L’entreprise que vous dirigez a cédé l’immeuble Window pour près d’un demi-millard d’euros il y a un mois. Que représente aujourd’hui Groupama immobilier dans le quartier d’affaires ?

Groupama immobilier, après la cession de Window le 18 octobre dernier, est encore très présent aujourd’hui à la Défense, à travers deux opérations : The link et Groupama campus, dans le quartier Seine arche, à côté de la gare Nanterre-préfecture.

Groupama campus, d’abord. L’idée était de rassembler tous les collaborateurs de Groupama en Île-de-France, mais sans nécessairement être dans une tour. C’est pour cela que nous avons constitué de toute pièce le premier campus de La Défense. Nous avons réussi le pari, réputé impossible, de rassembler 7 bâtiments pour leur donner un vrai esprit campus. Ils totalisent 72 000 m² de surface, et hébergeront à terme 3 500 collaborateurs de Groupama, dont 2 700 ont déjà déménagé depuis fin 2017.

Ils partagent une unité de vie, des services communs, des espaces végétalisés, avec une grande fluidité de circulation entre les bâtiments. Et c’est certainement le campus le plus accessible de la région parisienne : il est au pied du RER A et des futurs RER E et métro ligne 15, ce qui le placera à 15 min des hubs parisiens et à 30 min des aéroports.

Les salariés ont déménagé de trois horizons : de l’Est parisien avec Noisy-le-Grand, de Paris intra muros, essentiellement le IXe arrondissement, et le quartier Michelet à la Défense de ce qui constitue le futur foncier de la tour The link. Les locaux libérés sont soit cédés, soit redéveloppés.

« Nous avons réussi le pari, réputé impossible, de rassembler 7 bâtiments pour leur donner un vrai esprit campus. Ils totalisent 72 000 m² de surface, et hébergeront à terme 3 500 collaborateurs, dont 2 700 ont déjà déménagé depuis fin 2017. »

Maintenant que la cession de Window a été définitivement signée, la construction pour Total de la tour The link est le seul projet situé sur la dalle piétonne. Où en est exactement le projet, et quelles sont les prochaines étapes menant au chantier de ce double gratte-ciel ?

Nous avons plutôt bien avancé dans la réalisation de la tour, avec plusieurs jalons franchis. Le premier, qui n’était pas le moindre d’entre eux, était l’obtention en avril dernier de l’agrément « bureaux » par le préfet de Région, pour réaliser une tour qui va avoisiner les 130 000 m² en surface de plancher et les 125 000 m² en surface utile de bureaux. Nous avons enchaîné par le dépôt de notre permis de construire, instruit depuis fin juin.

Le prochain jalon est l’enquête publique qui devrait pouvoir démarrer en janvier 2019, une fois que nous aurons obtenu un avis favorable sur le permis des différents services de la préfecture et de la mairie.

Cela nous permettra de commencer les différentes opérations de démolition-reconstruction à l’horizon mi-2019. Ensuite, le planning de démolition puis de reconstruction : nous sommes sur un projet de livraison pour 2023, un délai usuel pour ce type de grands développements.

« Le prochain jalon est l’enquête publique qui devrait pouvoir démarrer en janvier 2019, une fois que nous aurons obtenu un avis favorable sur le permis des différents services de la préfecture et de la mairie. »

Y-a-t-il eu des changements architecturaux, ou des adaptations, entre le projet de la phase esquisse et celui du permis ? Quels sont-ils ?

Nous avons évidemment préservé ce qui donne son nom au projet, et constitue la force de cette tour : les passerelles, les « Links », qui relient les deux ailes de la tour. Nous les avons même élargies pour augmenter leur surface et qu’elles deviennent de véritables espaces de travail, et non pas des espaces de circulation pour aller d’un bâtiment à l’autre.

Cela permet d’accroître l’attractivité des « Links », conçues comme des points de rencontre. L’architecte de The link, Philippe Chiambaretta, croit beaucoup à la réalisation d’une tour qui réponde aux besoins des nouvelles générations, et dont le parcours favorise la sérendipité, c’est-à-dire les rencontres un peu au hasard, qui génèrent de la créativité et de l’intelligence collective.

Nous voulions une transformation des modes de travail à la Défense, où l’on retrouve en général des plateaux de 1 800 m². Grâce aux « Links », présentes sur 32 niveaux, on peut connecter deux ailes, deux noyaux, ce qui permet d’obtenir des plateaux de 3 000 m², qui, reliés deux à deux par des escaliers monumentaux inter-étages, deviennent même des duplex de 6 000 m². De quoi héberger 500 salariés dans une même unité de vie, où l’on se voit, on se croise sans prendre l’ascenseur.

Au niveau des « Links », il y aura des terrasses végétalisées du niveau 1 au niveau 32, complétées par un jardin panoramique, au 33e étage de l’aile Seine, et 6 terrasses en pied de tour. Au total, il y a quasiment 3 000 m² de surfaces extérieures végétalisées, un record, pour une tour de la Défense. Nous avons fait en sorte que cette surface végétalisée soit protégée des vents, et nous avons affiné la typologie des essences plantées. Aucun salarié ne sera à plus de 60 m d’un espace végétalisé.

« Il y a quasiment 3 000 m² de surfaces extérieures végétalisées, sur une tour de 130 000 m² de surface de plancher », se félicite Eric Donnet de la conception de The link.

Certains changements semblent liés aux questions de vent, et d’aménagement des abords, tous deux pointés comme potentiellement problématiques lors des précédentes étapes administratives…

L’élargissement des « Links » permet en effet d’apporter une réponse technique, parmi plusieurs autres, au contreventement. Il y a aussi, en effet, de gros changements dans le socle de la tour et dans tous les traitements des abords.

Nous avons aussi beaucoup travaillé le liaisonnement de la tour avec son environnement immédiat, en abaissant la dalle au niveau de la ville de Puteaux, en élargissant le passage à flanc de tour et en créant un grand escalier doublé d’un ascenseur pour personnes à mobilité réduite. Cela permettra un accès fluide et direct entre Puteaux et le métro Esplanade, sur le cours Michelet.

Nous avons aussi beaucoup travaillé avec Paris La Défense. Sur le cours Michelet, vous retrouvez trois entrées : l’une, centrale, pour les visiteurs, et deux autres pour les collaborateurs de la tour, ainsi qu’une entrée pour les collaborateurs et visiteurs sur le boulevard côté Puteaux. On pourra donc sortir directement côté ville. C’est une innovation en termes de flux, et un bénéfice pour la ville en termes de commerce et d’animation commerciale.

C’est cette connexion que nous recherchions entre la dalle de la Défense et la ville. Une fois que le boulevard circulaire sera reconstruit et transformé en boulevard urbain apaisé que l’on pourra traverser à pied, comme il l’a été à Courbevoie, cette connexion sera encore plus forte.

Rien n’a été modifié concernant les connexions au boulevard circulaire ou les proportions des espaces, à la fois sur ce que nous appelons l’aile Arche, et l’aile Seine, les deux parties de cette double tour reliées par des passerelles. Nous avons en revanche retravaillé la courbure pour obtenir un geste architectural plus symétrique, rendre les entrées sur le cours Michelet plus monumentales.

Et au sommet, nous avons beaucoup travaillé sur le contreventement, les prises au vent, et mieux cacher les éléments techniques. En conclusion, il y a assez peu de changements entre le projet de la phase esquisse et celui instruit au permis de construire.

« Nous les avons même élargies pour augmenter leur surface et qu’elles deviennent de véritables espaces de travail », explique le président de Groupama immobilier des passerelles ou « Links » dans la dernière version du projet.

A quelles volontés répondent les modifications effectuées ?

Pendant la phase esquisse, au début du projet, on n’appréhende pas tous les problèmes avec le même séquencement: certains sont d’ordre technique ou architectural, et d’autres d’ordre économique. Nous sommes vraiment sur une architecture ambitieuse, qui doit marquer la nouvelle porte d’entrée de la Défense, en tant que pendant de la tour First. C’est un projet de grande envergure, qui fait que nous devons respecter les gabarits. Certains changements répondent enfin à la volonté du futur utilisateur, pour lequel nous concevons une tour sur mesure.

« Sur le cours Michelet, vous retrouvez trois entrées : l’une, centrale, pour les visiteurs, et deux autres pour les collaborateurs de la tour, ainsi qu’une entrée pour les collaborateurs et visiteurs sur le boulevard côté Puteaux », détaille Eric Donnet.

Pourquoi avoir fait le choix d’un immeuble de 199 m de haut en termes de hauteur occupée (pour une hauteur totale de 244 m, Ndlr), permettant d’éviter la classification en Immeuble de très grande hauteur (ITGH) débutant à 200 m ?

La réglementation sur les Immeubles de grande hauteur (IGH) est bien connue en France alors que les ITGH sont des objets nouveaux, notamment aux yeux des autorités administratives. Nous ne voulions donc pas prendre le moindre risque : nous construisons une tour à la Défense, pas un objet qui joue le rôle de test sur le marché immobilier.

Nous ne voulions pas non plus nous imposer trop de contraintes pour d’autres utilisations à l’avenir, comme par exemple de l’hôtellerie. Les contraintes des immeubles de très grande hauteur sont en effet écrites pour la partie bureaux, mais pas pour les autres usages.

Cette tour doit anticiper les réglementations actuelles et futures sans être composée de trop de contraintes. Nous avons donc voulu rester dans les seuils d’une réglementation sécurisée et connue, ce qui est rassurant pour nous et pour notre client. Nous n’avons pas vocation à rajouter de la complexité à un projet déjà complexe en soi : nous voulons le rendre faisable dans les délais que nous nous sommes imposés.

« La réglementation sur les Immeubles de grande hauteur (IGH) est bien connue en France alors que les ITGH sont des objets nouveaux, notamment aux yeux des autorités administratives. Nous ne voulions donc pas prendre le moindre risque. »

Vous venez de signer la vente de l’immeuble Window (précédemment l’ensemble Elysée Défense, au-dessus des 4 Temps, Ndlr), après l’avoir rénové, qui vous apportera des fonds propres pour The link. Que représente cette cession pour Groupama immobilier ?

Avant d’être une représentation économique, c’est la représentation d’un savoir-faire d’équipes qui ont été notamment renforcées et reconstituées à partir de 2013. C’est un immeuble que nous avons imaginé avec les deux architectes en 2014, dont nous avons commencé les travaux en février 2016, et que nous avons loué en totalité en juillet 2016 à RTE, une fois le permis de construire obtenu. Nous avons mis quatre années à le développer, entre 2014 et 2018 : c’est un savoir-faire sur une operation majeure de développement menée de bout en bout.

Nous avons livré Window à RTE le 3 septembre dernier, ce qui a permis simultanément de le céder, dans le cadre d’une promesse de vente négociée avec le fonds canadien Oxford properties en juin 2017, et réitérée le 18 octobre dernier (jour de la signature, Ndlr). Nous avons vendu Window pour 477 millions d’euros, avec une plus-value substantielle dégagée pour le groupe. Sur un portefeuille d’actifs immobiliers qui représentait avant cette vente 3,7 milliards d’euros, c’est une opération majeure.

« Nous avons vendu Window pour 477 millions d’euros : sur un portefeuille qui représentait avant cette vente 3,7 milliards d’euros, c’est une opération majeure. »

Quelle est la stratégie de Groupama immobilier, en particulier à la Défense ? Le quartier, avec peu de très grosses opérations, représente-t-il un symbole ?

Le territoire de la Défense est un territoire auquel nous croyons profondément en tant que business district. Pour nous, c’est le premier quartier d’affaires européen, il y a un vrai enjeu, à condition de construire et de posséder des actifs sur ce territoire qui soient en adéquation avec la demande qu’il peut y avoir.

Aujourd’hui, force est de constater que le choix est très limité pour une entreprise qui compte 8 000 à 10 000 collaborateurs, ce qui est le cas de Total. Groupama détient l’un des rares fonciers encore disponibles, dans le quartier Michelet. Nous pouvions le réécrire, le connecter à la ville de Puteaux et à la dalle de la Défense, avec une capacité de construire de façon assez aisée une surface de 130 000 m² convenant largement à Total.

Nous sommes convaincus qu’il y a encore un champ de valorisation extrêmement fort pour ce quartier d’affaires. Mais si on le fait, il faut que notre conviction s’exprime sur des objets où nous pouvons vraiment contribuer au développement, et partager notre savoir-faire : le faire avec des architectes, soit de renom et ayant fait leurs preuves à la Défense, comme pour Window, soit avec des architectes prêts à être innovants et créatifs, pour non pas reproduire le modèle classique de tours, qui a fait son temps, mais inventer une nouvelle génération de tours, comme pour The link.

L’immobilier de bureaux se porte très bien, en Île-de-France comme à la Défense : quelle est votre analyse de la très bonne santé actuelle du secteur ? Le marché ne risque-t-il pas la surchauffe ?

Tant à la Défense qu’à Paris, les marchés locatifs ne sont pas du tout en surchauffe. Nous constatons une vraie croissance des surfaces prises à bail, un besoin des entreprises de choisir leurs nouveaux sièges sociaux, de changer leur lieu d’implantation, et de répondre à la demande de leurs salariés. Pour certaines, il y a même urgence, car elles sont dans des immeubles obsolètes, et doivent déménager pour réinventer leur modèle de bureaux. Le marché accompagne cette transformation.

Les valeurs locatives s’ajustent, dans certains secteurs, fortement à la hausse : depuis deux ans maintenant, nous sommes dans une stratégie de très forte demande par rapport à l’offre de produits. Par exemple, dans le VIIIe arrondissement de Paris, le taux de vacance est inférieur à 3 %, du jamais vu depuis 50 ans. Cela justifie une progression importante des valeurs locatives, qui sont restées stables pendant des cycles très longs. A la Défense, où la production de bureaux est supérieure, les valeurs de loyer progressent, mais pas aussi vite que dans Paris.

Par contre, sur le marché de l’investissement, nous sommes, de façon macroéconomique, connectés à l’industrie de la finance, et donc très impactés par l’évolution des taux d’intérêt. L’immobilier est un secteur qui a beaucoup surfé, depuis plus de six ans maintenant, sur la base de taux d’intérêts bas. Ils rendent attractive la classe d’actifs immobiliers et les rendements qu’elle peut offrir.

Est-ce que cette attraction va se réduire si les taux d’intérêt progressent fortement dans les mois ou années à venir ? La réponse est oui : d’autres classes d’actifs vont retrouver une meilleure attractivité que le secteur immobilier. Maintenant, je n’ai pas de boule de cristal, et ne peux vous dire si ce sera demain, dans un an ou dans deux ans. Mais nous avons un certain nombre de signaux faibles qui nous disent que le marché de l’investissement présente des signes d’alerte.

Le premier acteur de la vigilance dans ces cas-là est souvent la Banque de France : elle vient de publier un rapport qui date de la semaine dernière, qui rappelle, sous forme de questionnement : « Immobilier commercial, une bulle immobilière ? » Si les gardiens du temple nous alertent sur les risques de surchauffe, c’est probablement que les signaux auparavant faibles deviennent de plus en plus visibles.

Nous sommes dans un marché en transformation, et qui va probablement présenter des signes de plus forte volatilité. Sur le plan des valeurs cotées, toutes les foncières cotées ont subi des ajustements de cours très forts ces dernières semaines. C’est la traduction que les acteurs du marché mettent un doute sur les progressions continues des valeurs d’immeuble, qu’on a pu observer pendant les cinq dernières années.

CREDIT VISUELS THE LINK : ARTE

Mise à jour, 14 novembre 2018 : Contrairement à ce qui avait été indiqué lors de l’interview de La Gazette, la surface totale des espaces verts de The link sera de 3 000 m² et non de 10 000 m² comme écrit initialement, précise Groupama immobilier ce jour.