Nextdoor, l’Anticafé, Icône : ces trois espaces de travail partagés ont été respectivement créés à la Défense en septembre 2016, en janvier 2018, et en septembre dernier. Le premier est un loueur de bureaux partagés dont l’offre d’espaces communs à la journée constitue surtout un produit d’appel aux entreprises impécunieuses qui pourront ensuite rester dans un univers déjà familier. Les deux autres font quasi-intégralement reposer leur business model sur un accès à l’heure d’espaces communs, accompagnés de commodités pour ceux qui n’ont pas de bureau.

L’Anticafé rejette l’appellation d’espace de coworking, pour préférer se présenter comme ce que devrait être un café traditionnel. Les clients y paient leur présence quasiment à la minute, ils disposent de moultes prises électriques, d’un réseau sans fil efficace, de recoins pour téléphoner, ainsi que de boissons et encas à volonté. La formule est quasi-identique chez Icône, qui vient d’ouvrir dans l’espace Oxygen, créé devant la sortie Est de la station de métro Esplanade. Tous deux visent une clientèle très nomade, mais semblent également adoptés par des salariés parfois lassés de leur bureau.

Les clients de l’Anticafé paient leur présence quasiment à la minute, disposent de prises électriques, d’un réseau sans fil efficace, de recoins pour téléphoner, ainsi que de boissons et encas à volonté.

Au deuxième sous-sol du Cnit, le géant Unibail-Rodamco-Westfield a accueilli l’Anticafé de la Défense les bras ouverts. Ouvert en mai, un peu caché à côté du magasin Habitat malgré la terrasse située dans la galerie, l’antenne du quartier d’affaires de cette chaîne créée en 2013 compte déjà une solide clientèle. Comme dans les Anticafés parisiens ou de province, l’on peut venir pour cinq euros de l’heure sans réserver, ce que ne se privent pas de faire ceux qui ont besoin de travailler.

Ce matin du mercredi 17 octobre, l’espace de travail partagé compte à 9 h une douzaine de clients en petits groupes, ou seuls devant leur ordinateur portable. « Si j’ai du temps, je viens ici entre deux trains de ou vers la province », explique ainsi Janine, Caennaise de 58 ans, attablée derrière la vitrine. « J’ai fait Regus (grande société de bureaux dédiés, présente à la Défense avec Spaces, Ndlr), qui est vraiment un espace de bureaux, celui-là est convivial, il y a de la lumière, des boissons incluses dans le prix, le décor est agréable », poursuit cette consultante dans le management des entreprises culturelles qui fréquente cet Anticafé depuis six mois.

« J’aime le fait que ce soit silencieux et propre, peu de gens sont au courant, remarque en anglais Jeremy Williams, installé au fond du local, qui débute par une comparaison avec les cafés traditionnels du quartier. La connexion à internet fonctionne toujours et elle est très rapide, dans beaucoup d’endroits, elle n’est pas bonne du tout et vous devez vous enregistrer, ici, c’est facile, et l’atmosphère est accueillante. »

Il a découvert le lieu totalement par hasard il y a six mois, au détour de petites courses au Monoprix voisin. Présent régulièrement à la Défense depuis trois ans, le consultant le fréquente désormais trois jours par semaine en moyenne, à chaque fois pour quelques heures. « Les gens y viennent pour travailler, c’est un peu plus calme », poursuit-il de la comparaison avec un café. Mais il le préfère aussi aux espaces de travail partagés dans lesquels il s’est rendu jusqu’à l’Anticafé.

« De plus en plus de personnes sont elles-mêmes flexibles dans le monde d’aujourd’hui, des espaces comme celui-là sont très utiles, notamment avec le paiement à l’usage : si vous n’avez pas besoin de venir, vous n’avez pas à le faire, le côté pratique est l’aspect-clé, analyse-t-il de ce marché croissant de l’espace de travail partagé. Dans d’autres espaces de coworking, vous devez payer et réserver à l’avance, plus comme des locaux professionnels. » Tout serait question d’équilibre pour ce travailleur nomade : « Ici, c’est entre les deux, je pense qu’ils sont tombés juste, ni trop formel, ni trop informel. »

A 29 ans, Leonid Goncharov, le fondateur d’Anticafé, est à la tête d’une entreprise de 80 salariés, qui accueille un millier de clients par jour, et vise un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2018.

Ce n’est pas le fondateur de la jeune société, dont le premier établissement a ouvert à Beaubourg en avril 2013, qui le contredira. A 29 ans, Leonid Goncharov est à la tête d’une entreprise de 80 salariés, qui accueille un millier de clients par jour, et vise un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2018. « A Paris, il y a de très bons cafés mais plutôt pour manger que pour y passer du temps, explique le presque trentenaire de la genèse du concept. Au bout d’un moment, on vient vous voir pour vous dire de libérer la table pour le déjeuner, et encore plus à la Défense, car toutes les tables sont prises. »

Son idée n’est pas non plus étrangère à ses précédentes vies en Russie et en Ukraine, où le concept « anti-café », payé à la minute avec des boissons gratuites, est né en 2011, et aux Etats-Unis, où les cafés sont communément utilisés pour travailler. « La société est de plus en plus nomade, avec les start-up, le freelance, le télétravail, surtout si on regarde les sociétés anglo-saxonnes ou nordiques vers lesquelles on se dirige, analyse-t-il de sa clientèle. La contrepartie de ça est qu’on a de moins en moins le temps d’avoir des contacts avec les gens… Mais ça reste un besoin, et l’Anticafé répond à ça. »

« On veut devenir leader de ce marché, pour que le jour où les gros s’y mettent, on soit prêts », avance le jeune patron, qui estime n’être « ni un concurrent des cafés ni des coworkings », même si ses clients, eux, comparent bien son établissement et aux uns et aux autres. « Nos principales charges sont les salaires et les achats, pas le loyer », précise-t-il cependant des espaces de travail partagés plus traditionnels dont « le modèle économique n’est pas fait en sorte de pouvoir accueillir les personnes pour quelques heures ».

Un peu plus loin dans le quartier, l’espace Nextdoor est déjà un poids lourd des espaces de travail partagés du quartier d’affaires. Il occupe désormais quatre étages de la tour Coeur défense depuis qu’il a doublé sa superficie en janvier. Créé par le groupe Bouygues, désormais aussi possédé par l’hôtelier Accord, il est peut-être le plus hybride des espaces de coworking de la Défense. Son coeur de métier reste bien la location de 830 bureaux dédiés et de salles de réunion, mais il ne néglige pas les espaces communs.

Chacun des étages, deux de 1 200 m², deux de 1 600 m², comprennent sur 330 m² deux espaces de travail communs. L’un est plutôt détendu avec son bar (payant mais peu cher, Ndlr) et son ambiance musicale, ses consoles de jeu ou ses babyfoots, largement fréquentés par les occupants des bureaux dédiés en quête de détente, l’autre est d’un silence quasi-religieux avec son épaisse moquette, ses casiers individuels et de petites salles closes pour téléphoner ou discuter.

« Il y a un truc vrai dans tous les espaces de coworking, vous pouvez vous faire une image de votre clientèle, celle-ci sera toujours différente à la fin », estime le cofondateur d’Icône.

« Certains veulent juste prendre un verre, parler entre eux du boulot de manière informelle, et certains, ça ne les dérange pas du tout de travailler dans cette ambiance, j’ai des commerciaux qui font une partie de Playstation entre deux clients, remarque Vladimir Ilic, 35 ans, manager adjoint de Nextdoor, qui possède aujourd’hui sept espaces de travail partagés en France. Et d’autres qui n’arrivent pas à se concentrer avec la musique. Globalement, ici, la moyenne d’âge est légèrement plus basse qu’à la Défense. »

La venue dans les espaces de travail communs peut se faire à la journée, en réservant ou non selon la formule choisie, avec un tarif de 12 jours par mois sans réservation de 210 euros. La réservation à l’heure, elle, a été jugée « trop compliquée », notamment au niveau logistique. « Les espaces communs représentent moins d’un cinquième du business total, ce qui compte vraiment, ce sont les bureaux dédiés et les salles de réunion, reconnaît d’ailleurs le manager adjoint. En général, les coworkers viennent ici parce que leur activité n’est pas encore assez développée pour prendre un bureau dédié. »

Dans la partie silencieuse des espaces communs, il y a la même télévision branchée sur BFM qu’au niveau du bar, mais sans le son. Dans le couloir, Prim, un Thaïlandais de 30 ans, confirme en anglais la validité de ce qui est d’abord un produit d’appel pour Nextdoor. « C’est vivant, nous avons du soutien et des services, et c’est dans le budget d’une entreprise comme la nôtre », société thaïlandaise d’investissement qui souhaite s’étendre en Europe, à l’aide de Prim et de son collègue dans un premier temps.

« En tant que consultant, je n’ai pas besoin d’un bureau, je passe mes coups de fil dans les cabines (petites pièces isolées, Ndlr), et pour travailler seul, je préfère les espaces où on est plusieurs, j’ai l’habitude de l’open space », explique de son côté Frédéric, spécialiste de la mobilité urbaine de 53 ans. Il a quitté son « salariat » il y a un an et ne se « voyait pas bosser à la maison ». Pour cet habitant de Neuilly-sur-Seine, « la condition est que l’espace de coworking soit assez calme ».

S’il estime les bureaux dédiés trop coûteux pour franchir le pas, il affiche une légère préférence à Nextdoor, plus calme et à la décoration plus cossue, par rapport à l’Anticafé, qu’il connaît aussi pour fréquenter celui d’Opéra dont il apprécie la décoration. « J’ai trouvé que ça pouvait être trop bruyant, compare-t-il des deux enseignes. Si je n’y vais pas toute la journée, c’est bien parce que le salad bar est compris dans le tarif, et les gens sont très sympas et plus humains que chez Nextdoor. »

S’il estime les bureaux dédiés trop coûteux pour franchir le pas, Frédéric, consultant de 53 ans, affiche une préférence pour Nextdoor (photo), plus calme et à la décoration plus cossue qu’à l’Anticafé.

Très différent de Nextdoor, l’espace Icône, discrètement ouvert en septembre à la sortie de la station de métro Esplanade, proposant une fréquentation à l’heure comme à la journée sans inscription, assume sa filiation avec celui du Cnit. « Anticafé est le précurseur, ils ont un système qui est très bien fait notamment en termes de prix », admet sans peine Cédric Ernout, l’un des deux cofondateurs de cet espace de « coolworking ». S’il adopte une structure tarifaire et des services assez proches, Icône et ses 400 m² cherchent cependant à s’en démarquer, avec un style plus particulier et des prestations légèrement plus haut de gamme.

« On voulait créer un hyper-lieu urbain, un mix où on découvre des choses, poursuit le cofondateur dans ses locaux de béton brut au design industriel très assumé. On a voulu amener un peu de Paris à la Défense […], que ce soit identifié comme le lieu où on a les meilleurs dans chaque catégorie. » S’il comprend un petit café du torréfacteur parisien Coutume, ainsi qu’un concept-store aux objets insolites exposés au centre de l’espace de travail partagé, pour l’instant, la véritable « locomotive » d’Icône est une annexe du salon de coiffure la Barbière de Paris, dont les clients constituent aussi de premiers usagers de ce tiers-lieu ouvert sans tambours ni trompettes.

« Ici des gens trouvent que ça ne leur correspond pas, et à l’inverse, on a eu des retours de boites qui sont dans les tours environnantes, qui aiment bien le lieu, trouvent que l’ambiance y est sympa, avec un petit fond sonore jamais trop fort », poursuit Cédric Ernout. Pour l’instant, si certaines grandes entreprises de la Défense ont donc déjà commencé à utiliser et privatiser certains de ces espaces afin de changer d’air leurs salariés, les travailleurs individuels sont encore rares à fréquenter Icône.

« On appelle ça les aventuriers, ou les curieux, qui viennent voir, car on n’a pas communiqué, on se met en place doucement, sourit le patron de ses premiers clients. On essaie aussi, dans l’idée du « soft opening » (ouverture non-officielle permettant de se rôder, Ndlr), d’avoir des retours clients. On a déplacé des meubles, on a eu des retours de gens qui bossent là, qui ont demandé des tables près des fenêtres : si on peut modifier des choses et prendre en compte des remarques, on le fait. »

Avec l’autre cofondateur Cédric le Forestier, ils adoptent une stratégie très différente de celle du créateur de l’Anticafé, n’envisageant pas à ce stade la création d’une chaîne mais plutôt un espace de travail partagé un peu unique en son genre, auquel ils veulent laisser le temps de mûrir. « Le lieu définit aussi la pratique et l’usage de l’espace, vous pouvez faire des business plan, la réalité est que les personnes s’approprient le lieu et définissent son usage, il faut être souple et agile », détaille Cédric Ernout.

Il évoque ainsi leur précédente création, un micro-espace de travail partagé dans le neuvième arrondissement de Paris, sans personnel et ouvert en permanence : rapidement, une entreprise cliente le leur a loué intégralement et à l’année. « Il y a un truc vrai dans tous les espaces de coworking, vous pouvez vous faire une image de votre clientèle, celle-ci sera toujours différente à la fin », estime-t-il avec philosophie.

Très différent de Nextdoor, l’espace Icône, discrètement ouvert en septembre à la sortie de la station de métro Esplanade, propose une fréquentation à l’heure comme à la journée sans inscription.

« On s’est dit qu’on voulait bosser, et comme on a du mal à trouver un endroit où bosser tranquille dans notre école, on est venu ici, témoigne aux côtés d’un de ses camarades Anne-Sandra, 21 ans, qui étudie à l’école de commerce EDC, toute proche. La formule est pas mal, après, pas tous les jours, car 6 euros de l’heure, c’est un peu cher pour un budget étudiant. Mais il n’y a aucun autre endroit de l’esplanade où se poser tranquillement. »

Malgré un tarif horaire pas frocément à la portée de toutes les bourses, le fondateur du précurseur français Anticafé assure que ses établissements sont fréquentés par « étudiants, indépendants, entreprises et grand public », Leonid Goncharov reconnaît qu’à la Défense, il y a plus d’entreprises qu’ailleurs. Ces salariés de grandes entreprises du quartier viendraient « soit pour se concentrer quelques heures sur quelque chose, car ici, on est seul, soit pour des rendez-vous avec des clients, car c’est plus sympa qu’une salle de réunion au trentième étage d’une tour ».

Les petites entreprises de quelques salariés y trouvent aussi parfois leur compte. « On fait 9 h – 18 h, j’ai une société, on a des locaux à Courbevoie, mais ils sont moins sympas !, indique dans un sourire Myriam, 37 ans, spécialiste de la communication sur internet. Pour bosser, c’est hyper-agréable, au début, on a juste testé, on aime beaucoup le cadre, c’est mignon, on peut manger et boire comme on veut, et puis, ce n’est vraiment pas cher comme proposition. »

Aujourd’hui, elle envisage même de réfléchir à abandonner ses locaux fixes. De quoi donner des idées à ceux qui se demandent quelle est la taille réelle du marché des espaces communs de travail partagés ? L’investissement y semble en tout cas plus mesuré que par le passé, où la mise en location de dizaines de bureaux dédiés limitait les possibilités. Au sous-sol du Cnit, il a suffi pour lancer un nouvel Anticafé d’un appel du pied doublé d’un loyer amical du gestionnaire, et de quelques centaines de milliers d’euros de travaux, pour créer un espace déjà rentable à ce jour selon son fondateur.