Pourquoi Aude a-t-elle été créée ?

La création d’Aude, le 16 février 2002, est venue de grandes parties prenantes, investisseurs, promoteurs et utilisateurs, qui étaient inquiets de la fin de la gouvernance publique du quartier. L’Epad (Etablissement public d’aménagement de la Défense, ancêtre de Paris La Défense, Ndlr) ayant été créé pour 50 ans, on aurait pu imaginer à l’époque que l’on crée une commune spécifique de plein exercice à la Défense, ce qui n’a pas été fait.

Il a été fait un territoire sous direction et contrôle d’Etat sur un certain nombre de sujets, et en particulier au niveau de l’aménagement. De grandes parties prenantes se sont inquiétées de voir se dissoudre l’utilisation de la ressource en provenance des entreprises, dans des communes différentes, avec des visions différentes d’aménagement, et le risque que tout le dispositif s’effondre. Comme souvent avec les concessions, les investissements diminuent vers la fin. Le bénéficiaire de la concession ralentit ses investissements car il n’a ensuite plus le temps de les amortir.

Nous avons constaté à l’époque une aggravation de l’insuffisance d’investissements, confirmée avec la création de Paris La Défense (en 2018, Ndlr) où le constat a été fait d’un manque de 360 à 600 millions d’euros d’investissement, simplement pour remettre le quartier à niveau. Nous voyions bien que le quartier se défaisait, que des installations vieillissaient beaucoup.

Comment et avec qui l’association s’est-elle constituée ?

La présidence a été prise par l’ancien directeur immobilier de la Société générale car elle est, depuis le transfert de son siège à la Défense, le plus gros employeur du site, et Daniel Bouton (son PDG de l’époque, Ndlr) a été très impliqué dans la création d’Aude. BNP Paribas real estate, Unibail-Rodamco, Total, Areva en ont été d’autres piliers de départ.

En 2006, j’ai quitté les dernières fonctions exécutives qui ont été les miennes, j’étais à l’époque président du directoire de Marsh & McLennan France (leader mondial du courtage d’assurances, Ndlr) après 36 ans dans la banque. Appréciant le quartier d’affaires, j’ai voulu voir si je pouvais faire quelque chose pour le promouvoir. Daniel Bouton m’indique alors que son directeur immobilier veut se retirer de la présidence de l’Aude qu’il assurait depuis sa création. Je prends donc la présidence d’Aude début 2007.

Nous sommes une association extrêmement lean, à l’administration très légère, avec une salariée à plein temps et pour le reste, aucune dépense à l’exception des études que nous effectuons sur le quartier d’affaires et son futur avec les entreprises. A l’époque de mon arrivée, j’avais des responsabilités à la Chambre de commerce, les réunions se tenaient dans mon bureau du Palais des congrès. Les réunions sont maintenant itinérantes chez nos membres, comme les trois assemblées générales annuelles.

Je suis par ailleurs un président bénévole avec un niveau de dépenses extrêmement faible… C’est une des qualités de l’association : son organisation frugale et efficace. Elle est possible car nous sommes très bien reçus par tous nos membres. Ils apprécient cette caractéristique et en profitent directement à travers des cotisations au montant très raisonnable.

Quel est le but de l’association ?

L’objectif est de parler aux pouvoirs publics. Fondamentalement, c’est une association des grandes entreprises, pour dire : il y a une spécificité à la Défense, nous avons investi énormément d’argent et nous pensons que cet investissement doit servir utilement la collectivité, en premier lieu les femmes et les hommes qui travaillent ou habitent à La Défense, donc nous avons besoin que des choses soient faites.

Ça a été en particulier un travail de type législatif. Comment faire évoluer le statut de cet établissement public pour qu’il devienne pérenne ? Nous avons été, au bon sens du terme, une association de lobbying, c’est-à-dire consistant à faire passer un certain nombre de messages.

Comment s’intègre Aude dans le tissu associatif, politique et éducatif local ?

Nous avons voulu garder à l’association son caractère spécifique d’association d’entreprises. J’ai été approché à plusieurs reprises par des associations de résidents à qui j’ai dit que nous pouvions coopérer, mais que nous ne souhaitions pas leur adhésion. Une partie de leurs besoins sont les mêmes, mais une partie sont extrêmement différents, et ils ne sont pas structurés au niveau de la Défense, avec des associations de quartier qui, parfois, ont du mal à travailler ensemble.

Les intérêts ne sont pas en opposition, ou très rarement, mais ils ne sont pas de même nature… à un bémol près, car j’ai la conviction qu’il y a une force intellectuelle très importante à la Défense, insuffisamment utilisée. J’ai proposé au président de l’université Paris-Nanterre d’être membre du conseil d’administration de l’association. Nous réfléchissons avec eux sur la création d’une chaire sur les besoins de la Défense et ses évolutions futures.

C’est quelque chose de tout à fait essentiel, ce quartier prend toute sa signification s’il est intégré dans la formation où la compréhension du monde de l’entreprise, avec des chaires, des formations ou des études universitaires. La Défense est, par définition, un laboratoire, ou du moins une étape avancée de l’évolution du tertiaire au niveau mondial.

J’ai personnellement un rêve qui prendra probablement un peu de temps à se réaliser : j’aurais aimé que la Défense devienne un lieu central de think tanks, d’instituts de recherche privé. Le quartier est très international, il rassemble les professions du monde financier dans toutes ses composantes, comme de l’énergie qui est très représentée. Ce serait intéressant de pouvoir mieux utiliser les composantes intellectuelles des états-majors des grands groupes.

« Nous avons été, au bon sens du terme, une association de lobbying, c’est-à-dire consistant à faire passer un certain nombre de messages », expose son président Jean-Yves Durance, par ailleurs ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) des Hauts-de-Seine.

Quelle est l’évolution d’Aude ces dernières années ?

Nous étions exclusivement de grands groupes et nous sommes en train de nous ouvrir à des entreprises plus petites, pour accompagner l’évolution de la Défense vers les ETI (Etablissements de taille intermédiaire, Ndlr), voire aux plus petites entreprises qui travaillent en symbiose, comme la Fintech avec le Swave, ainsi que les incubateurs et espaces de coworking.

Nous voulons également intégrer les entreprises de la péri-Défense. Là où vous payez ici 500 ou 600 euros le mètre carré [par an] en facial pour une localisation au cœur du quartier, vous allez payer moitié moins à quelques centaines de mètres en contrepartie d’un excentrement gérable par des structures plus légères. Cette notion de mixité que l’on défend beaucoup sur le plan de l’habitat, il faut qu’elle existe aussi dans le monde de l’entreprise.

Un de mes premiers soucis à Aude, en prenant la présidence, était de l’élargir. Dans ses statuts, ce sont maintenant des entreprises des six communes concernées par la grande Défense, avec l’ajout de Suresnes, de La Garenne-Colombes et de Rueil-Malmaison (en plus de Nanterre, Courbevoie et Puteaux, Ndlr). L’essentiel pour nous est concentré sur la Défense historique, mais c’est un point important d’avoir cette capacité d’intégration.

La Défense comme ses entreprises ont beaucoup changé depuis sa naissance, comment voyez-vous l’évolution du quartier d’affaires ?

Dans les années 1960 et 1970, la France voyait naître de grands groupes à l’échelle mondiale. Je pense que les conditions ne sont plus les mêmes, beaucoup de développeurs d’entreprises les revendent avant d’atteindre cette taille.

La naissance de la Défense s’est faite beaucoup par l’Etat. Il y a eu une évolution juridique, avec une pression extrêmement forte pour qu’il n’y ait pas de rupture après les 50 ans du quartier (et la fin théorique de l’aménagement d’Etat, Ndlr), beaucoup de discussions. Le second point est l’aspect structurel, et son élément le plus fondamental : les transports. À la Défense, 85 % des salariés viennent par les transports en commun.

La Défense s’est développée par le RER A, puis a connu un nouveau souffle avec la ligne 1. On arrive à une forme d’étranglement qu’on constate encore aujourd’hui, même si des progrès ont été faits. Le développement du quartier est très lié à la mobilité. Canary wharf, de l’autre côté de la Manche, a été relancé par l’investissement dans la Jubilee line.

L’association et ses entreprises sont très investies dans ces questions de transports en commun ?

Le travail d’Aude s’est très vite fait autour de quelques commissions, et la première d’entre elles a été liée aux transports, en particulier la relance du prolongement d’Eole. Le RER E avait été un projet qui avait été très loin [dans les années 1990], une DUP (Déclaration d’utilité publique, précédant de peu un chantier d’aménagement, Ndlr) avait été faite en 1993 !

Ça s’était bloqué car c’était en concurrence avec le prolongement de la ligne 14. La RATP et la SNCF n’avaient pas réussi à se mettre d’accord, et l’Etat considérait qu’il n’avait pas les finances, il avait arrêté les deux lignes à gare Saint-Lazare. Nous avons relancé la demande d’un prolongement d’Eole à minima jusqu’à la Défense. En particulier pour doubler la capacité du RER A, puisque le RER A a été une structuration et un facteur de développement de la Défense, mais aussi de l’Est parisien.

Les implantations de la BNP, d’Axa dans l’Est parisien sont très liées à la traversée du RER A [qui reliait rapidement ces endroits à la Défense], comme tout le développement de cette zone. A l’époque où j’étais président de la Chambre de commerce des Hauts-de-Seine, nous avions montré que toute création d’emploi à la Défense aboutissait à la création d’un autre emploi en Île-de-France, mais que cet emploi était très lié à la capacité de mobilité.

La classe moyenne des salariés de la Défense, jeunes cadres et cadres de premiers niveaux, techniciens, assistants de direction, logeaient pour beaucoup et logent encore dans l’Est parisien, où l’offre immobilière est plus importante et plus facile d’accès. Le RER A avait été un facteur de rapprochement du bassin d’emploi de la Défense avec l’autre côté de Paris, profitant ainsi à toute la région. Nous espérons qu’Eole renforcera cette capacité et ira encore plus loin avec l’Ouest et le Mantois.

Comment Aude a-t-elle défendu le projet de RER E ?

Le réseau RER E a le mérite d’irriguer tant l’Est que le Nord grâce à la gare de Magenta, directement connectée à la gare du Nord. Le RER A permet aussi de le faire mais son gros problème est son interconnexion, avec le point de concentration du Châtelet fortement saturé. L’argument que nous avons développé est qu’il était nécessaire de renforcer sa capacité et sa sécurisation par un doublement. Car nous avons vu qu’à chaque fois que le RER A était bloqué, c’est une véritable thrombose pour le réseau.

Le second point concerne la desserte. La Défense, en termes d’activités, a beaucoup de liens avec l’Europe du Nord-Ouest : Londres, Bruxelles, Amsterdam, Luxembourg… la liaison avec cette zone se fait par voie aérienne, mais en réalité beaucoup plus par le développement de l’Eurostar, du Thalys, du TGV Est, donc par le complexe des gares du Nord et de l’Est. Le RER E permettait un lien extrêmement rapide.

Le troisième point défendu était l’intégration de la zone de la porte Maillot, dont la capacité hôtelière, avec 2 500 à 3 000 chambres nous semblait importante, ainsi que le Palais des congrès qui offrait la possibilité d’avoir une grande capacité de congrès.

Auprès de qui avez-vous porté ces arguments ?

Nous avons défendu cette position face à un intérêt pour le moins limité d’à peu près tous ceux qui étaient concernés. En 2007, Sophie Mougard, la directrice du Stif (aujourd’hui Île-de-France mobilités, bras armé du conseil régional en matière de transports publics, Ndlr) me dit « vous avez raison, on y viendra bien, pour moi c’est 2035 à 2040 ». Christian Blanc, devenu sous la présidence de Nicolas Sarkozy, secrétaire d’Etat au Grand Paris, m’avait dit ne pas y croire.

À l’époque comme actuellement, le Stif dépendait de la Région. Je connaissais bien Jean-Paul Huchon (alors président socialiste du conseil régional, Ndlr) d’une vie antérieure, puisqu’il avait été banquier et moi aussi. J’avais obtenu qu’il soit neutre sur la Défense, après avoir été plutôt hostile. J’ai eu une opportunité d’accès à Nicolas Sarkozy via un de ses conseillers. J’ai rédigé une lettre comme président d’Aude, pour expliquer pourquoi le prolongement du RER E était tout à fait essentiel pour les habitants tout comme pour les entreprises et leurs salariés.

Pour donner à la démarche plus de poids que sous ma seule signature, j’ai demandé aux membres d’Aude et à quelques entreprises n’ayant pas encore adhéré de signer cette même lettre au niveau le plus élevé, c’est-à-dire les PDG ou directeurs généraux exécutifs. Ont signé les dirigeants de Saint-Gobain, Areva, Total, Axa France, au total 25 entreprises qui apportaient leur entier soutien à la demande du président d’Aude.

Ont-ils été entendus ?

Après deux mois, j’ai eu le bonheur de voir que Nicolas Sarkozy avait pris la décision de prolonger le RER E. Il connaissait parfaitement la problématique de la Défense, mais il a pris sa décision, et je dois dire que tous ceux qui étaient réservés – voire septiques – ont basculé avec beaucoup de loyauté sur le sujet : Christian Blanc, Sophie Mougard m’ont dit OK et ont soutenu le projet. Le processus a été lancé.

Le premier tracé était le tracé de la DUP (Déclaration d’utilité publique, Ndlr) remontant à 15 ans auparavant, qui ne passait pas par la porte Maillot. Le tracé avec une gare à Porte Maillot a été proposé comme une option permettant le renforcement de la ligne 1 et le croisement avec le RER C dans toute sa partie Nord-Ouest. Ça a rencontré un tel succès lors du débat public que ça a fait basculer l’option comme tracé principal, et le tracé initial est devenu une variante.

Nous avions vocation à éclairer le débat public et les décideurs politiques. Nous considérions que c’était un élément déterminant pour maintenir ce secteur, facteur de richesse très important pour l’Île-de-France comme pour la France, et lui permettre de se développer car nous savions qu’un certain nombre d’investisseurs hésitaient beaucoup à venir à la Défense. Du jour où la décision d’Eole a été prise, ça a modifié leur attitude et celle d’entreprises dont les baux arrivaient à expiration.

Aujourd’hui, vous militez de la même manière pour le Grand Paris Express ?

Le passé donne des clés de lecture aux problèmes actuels : c’est notre prochain combat. Je pense qu’il y a moins d’urgence, car Eole va modifier et renforcer radicalement les capacités de desserte du territoire. Le Grand Paris Express est important pour la circulation périphérique. Toutefois, les incertitudes pesant sur le projet, en particulier la ligne 17, rendent d’autant plus importante la décision de faire CDG Express.

Un des points pour lequel j’ai un regret très grand est le retard pris pour rejoindre le plateau de Saclay à la Défense. Beaucoup de grands groupes ont ou développent des capacités de recherche importantes sur le plateau de Saclay, et le lien est aujourd’hui aussi important pour le quartier d’affaires qu’il l’était hier avec l’Est parisien.

En pensant l’aménagement de l’Île-de-France, c’est une absurdité de vouloir faire du plateau de Saclay un centre de recherche universitaire extrêmement important, et d’avoir une desserte aussi déficiente. Je comprends la nécessité des arbitrages, mais on est là sur des investissements absolument majeurs si on souhaite de la cohérence.

La partie Nanterre – Saint-Denis du Grand Paris Express est également tout à fait essentielle, y compris si on va plus loin en termes de réflexion sur l’aménagement du territoire : la Défense est à quelques kilomètres de la boucle Nord. Et actuellement, vous avez une desserte routière qui fait que l’A86 est congestionnée de manière absolument permanente, et la desserte en transports publics est très insuffisante !

Quelle est actuellement la finalité d’Aude ?

La première concerne le quotidien. Nous voulons refléter auprès de l’aménageur exploitant qu’est Paris La Défense, mais aussi des services de sécurité, les préoccupations au quotidien ou à court terme des entreprises, que souvent, elles n’ont pas la capacité ou l’envie d’exprimer toutes seules. Nous avons ainsi été amenés à intervenir sur les parkings Corolles et Reflets, sur lesquels il y avait une insatisfaction profonde des entreprises. Dans ce contexte, nous sommes une forme de syndicat représentatif des grands utilisateurs.

La seconde réflexion, consubstantielle à notre origine, est cette vision à beaucoup plus long terme, à 10, 15 ou 20 ans, de l’évolution de la Défense et de son urbanisme. Comment les investissements publics vont-ils être mis en phase avec la vision des investissements privés ? Vous avez trois catégories d’investisseurs : les promoteurs qui lancent des opérations en blanc, à relativement court terme soit 5 à 10 ans, les investisseurs proprement dits qui vont acheter, et puis les entreprises qui s’installent dans des locaux avec des baux de 6, 9 ou 12 ans.

Quand vous êtes dans cette démarche-là, vous avez besoin de comprendre ce qu’il va se passer. Vous n’allez pas investir de la même manière si l’environnement se dégrade, si les infrastructures de transport ne suivent pas, si les modes de vie n’évoluent pas. En tant qu’entreprise, vous devez vous placer dans un ensemble et faire évoluer cet ensemble.

Aude a peu de visibilité car le choix a été fait que notre efficacité passait par la discrétion. La capacité à nous exprimer directement et franchement auprès des différentes parties prenantes sans que qui que ce soit risque de perdre la face en dépendait. Nous ne mettons pas les débats sur la place publique, sauf si, à un moment donné, c’est le seul moyen de faire entendre le point de vue des entreprises. Jusqu’à présent, notre liberté de parler aux médias n’a pas eu à être utilisée pour cela.

« Nous ne mettons pas les débats sur la place publique, sauf si, à un moment donné, c’est le seul moyen de faire entendre le point de vue des entreprises », indique le président d’Aude, rencontré aux côtés de la secrétaire générale et seule salariée de l’association, Stéphanie Fournier.

Êtes-vous satisfait de l’évolution institutionnelle récente, jusqu’à la fusion de l’aménageur d’Etat et du gestionnaire départemental dans Paris La Défense, administré par le Département des Hauts-de-Seine ?

Les quatre ou cinq dernières années de la dernière mandature ont été complètement chaotiques (l’Etat et le Département se sont violemment affrontés jusqu’à la fusion, Ndlr). Toute cette phase a été extrêmement difficile, avec une position des fonctionnaires de Bercy très hostiles à toute évolution. J’ai assisté à des passes d’armes d’une violence verbale parfois extrême : on avait l’impression que deux armées ennemies s’affrontaient là où on aurait dû avoir un intérêt collectif qui l’emporte.

Nous en sommes sortis mais deux des aboutissements ne me semblent personnellement pas satisfaisants. Bercy a imposé à Paris La Défense un système comptable qui est très difficilement compatible avec l’exercice même de son métier. À ma connaissance, ça a été fait délibérément, avec ce sous-entendu : « Vous avez obtenu satisfaction en ayant la mainmise totale, en excluant l’Etat, mais nous allons vous empoisonner la vie. »

Deuxièmement, j’ai plaidé, lors de la rédaction de la loi [officialisant la fusion], pour que le monde économique soit représenté au conseil d’administration du nouvel établissement sous la forme d’une personnalité qualifiée. La logique aurait voulu que ce soit un représentant d’Aude, dont les membres sont présents et directement intéressés au développement du quartier d’affaires.

Mais le choix s’est porté sur une personnalité extérieure qui doit porter la voix du monde économique au sein du conseil d’administration. Cette capacité d’expression est tout à fait nécessaire pour moi : il est essentiel qu’elle soit en cohérence avec la vision des grandes entreprises du quartier d’affaires afin de s’assurer de la pérennité de leur présence.
La Défense est un bien collectif et pas un bien public. Le projet est né, bien sûr, de la décision politique, et des investissements publics ont été faits. Mais il est aussi né d’investissements privés gigantesques, et la contribution fiscale du monde économique, sous toutes ses formes, est elle aussi gigantesque. Ma position très personnelle est qu’il y a une surreprésentation fiscale du secteur privé qui justifierait l’attribution d’une voix au monde économique financeur.

Il y a de la part de l’ensemble public, qu’il s’agisse des responsables politiques, des hauts fonctionnaires du monde local comme national, une mise à l’écart, une suspicion à l’encontre du monde économique qui n’est pas de mise. La Défense n’aurait pas existé, n’existe pas aujourd’hui et n’existera plus demain s’il n’y a pas une contribution du monde économique. La Défense est un gigantesque projet public-privé permanent.

Quels sont les qualités et défauts de la Défense aujourd’hui ?

Dans son fonctionnement quotidien, de très gros progrès ont été faits. Defacto (établissement gestionnaire ayant précédé Paris La Défense, Ndlr) a fait de gros efforts pour mieux comprendre les problèmes rencontrés, pour faciliter la vie des uns et des autres, notamment une amélioration de la vision sur l’animation. Malgré tout, cela n’a pas encore réussi aujourd’hui à réconcilier ceux qui ne connaissent pas la Défense avec le quartier d’affaires.

Ce qui est frappant, d’une manière même étonnamment marquée, est que ceux qui fréquentent énormément la Défense l’aiment beaucoup. Même s’ils ont des critiques sur les transports, les problèmes de flux et les insuffisances de fonctionnement de certains équipements, vous avez globalement un degré de satisfaction très élevé, et les études faites par Defacto l’ont montré.

En revanche, jusqu’à présent, ni Defacto ni Paris La Défense n’ont su convaincre convenablement la population de Paris et de la petite couronne de l’intérêt de ce secteur. Pour parvenir à développer une vie au-delà du créneau 9 h – 18 h, il faut des gens qui viennent le soir, même la nuit, et pendant le week-end. Paris La Défense Arena, avec qui l’Aude entretient d’excellentes relations, est une très belle initiative à cet égard… mais il en faut d’autres, beaucoup d’autres… Il doit y avoir des points d’attraction autres que les 4 Temps et le Cnit aux succès desquels, soit dit en passant, nos membres contribuent largement.

Paris La Défense l’a parfaitement compris, notamment avec toutes les réflexions sur de nouveaux centres de restauration, qui sont aujourd’hui importants. Mais tous ces développements ne pourront vivre qu’à partir du moment où ils ne vivront pas seulement avec la clientèle locale de salariés et de résidents. Il faut que l’image change complètement.

Cela nécessite une campagne d’image (en cours, Ndlr) et un renforcement, encore et toujours, de la signalétique. Des progrès ont été faits mais restent insuffisants, il y a besoin d’une sorte de déblocage psychologique pour que les gens ne se sentent pas perdus quand ils arrivent dans le quartier. La signalétique est un combat permanent, nécessitant peut-être pour l’évaluer un client mystère qui ne connaisse rien à la Défense et la découvre, opération à répéter en changeant le client tous les deux ou trois mois.

Quand vous connaissez bien le quartier, vous vous retrouvez facilement, mais nous avons 100 000 à 120 000 visiteurs qui viennent tous les jours. Il y a un environnement psychologique : quand ils ne sont pas pris par la main et qu’il y a une rupture de signalisation, les gens sont tout de suite perdus. Le diable est dans les détails : il faut être plus que parfait dans la signalétique. Cela reste une des raisons principales du rejet réel ou supposé des gens qui ne connaissent pas la Défense.