Depuis une dizaine d’années, l’entrepreneuriat est glorifié, du simple commerce à la start-up innovante. L’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête du pays en 2017 a encore un peu plus valorisé les créateurs d’entreprises de la désormais célèbre « start-up nation ». Un projet innovant, une envie de reconversion ou une passion, les acteurs économiques et publics ne cessent d’encourager la voie de l’entrepreneuriat.

Si l’idée est déjà un bon début, celle-ci ne suffit pas pour entreprendre. Il faut suivre des étapes précises allant de la création du business model à l’écriture des statuts et l’enregistrement de la société : une masse colossale de travail est nécessaire pour que le projet voie le jour. Mais le travail ne fait que commencer une fois l’enregistrement terminé. Il faut trouver les clients, obtenir des fonds et se constituer un réseau pour que le développement se fasse de manière pérenne.

Bien souvent, seuls les acteurs les plus informés des dispositifs d’encadrement et d’aide s’en sortent. La création d’entreprise serait alors possible à condition d’avoir l’argent, l’entourage et la maîtrise des codes privés comme publics propres au monde de l’entreprise. De l’idée naissante aux start-up vainqueurs de prix, La Gazette a pu rencontrer et découvrir le parcours de ces créateurs d’entreprise et identifier les difficultés qu’ils ont dû surmonter.

Ils ont été croisés en septembre, à une réunion d’informations animée par l’association BGE Parif, à l’atelier de travail sur le contexte entrepreneurial, en passant par la remise de prix du Fundtruck (Camion à fonds, Ndlr), ou à la réunion de suivi des gagnants 2018 du prix de l’innovation Paris Ouest La Défense (Pold). Ces entrepreneurs de la Défense, Puteaux, Courbevoie ou des Hauts-de-Seine ont raconté chaque étape de leur parcours, qu’ils aient été au chômage, en possession d’une idée innovante ou ayant tenté une reconversion.

« Sans les codes, sans un bon entourage et sans argent, c’est impossible de créer son entreprise, résume Nicolas Schu, trentenaire fondateur d’une application mobile destinée à la création simple et à teinte écologique d’événements, Upviewsly. Ou bien ils vont le faire et ça va se casser la gueule pour X ou Y raison […] le reste est du storytelling ! ». Quelque peu désabusé, il rappelle que derrière la création d’une entreprise se cachent un processus, des étapes à respecter.

Si l’idée est déjà un bon début, celle-ci ne suffit pas pour entreprendre. Il faut suivre des étapes précises : la création du business model, l’écriture des statuts et l’enregistrement de la société.

« L’entrepreneuriat, c’est beaucoup de travail, pose d’emblée Fati Mrani, fondatrice d’Avekapeti, un site internet de commande de repas faits maison. On ne fait pas cela en un claquement de doigts. Après avoir testé le concept par mes propres moyens, il m’a fallu six mois de travail seule dans ma chambre, juste pour pouvoir établir le modèle économique de l’entreprise et rédiger ses statuts juridiques. »

« Au début, on a peur d’en parler parce qu’on se dit que quelqu’un va le faire à [sa] place, raconte Nicolas Schu, qui travaille d’arrache-pied à la Défense pour le succès de sa jeune société. Sauf que cela demande, pour réussir, un énorme appui financier, tellement de temps et d’efforts que personne ne peut vous pomper l’idée. » Tel serait le périple qui attendrait chaque créateur d’entreprise. « Juste l’analyse de marché est colossale », poursuit-il.

« Pour le modèle économique, notre projet initial était un camion à sieste », se souvient Camille Desclée, cofondatrice de Nap & up, une jeune pousse qui propose des capsules de siestes pour les salariés des grandes entreprises. « Au bout de trois mois, on s’est rendu compte que ce n’était pas viable, le camion était trop coûteux, donc on a pivoté en passant sur des modules et des prestations évènementielles », continue-t-elle.

Si pour ces entrepreneurs, l’idée de base de leur projet était bien définie et plutôt innovante, les encouragements à l’entrepreneuriat poussent aussi parfois des personnes aux idées vagues, aux projets sous formes de bribes, vers la création d’entreprise. « Parfois, j’ai des personnes qui viennent à mes ateliers avec des idées inexistantes », avertit Sandrine Oeuvrard, coach certifiée d’ateliers au Guichet unique des entrepreneurs de Courbevoie.

Lors d’une réunion animée par une association d’accompagnement à la création de société, BGE Parif, le 10 septembre dernier, les participants étaient effectivement très vagues dans leur idée d’entreprise. Si certains étaient méfiants à la perspective de trop parler et de se faire voler l’idée, d’autres présentaient des projets manifestement flous, sans connaissance réelle de certaines étapes et contraintes. Plusieurs rapportent passer outre certaines d’entre elles sans s’en rendre compte.

Cette course frénétique aux financements se traduit par une recherche de visibilité supplémentaire et d’un élargissement du réseau à l’aide d’évènements et de concours, lesquels existent par dizaines.

À l’instar de ce couple sûr de son projet entrepreneurial, qui souhaite passer tout de suite à la partie juridique de la création d’entreprise. « Nous voulons d’abord créer la structure pour que toutes les dépenses soient encadrées », déclare le jeune homme. Le formateur lui demande alors s’il a défini son modèle économique et étudié le marché : « Non, pas encore… mais on peut le faire après, non ?»

Une jeune femme souhaite créer un site internet de commerce de médecine douce à partir de produits importés, composés d’huiles essentielles et de crèmes. Elle a déjà planifié son voyage pour aller tester les matières premières de ses produits. Le formateur semble effaré : « Mais vous êtes-vous renseignée sur les frais de douanes, les normes européennes et françaises pour ce genre de produits ? »

« Il y a des normes ? », lui demande alors la jeune femme qui se posait davantage la question de savoir si en créant d’abord sa société, elle serait exemptée de payer la TVA sur ses billets d’avions. À un atelier de travail sur le contexte personnel de l’entrepreneuriat, l’une des participantes, partie suite à un plan de départs volontaires d’un grand opérateur téléphonique, ne semble pas avoir d’idées bien définies : « Je souhaite monter un projet d’application qui mêlerait ma passion du golf, et aussi mes origines. »

Ces exemples de créateurs de jeunes entreprises en difficulté sont également nombreux au Café des créateurs seniors, organisé mardi 24 septembre dernier, là encore au Guichet unique à Courbevoie. Un premier entrepreneur, aujourd’hui sexagénaire, explique : « Je fais des cours d’informatique à domicile pour les personnes âgées depuis 2005. »

« C’est difficile », confie-t-il. Le « bouche à oreille », seul point sur lequel il compte pour se faire connaître, ne fonctionne pas. « Aujourd’hui, les gens sont de plus en plus connectés, ils ont moins besoin de moi », se désole-t-il en assurant que même « ses clients fidèles » ne pensent pas à le recommander à leurs amis.

« Le développement initial [représente] 3 000 euros. Puis à partir de là, entre l’idée et la venue à la vie du site internet, il y a eu 25 000 euros de dépensés », selon Fati Mrani, fondatrice du site de livraisons de plats faits maison, Avekapeti.

Fatima, 41 ans, songe, quant à elle, à lancer sa boutique de produits cosmétiques pour cheveux. Coiffeuse depuis ses 16 ans, elle a consacré toute sa vie à ce métier. Mais une grosse tendinite, trop tardivement soignée, l’a poussée à arrêter son travail après un an d’arrêt maladie. Elle vient depuis plusieurs semaines au Guichet unique. Elle en est au début de sa réflexion, mais sa priorité est de trouver « un local pour [se] lancer », explique-t-elle.

Pour ceux qui sont plus avancés, une fois l’idée travaillée à l’aide de l’étude de marché, du modèle économique et de la rédaction des statuts, il faut mettre en place le projet. Là encore, un réseau aide grandement. « Mes dépenses de création d’entreprise, en réduisant au maximum les coûts, étaient de 800 euros, énumère Nicolas Schu de sa petite start-up Upviewsly. J’ai un avocat dans la famille qui m’a permis de faire les statuts légaux de l’entreprise, et un ami graphiste m’a fait mon logo. »

Être accompagné de manière plus institutionnelle serait aussi bien souvent une nécessité vitale, témoignent les plus aguerris des créateurs d’entreprise croisés, notamment pour la mise en place et le développement de l’activité. « Je suis passé par deux incubateurs qui ont permis de développer le concept et de le tester », détaille Nicolas Pereira, cofondateur de Solylend, une plateforme en ligne de prêt participatif à des projets de l’économie sociale et solidaire. « J’ai pu bénéficier du statut étudiant-entrepreneur et intégrer l’incubateur de Paris-Dauphine », se rappelle Fati Mrani d’Avekapeti : « Cela permet d’avoir un accompagnement et de bénéficier du réseau de l’école. »

Camille Desclée, cofondatrice de Nap & up, a également pu bénéficier du statut étudiant-entrepreneur et être « préincubée » par Paris-Dauphine. « Nous avons pu bénéficier des réseaux des écoles Polytechniques et Agro Paris tech, leurs incubateurs, et désormais l’accélérateur d’entreprises financé par Patrick Drahi (propriétaire de l’opérateur SFR, Ndlr) et Polytechnique », explique Clément Benassy, cofondateur de Néolithe, jeune pousse qui transforme les déchets en granules.

Mais que faire si l’entrepreneur n’a pas l’appui de réseaux issus des établissements où ils ont fait leurs études ? « Je ne connais pas assez de personnes pour intégrer un incubateur, précise Nicolas Schu. J’ai donc un suivi gratuit de la part de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) avec des rendez-vous réguliers d’accompagnement. »

« Sans les codes, sans un bon entourage et sans argent, c’est impossible de créer son entreprise », selon Nicolas Schu, trentenaire fondateur d’une application de création d’événements, Upviewsly.

La formatrice certifiée Sandrine Oeuvrard indique, elle, avoir pu se lancer dans l’entrepreneuriat grâce à son parcours dans le privé comme à des formations : « Mon expérience dans le privé chez Nissan, Chanel et l’Oréal, m’a permis de me former dans les compétences nécessaires à la création de mon entreprise. »

« Etant donné le coût de la sous-traitance, on est obligé de se former, donc c’est très utile sur certains points, mais parfois, on perd du temps et on se forme frénétiquement au dépend du projet lui-même », alerte cependant Nicolas Schu. « La solitude me faisait peur, les formations et ateliers sont pas mal pour rompre avec cela, mais il faut aussi savoir dire stop », abonde Sandrine Oeuvrard.

Jocelyne, retraitée dynamique qui tricote écharpes et tours de cou comme complément de revenus, n’a pour sa part que du bien à dire des opportunités de formation. « J’ai fait moi-même mon site internet avec la boutique en ligne grâce à une formation », se félicite la sexagénaire avec une écharpe fait-main autour du cou.

« On est clairement sur un entrepreneuriat à deux vitesses, estime Sandrine Oeuvrard. Il y a ceux qui ont le réseau et les connaissances suffisantes pour s’en sortir en travaillant beaucoup, puis il y a les autres. » Une idée partagée par Nicolas Schu qui a remarqué, de l’aspect plus financier, « deux temporalités pour les levées de fonds : les entreprises qui sont dans la recherche et développement, elles ont besoin de fonds immédiatement […], les autres, il faut que le produit soit déjà approuvé par les consommateurs pour espérer obtenir de l’argent. »

« J’ai pu faire le développement initial à partir de 3 000 euros. Puis à partir de là, entre l’idée et la venue à la vie du site internet, il y a eu 25 000 euros de dépensés », se souvient ainsi Fati Mrani, la fondatrice du site de livraisons de plats faits maison. Pour Clément Bénassy, de Néolithe, il a fallu « une enveloppe de 5 000 euros » pour lancer sa société.

Cette course frénétique aux financements se traduit par une recherche de visibilité supplémentaire et d’un élargissement du réseau. Pour cela, il existe aujourd’hui de nombreux évènements et concours qui octroient à minima de la visibilité, sinon des gros sous. Publics ou privés, ils sont maintenant pléthoriques, partout en France, y compris dans les Hauts-de-Seine : Made in 92, le Fundtruck, le prix de l’innovation Paris Ouest La Défense (Pold)…

« J’ai participé à beaucoup de concours et on a été finalistes d’une vingtaine d’entre eux, compte Fati Mrani. Ça m’a formé, j’ai pu avoir du réseau. » Nicolas Pereira de Solylend explique utiliser le « répertoire mensuel des concours start-up du journal Les Echos », afin de continuer à se faire connaître : « On décide de participer si on estime avoir de bonnes chances d’être identifiés par des investisseurs potentiels et des réseaux. »

Il existe une liste pléthorique de concours de start-up en France, y compris dans les Hauts-de-Seine : Made in 92, le Fundtruck, le prix de l’innovation Paris Ouest La Défense (Pold)…

« Depuis le début, nous avons participé à une trentaine d’évènements, comptabilise Clément Bénassy de Néolithe. C’est chronophage mais après, c’est une stratégie assumée nous permettant de faire venir les clients et investisseurs potentiels. » Pour le duo de Nap & up, une dizaine de concours gagnés ont permis d’élargir les rangs des investisseurs et de développer le projet, qui compte aujourd’hui pour les clients de grosses sociétés du quartier d’affaires.

Une fois l’activité stabilisée, les entreprises doivent enchaîner les levées de fonds afin de pouvoir survivre d’abord, grossir ensuite. Pour Néolithe, il faut pouvoir lever pas moins de « deux millions d’euros pour financer la recherche et le développement », estime Clément Bénassy. Quant aux autres, ils ont un plan de financement précis en tête, avec des échelles différentes selon l’activité et l’ambition.

Pour Nicolas Pereira, de la plateforme solidaire de financements, Solylend, « un troisième plan de financement à hauteur de 800 000 euros est en cours, après un financement initial de 180 000 euros et un second de 500 000 euros. » De même pour Fati Mrani du site de livraisons de repas Avekapeti. « Le premier exercice comptable avait demandé 180 000 euros en levée de fonds, se souvient-elle. La seconde vague sera de 600 000 euros si tout va bien. » Jusqu’à la suivante.

Jeunes pousses ou sociétés établies : qui échoue, et pourquoi ?

Si l’entrepreneuriat peut être une belle aventure, mieux vaut être préparé aux conséquences parfois rudes d’un échec. « Vous entrez dans un tribunal, vous êtes chef d’entreprise et vous ressortez, vous n’êtes plus qu’un numéro de dossier et vous avec tout perdu », synthétise Franck Hégelé, délégué général de l’association 60 000 Rebonds. Cette dernière accompagne les entrepreneurs passés par une liquidation, elle est notamment présente dans les Hauts-de-Seine, à Courbevoie.

« C’est très violent, […] c’est un traumatisme professionnel, financier et personnel », assure-t-il en évoquant les conséquences financières mais aussi familiales qu’une liquidation judiciaire peut avoir pour un entrepreneur. « Vous avez une stigmatisation sociale dans laquelle le mot échec est associé à de l’incompétence, alors que c’est faux », poursuit le membre de l’association qui soutient gratuitement des entrepreneurs de tout âge, bien qu’ils soient majoritairement masculins et quinquagénaires : « Nous avons 30 % de femmes », précise-t-il des accompagnés.

Pour Franck Hégelé, difficile de pointer du doigt un secteur en particulier qui serait particulièrement touché par les liquidations. « Quand le BTP souffre, on dit que l’économie va mal. Donc on a des portions importantes du secteur de la construction. On a eu du commerce, l’hébergement, la restauration », énumère-t-il.

Pour les liquidations, « les causes sont diverses et variées », estime Franck Hégelé. « Ce sont des retournements de marché, une trésorerie insuffisante, une discorde entre des associés », indique-t-il en précisant que tous les secteurs d’activité sont touchés. « Ce sont surtout des TPE et des PME », remarque-t-il tout de même.

« Elles ont une très forte sensibilité à ce qu’il peut se produire dans leur environnement ou en interne, analyse le délégué général de 60 000 Rebonds. Un client qui ne les paie pas dans les temps, ça peut les mettre dans une situation d’extrême fragilité. » L’association compte d’ailleurs présenter prochainement une étude sur les causes de la liquidation des entreprises qu’elle a observé.

En aidant ces patrons d’entreprises, 60 000 Rebonds a pu observer « un spectre très large » d’entreprises liquidées. « Il y a des entreprises qui ont une durée de vie de un an et d’autres qui ont une trentaine d’années, souligne-t-il. Mais ce dont on s’est rendu compte, toujours à travers notre prisme, c’est que les entrepreneurs ont souvent entrepris vers l’âge de 40 ans et ont été à la tête de l’entreprise pendant au moins huit ans », avant que celle-ci ne soit finalement liquidée.