunie pour la présentation à la presse, devant un banc rouge métallique de plusieurs mètres de long, couvert d’un auvent. « Ca dépend si le vent vient de côté », met aussitôt en doute sa voisine, pas convaincue par l’efficacité de la protection anti-pluie. Un peu plus tôt, une autre des propositions du duo composé par le designer Jean Couvreur et du spécialiste du métal Buton industries soulevait l’interrogation de Marie-Célie Guillaume, directrice générale de Paris La Défense.

« Le pin est la forme générique de notre proposition, décrit le designer Pierre Charrier. Il se répète et forme un ruban qui va épouser les mobiliers, les tournants, les reliefs du territoire. »

« Comment ça se passe l’été, avec le soleil ? », demande, assise à une grande table rouge, la responsable de l’établissement public d’aménagement et de gestion du quartier d’affaires, pour qui cette édition de la biennale comprend un enjeu particulier pour le quartier et ses usagers. « La forme est composée de lattes pour que ce ne soit pas entièrement brûlant », répond aussitôt Jean Couvreur, seul designer à avoir travaillé un mobilier totalement métallique.

Lui a choisi des formes d’inspiration « très orthogonale, très industrielle », à partir d’une grille pliée telle une feuille de papier, expose-t-il. « Les architectes radicaux en ont fait une critique, et se sont ensuite rendus compte que malgré tout, il y avait une forme de poésie à cette forme industrielle », poursuit-il en montrant, au loin, la tour Eiffel. « On veut passer un coup de fil dehors, on se rhabille avant un rendez-vous, on veut se déconnecter quelques minutes », complète-t-il des usages « qui n’existent que dans un quartier d’affaires » de ses « assis-debout », sorte de faux bancs abrités.

« Forme publique est né d’un espace […] avec des usagers qui avaient un comportement fuyant, qui ne se considéraient pas dans un espace public », rappelle la directrice artistique, Valérie Thomas, de la naissance de cette biennale, dont certains mobiliers sont d’ailleurs restés sur l’esplanade après chaque édition. Cette fois-ci, les designers ont cependant dû penser en priorité à la pérennité de leurs oeuvres, à leur aspect « générique », thème de cette 4e édition, comme à leur coût, qui ne peut cette fois-ci être trop élevé.

Le designer Jean Couvreur (au micro, Ndlr) a choisi des formes d’inspiration « très orthogonale, très industrielle », à partir d’une grille pliée telle une feuille de papier, expose-t-il.

« Les objectifs étaient que des designers isolés trouvent des industriels, et que les industriels importants forment des attelages hors de leurs designers habituels », détaille-t-elle de la quarantaine de duos ayant initialement fait acte de candidature. « Le retour d’expérience commence maintenant, au bout d’un an, on refait un cahier des charges, […] ils nous remettent un dossier sur des choses très précises, annonce Valérie Thomas. Une équipe sera retenue pour déployer la ligne sur tout le territoire, on est sur de la petite à moyenne série. »

Le designer autrichien Robert Stadler a privilégié de son côté un mélange de métal jaune et de bois clair, dont la forme de base est ronde. « Le bois est un vrai choix pour un confort, et contraster un peu avec le côté rationnel de la Défense, de l’ambiance de travail, décrit-il devant une table comprenant un toit de panneaux solaires alimentant des prises USB (choix rejeté par Buton industries pour des raisons de fiabilité dans le temps, Ndlr). C’est un mobilier vivant, où les gens se mettent en discutant, en dialoguant. »

Les trois industriels présents au sein des duos retenus sont des entreprises d’une cinquantaine à 150 salariés, déjà spécialistes du mobilier urbain. Aucun des duos n’était préexistant à cette biennale, une partie se sont trouvés grâce à l’Ameublement français, organisation professionnelle d’entreprises du meuble partenaire de Forme publique. Ils ont dû apprendre à discuter, alors que les préoccupations des uns et des autres sont fréquemment divergentes.

« Ce que je trouvais intéressant avec Robert est qu’il a une double casquette : designer et création artistique (il expose régulièrement ses oeuvres dans des galeries reconnues, Nldr) », témoigne Joël Lemoine, directeur général de la Tôlerie forézienne, habituée du travail avec des designers depuis sa diversification dans le mobilier urbain, en 2007. « Parfois, l’industriel est un peu trop rigide sur les solutions techniques, et le designer va nous apporter son dessin, argumenter ses choix, rapporte-t-il du dialogue. On se fait le devoir de rester le plus proche possible de ce dessin initial. »

« Le bois est un vrai choix pour un confort, et contraster un peu avec le côté rationnel de la Défense, de l’ambiance de travail », décrit le designer Robert Stadler de ses structures mêlant métal et bois.

Les tubes métalliques jaunes supportant la structure de tous les mobiliers du groupement ont ainsi fait l’objet de féroces discussions. « Robert, comme tout designer, souhaite que la structure soit la plus légère et invisible possible, sourit Joël Lemoine. On est allé au plus petit sans entamer la pérennité de l’objet. » Il pressent en effet que l’usage des bancs et tables sera probablement parfois très différent de ce qui avait été envisagé au départ, et cette fois-ci pour des années.

« On a un devoir envers les gens, certains vivent avec l’expérience depuis huit ans », a ainsi rappelé la directrice artistique de Forme publique. « Cela faisait huit ans qu’on expérimentait de l’éphémère, du poétique, du rare, de l’exceptionnel, et en même temps avec une puissance et une temporalité des usagers très fortes, présentait au début de la visite Valérie Thomas. Comment on pérennise sans perdre l’expérience, la capacité d’expérimentation ? »

Aux côtés des prototypes de Jean Couvreur, qui adoptent totalement les principes de la Défense, et de ceux de Robert Stadler, qui misent plutôt sur un contraste en rondeur, la troisième proposition se déploie de la manière la plus organique et modulaire possible, sur la dalle comme sur ses innombrables marches. « Le pin est la forme générique de notre proposition, décrit le designer Pierre Charrier. Il se répète et forme un ruban qui va épouser les mobiliers, les tournants, les reliefs du territoire. »

« Que des designers isolés trouvent des industriels, et que les industriels importants forment des attelages hors de leurs designers habituels », note la directrice artistique Valérie Thomas (à gauche).

Leur pérennité est assurée par une structure métallique couverte de lattes de bois aisément remplaçables. Certains des prototypes misent eux aussi sur des cellules photovoltaïques alimentant des prises USB. « Pierre trouvait notre travail intéressant, dans la manière dont on va travailler le bois, et la façon dont on le récolte dans des forêts gérées durablement », se souvient Daniel Beauchet, responsable du développement et du bureau d’études chez Rondino.

L’industriel du bois fabrique en Lozère des mobiliers urbains en bois depuis près de 40 ans, auxquels il mèle désormais le métal. « La grosse difficulté était d’épouser la dalle de la Défense qui est tout sauf plane !, analyse Daniel Beauchet. Comme notre leitmotiv était un peu de se calquer sur les végétaux qui rampent et épousent les murs, il a fallu trouver des techniques de fabrication et de modularité des structures qui puissent s’adapter à l’idée originale du designer. » Pour ces trois duos, l’enjeu de cette biennale est peut-être plus important que pour les candidats retenus lors des précédentes éditions.

« Nous nous retrouverons en 2020, au terme de la phase expérimentale, pour faire le bilan […] et décider du mobilier qui aura le mieux répondu aux attentes du public », annonce ainsi Patrick Devedjian (LR), président du conseil départemental comme de Paris La Défense. « Ça nous est aussi arrivé de nous retrouver sans rien dans une Métropole suite à un dialogue compétitif » de ce type, nuance cependant l’un des industriels présents ce jour-là. Aucune des propositions concurrentes n’avait en effet décroché le Graal d’un déploiement généralisé et pour des années.