Lundi matin, 7 h. Celui de la rentrée des classes pour les écoliers et bien des salariés, celui de la rentrée des petit déjeuners pour un petit groupe de personnes rassemblées devant l’église Notre-dame de Pentecôte, située sur le parvis de la dalle. A quelques mètres, le vieux carrousel ne tourne pas encore. Le quartier d’affaire s’éveille timidement. Ce 3 septembre, Louis, Gabriel et les autres font aussi leur retour.

Ils ont passé près d’un mois sans petit déjeuner, et sans le fameux « p’tit café » proposé tous les lundis matin dans les locaux de l’Église catholique, puis du mardi au vendredi à la Maison de l’amitié. Salariés et étudiants désertent la dalle tous les étés, c’est aussi le cas des sans-abris qui, à cette époque de l’année, sont orientés vers d’autres structures de la capitale. Les onze autres mois de l’année, ils croisent les dizaines de milliers de salariés sans faire lever un sourcil.

Assis autour d’un café et d’une tartine de pain beurre – confiture, les habitués se saluent, semblant heureux de se retrouver. La scène pourrait se dérouler dans n’importe quel café d’une ville française, la différence ne serait pas plus perceptible. Louis porte un pull marin et arbore un bonnet floqué du logo de la Fédération française de football.

D’après ce quarantenaire, sur la dalle, « tout le monde est clean », SDF compris : « On se fond dans la masse. » Antoine de Tilly, directeur de la Maison de l’amitié, qui organise ces petits déjeuners, reconnaît que les sans-abris de la Défense ne sont pas tout à fait comme les autres : « Il y a beaucoup de SDF que l’on ne peut pas reconnaître, qui portent des vestes, une chemise… »

Une des spécificités du quartier semble résider dans l’homogénéité des apparences, la distinction entre personnes en grande précarité et salariés ou habitants n’est donc pas flagrante. Et d’ailleurs, la majorité des personnes présentes à ces petits déjeuners s’en tiennent à vivre là en journée : « Beaucoup de SDF se tiennent et ne font pas la manche » commente Antoine de Tilly.

Louis ne dort pas sur la dalle. Il vivait à Créteil (Essonne), mais après de nombreuses disputes avec sa femme, il s’est retrouvé d’abord chez un cousin, puis à la rue. Cela fait bientôt deux ans qu’il vient presque tous les jours, grâce notamment à son assistante sociale, qui lui a permis d’obtenir un passe Navigo. « Il y a des gens qui viennent de partout, confie-t-il. C’est un espace de transition. »

Selon Louis, la relation avec les habitants et les salariés y est elle aussi différente, « plus respectueuse » et « plus agréable » qu’ailleurs. « Il y a un côté attrayant à la Défense. C’est un lieu symbole des gens qui réussissent, c’est aussi un lieu qui bouge, où il y a tout le temps du mouvement, analyse de son côté le directeur de la maison de l’Amitié. Ils observent, et c’est un peu comme un spectacle, ça évite l’ennui. »

La relation avec les policiers serait aussi plus apaisée. « Quand on boit, ils ne nous disent rien », commente Louis en avalant une gorgée de café. Parmi les sans-abris, beaucoup sont juste de passage pour les petits déjeuners, comme pour bénéficier des services et activités de la maison de l’Amitié, à l’instar de Louis.

Un certain nombre dorment aussi dans les recoins des parcs de stationnement souterrains, comme le jeune Gabriel. « Quand il commence à faire froid, comme maintenant, les parkings sont plus investis » explique donc Gabriel, 26 ans, qui témoigne régulièrement dans les médias. Il investit le plus souvent les recoins des parkings du Cnit ou du centre commercial des 4 Temps. Peuplés d’invisibles, les souterrains offrent aussi un toit aux sans-abris.

Au petit déjeuner ce lundi de rentrée, certains discutent, d’autres préfèrent passer ce moment en solitaire. L’être humain est au centre d’un débat houleux entre trois jeunes. Les avis divergent et se répondent. Une chose est sûre, la Défense est un quartier très spécial pour ces personnes en grande précarité.