En mai dernier, Le Parisien révélait le projet de réorganisation du groupe EDF en deux entités distinctes. L’une sous le giron de l’État rassemblerait ainsi le nucléaire, l’hydraulique et l’acheminement de l’électricité, l’autre privée ayant à son compte le renouvelable, le réseau de distribution (Enedis) et la vente.

Nommé Hercule, le projet a provoqué une levée de boucliers de la part des syndicats et des salariés, lesquels refusent la privatisation d’une part importante du groupe. Après plusieurs actions des syndicats et salariés du groupe en mai et septembre 2019, l’intersyndicale a été reçue à l’Élysée fin octobre. Depuis, personne ne communique plus sur le projet dans le détail, que ce soit au ministère de la Transition écologique ou à la direction d’EDF.

D’après un nouvel article publié par la Tribune au mois de décembre 2019, la direction du groupe travaille tout de même dessus pendant que le gouvernement serait également en discussions avec Bruxelles pour revoir la réglementation en vigueur sur le prix de l’électricité produite par le nucléaire. Les syndicats ne sont pas sereins concernant leur avenir et celui du groupe, tout comme les salariés. Et pour cause, le projet Hercule prévoit la privatisation de 35 % du groupe actuel.

Si Hercule est à la mythologie grecque un héros surpuissant, il est au groupe EDF le nom d’un titanesque projet de réorganisation en deux entités bien distinctes. La première comporterait l’activité nucléaire, les barrages et le réseau d’acheminement d’électricité, soit, entre autres, les sociétés RTE et Orano (anciennement Areva,Ndlr). La seconde, entièrement privatisée aurait ainsi le réseau de distribution d’électricité, actuellement géré par Enedis, le renouvelable et la partie commerciale.

Depuis le passage d’EDF en société anonyme en 2004, l’État français, actionnaire majoritaire du groupe a pu obtenir 22 milliards d’euros de dividendes. Une somme importante que le gouvernement actuel entendrait bien augmenter dans un futur proche, en cédant en bourse 35 % du groupe, permettant à Bercy (Ministère de l’économie, Ndlr) de faire de nouveaux bénéfices.

À la suite de la révélation de l’existence du projet par Le Parisien en mai dernier, les syndicats et les salariés du groupe se sont rapidement mobilisés contre le projet. Ils ont multiplié en mai et en septembre les jours de grève. Le projet a « une vision court-termiste et financière du groupe », selon Eric Lemoine, délégué syndical à la CFDT, en charge du dossier.

Le nucléaire serait ainsi dans l’entreprise « EDF bleu », détenue par l’État français, ainsi que les barrages et la société Réseau de transport d’électricité (RTE) qui s’occupe de l’acheminement.

« La réorganisation ne donne pas de stratégie sur le long-terme, ni une feuille de route d’investissements pour l’avenir  », ajoute la CFDT. « On privatise ce qui rapporte et on nationalise ce qui coûte de l’argent », regrette Laurent Hérédia de la CGT mines énergies.

Fin octobre, les syndicats du groupe ont été reçus par les conseillers économiques de l’Élysée pour discuter du projet, et calmer la fronde. Il n’en fût rien selon Force ouvrière (FO) énergies et mines qui estime dans un communiqué publié après la rencontre que le projet Hercule se compose d’objectifs « incompatibles » et regrette le fait que « l’État impose à EDF des injonctions contradictoires ».

Quelques mois après, et en pleine contestation nationale de la réforme des retraites, à laquelle participent massivement les salariés du groupe, le projet est toujours sur la table de la direction et du gouvernement, rapporte, le 19 novembre dernier la Tribune. Contacté par la Gazette, le ministère de la Transition écologique, également en charge des transports et de l’énergie, n’a pas souhaité répondre renvoyant vers à la direction d’EDF.

Cette dernière confirme « travailler sur le projet à la demande du gouvernement, mais ne peut pas encore communiquer sur la question pour le moment. » Du côté des syndicats en charge du suivi du dossier, « C’est le flou artistique », regrette Laurent Hérédia de la CGT. « Pour le moment, le projet est suspendu, affirme Eric Lemoine à la CFDT. La direction et le ministère baladent un peu tout le monde en se renvoyant la balle ».

Contrairement à la CFDT, la CGT est plus méfiante sur l’avancée du projet. « Nous avons plusieurs sources qui nous indiquent que les personnes en charge du dossier et de sa mise en place travaillent encore dessus », annonce Laurent Hérédia.

Mais une enquête publiée le 11 décembre dernier par La Tribune affirme le contraire : le projet serait toujours prévu. Une nouvelle qui inquiète les salariés des différentes filiales du groupe comme les salariés concernés par les éventuelles mobilités liées à cette réorganisation.

« Ce qui sera public est toute la partie du groupe qui coûte de l’argent et celle privatisée, la plus rentable », regrette Laurent Hérédia, en charge du dossier à la CGT. Quant à la CFDT, elle prévoit de « ne pas accepter le projet Hercule en l’état, et sous aucune forme ».

« Nous souhaitons plutôt un vrai plan d’orientations économiques pour le groupe avec un plan d’investissements précis et bien sûr la conservation du statut intégré, demande Eric Lemoine, à la CFDT. Car la privatisation des entreprises qui intégrerait « EDF vert » représenterait 35 % du groupe et des filiales. »

« Une mine d’or pour le privé » selon la CGT. « Le nucléaire coûte de l’argent tout comme l’entretien des barrages hydrauliques, illustre Laurent Hérédia, mais la distribution d’électricité rapporte beaucoup d’argent : c’est le cas d’Enedis qui a réalisé plusieurs milliards de bénéfices nets depuis sa création ». L’entreprise composée de 10 000 salariés et forte de 14,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018 est directement concernée par le plan.

« Quand on regarde, le projet, il vise à donner au privé ce qui rapporte, estime Laurent Hérédia de la CGT. Prenez l’exemple d’Enedis, [entreprise en charge de la distribution d’électricité du groupe], la filiale représente un investissement d’un milliard d’euros, mais en rapporte quatre milliards à la fin de l’année… » Selon le syndicaliste, l’important bénéfice net de l’entreprise permet à EDF de rester compétitif : « Retirer toutes les activités qui rapportent revient à retirer encore des sources de revenus pour le groupe ».

Le gouvernement essaie pourtant de satisfaire l’ensemble des acteurs impliqués. Mais les salariés et syndicats ne sont pas dupes de la portée de ce projet, comme l’explique un opposant au projet cité par le journaliste de La Tribune : « Dans ce schéma, on laisse au secteur privé les activités régulées d’EDF, comme Enedis, Dalkia, l’outre-mer, ou EDF ENR ! Les marchés financiers vont être contents. »

Le syndicaliste Laurent Hérédia explique qu’en parallèle de ces premières discussions, il y « aurait également un travail en cours à Bruxelles pour négocier auprès de la Commission européenne une réforme de l’Arenh [accès régulé à l’électricité nucléaire historique, Ndlr]. »

Les filiales du groupe « rentables » comme Enedis, en charge de la distribution, et Dalkia pour les services seraient intégrées à « EDF vert » et leurs actions mises en bourse.

L’Arenh mis en place depuis le 1er janvier 2012, prévoit un tarif régulé pour 15 ans du prix de l’électricité nucléaire afin que les fournisseurs alternatifs puissent en vendre. Cette règle ne permet pas à EDF de pouvoir rentabiliser par la vente d’électricité aux fournisseurs tiers, ses investissements coûteux dans son parc nucléaire.

Jusqu’en 2027, le tarif de l’électricité produite par le nucléaire Français est donc fixé à 42 €/MWh. Un prix bien inférieur aux coûts de production et d’entretien des centrales nucléaires. Faire sauter ce verrou réglementaire permettrait ainsi au gouvernement de pleinement pouvoir appliquer le projet Hercule avec la privatisation de la vente d’électricité et le maintien du nucléaire dans le giron de l’État.

Si le projet semble ravir les acteurs privés, Hercule reste encore très flou, plongeant les salariés du groupe dans le doute. Parmi les 166 000 salariés du groupe, ceux d’Enedis, au nombre de 10 000 sont particulièrement concernés par le projet. Les salariés s’inquiètent de leur avenir et de celui du groupe.

Interrogés lors d’une manifestation contre le projet en octobre dernier, les salariés se sont dit déçus par la trajectoire donnée au groupe. « On va être immédiatement privatisé et c’est la sécurité de l’emploi et les conditions de travail qui vont en pâtir », regrettait alors Alain Delaunay, agent d’Enedis en région parisienne. « Il n’y a aucune vision d’ensemble pour le groupe, ni de projet industriel concret », regrettait un autre salarié présent ce jour-là.

Si les différents acteurs travaillent encore sur le projet Hercule, sa mise en place initialement prévue pour la fin de l’année dernière est retardée par le climat social tendu avec les manifestations et les grèves contre la réforme des retraites. Avec un taux de grévistes important depuis le début du mouvement, la production de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord) a par exemple dû être interrompue du 9 au 11 janvier.