L’association Entourage, créée lors de l’hiver 2016, s’est implantée dans les Hauts-de-Seine en décembre dernier. Pour faire connaître son action et son application mobile, elle organise des apéritifs tous les troisièmes lundis du mois au café le Mond. L’objectif : créer des connexions entre des sans-abris qui souffrent souvent de solitude, et ceux qui n’osent pas forcément aller à leur rencontre.

Ce lundi 21 janvier, une vingtaine d’habitants, travailleurs et personnes en situation de précarité se rencontrent et partagent un moment dans ce café cossu du square des Corolles, au pied de la tour Enedis.« Vous voyez, on n’a pas peur du choc des cultures ! » sourit Claire Duizabo, de l’association Entourage. En entrant dans le café-restaurant le Mond, endroit d’habitude réservé à une clientèle d’affaires, plus habitué à accueillir des costumes-cravates que des personnes en situation de précarité, les curieux se dévisagent discrètement.

À la façon d’un speed dating, l’association multiplie les astuces pour briser la glace : les convives remplissent un petit carton avec leur prénom, y dessinent un smiley avec leur humeur du jour, puis ajoutent le personnage de fiction qu’ils aimeraient incarner. L’association propose un « bar suspendu » : à l’image du « café suspendu », ceux qui le souhaitent peuvent payer une consommation d’avance, ceux qui n’en n’ont pas les moyens peuvent récupérer celles qui sont disponibles.

Une partie de cartes s’organise pour mettre en lien habitants et SDF. Une bonne façon de briser la glace selon Charlaine.

« C’est notre deuxième apéro, on compte faire ça tous les troisièmes lundis du mois », explique l’association. Pour se faire connaître, Entourage compte sur les réseaux sociaux, son application mobile (voir encadré), mais également sur les acteurs sociaux des Hauts-de-Seine qui forment depuis 2017 le réseau de solidarité de la Défense (voir encadré) : le Carillon, le Chaînon manquant, et surtout la Maison de l’amitié.

Alexandra, qui habite Courbevoie, entre dans la café, l’air un peu perdue : « J’ai vu passer un tweet, alors j’ai installé l’appli ». Cette fille de parents immigrés qui ont connu la répression aux Honduras cherche dans cet apéritif le courage d’aller aider les plus démunis : « J’hésitais à sauter le pas, je pense que j’ai besoin de voir des gens comme moi, nouveaux, qui ne sont pas forcément impliqués dans ce genre d’actions solidaires. »

Après quelques moments d’hésitation, elle rejoint Charlaine, sur une table où l’on se livre une bataille de cartes acharnée. « Ça tombe bien, j’adore les jeux de cartes », sourit-elle en s’asseyant à côté de sa nouvelle partenaire. Pour cette dernière, ces petits moments sont riches, car « pouvoir parler d’égal à égal avec des gens qui sont ignorés, ça donne du sens à la vie ».

Au sein d’Entourage, plusieurs personnes en situation de précarité, comme Mickaël et Rachid, présents lors de l’apéritif, constituent le « comité de la rue ». Lorsque l’association doit prendre des décisions ou communiquer sur des initiatives qu’ils veulent encourager, ils consultent le comité qui a droit de veto. « Ça nous permet de voir si on vise juste ou si on est à côté de la plaque, parfois, des idées qui peuvent nous sembler bonnes ne sont pas en phase avec ce qu’ils vivent dans la rue », explique l’association.

L’un des habitués de la Maison de l’amitié a tenu à écrire un poème pour l’installation d’Entourage à la Défense.

Ainsi, lorsqu’Entourage leur a demandé s’il pensaient qu’il fallait s’impliquer dans le recensement des SDF organisé par la mairie de Paris lors de la Nuit de la solidarité, le comité de la rue leur a opposé une fin de non-recevoir. « Ça ne sert à rien parce que c’est de la com’, tranche Rachid. On ne veut pas faire du comptage, déjà, parce que les associations qui ont notre confiance, comme celle de l’Abbé Pierre, ont déjà ces chiffres. Ensuite, on n’a pas envie de servir à redorer le blason de l’Etat, qui aurait pu nous aider depuis des dizaines d’années s’il le voulait vraiment ! »

Les actions permises par l’application, elles, semblent bien plus chères aux SDF interrogés ce soir-là. Mickaël, qui a un temps dormi dans la rue tout en travaillant à la RATP, raconte ainsi que l’application lui a rendu un fier service : « Une bande de mecs a taillé ma tente au cutter un soir. J’ai fait une demande sur l’application, et un gars m’a répondu, je l’ai retrouvé à la sortie de son taff, et il m’a donné une tente ! »

Depuis, le donateur, qui souhaite garder son anonymat, l’invite tous les mois à déjeuner. Le temps passant, les deux hommes se sont liés d’amitié, et Mickaël a même rencontré l’épouse et la fille de celui qui l’avait aidé. Retrouvant une situation plus stable et un toit sur la tête, Mickaël n’a pas oublié la belle histoire, et est d’ailleurs parti en vacances avec la famille, au Maroc.

Une application mobile pour venir en aide aux plus démunis

Le cœur de l’association Entourage repose sur son application mobile éponyme, aussi accessible avec un site internet. Avec ses 53 000 inscrits, l’application, lancée lors de l’hiver 2016, a permis de créer 53 000 actions solidaires, comme « aider à faire des CV, des dons de produits d’hygiène pour femme, de chaussures par exemple », explique, Claire Duizabo, salariée de l’association présente à l’apéritif suspendu du café le Mond lundi 21 janvier.

Si un support technologique comme le smartphone nécessaire à l’application pourrait sembler hors d’atteinte de ceux qu’il vise à aider, Rachid, SDF du « comité de la rue » de l’association, bat l’idée en brèche. « Il y a au moins 30 à 40 % des SDF qui ont un smartphone, indique-t-il. Chez Emmaüs, on peut louer un smartphone pour quelques euros par mois. Et pour l’accès internet, c’est encore plus simple, on en trouve dans les bibliothèques, les mairies, les centres solidaires… »

« J’avais un nouveau « voisin », Nicolaï, qui s’était fait voler son sac de couchage et qui se sentait seul, tout en ne parlant pas le français, donne en exemple Claire Duizabo. Grâce à l’application, on a sollicité le réseau, et on a pu lui trouver un sac de couchage, et quelqu’un qui savait parler roumain pour qu’il ait quelqu’un avec qui discuter un peu. »

« Pour créer ces actions solidaires, on respecte une charte éthique stricte. On doit toujours demander la permission de la personne pour laquelle on fait une action solidaire, on ne géolocalise pas non plus la personne que l’on veut aider, mais on met une zone de « chaleur » d’environ 200 mètres autour d’elle », rassure la salariée des questions de vie privée.

Enfin, l’application recense sur une carte GPS tous les centres d’aide pour les gens en situation de précarité : là où il peuvent trouver un repas chaud, se doucher ou recharger leurs batteries de téléphone. « L’idée, c’est que si un SDF vous demande une information de ce type, vous puissiez sortir votre téléphone et lui indiquer où se rendre », termine la responsable.

La Maison de l’amitié « ravie » de cette présence à la Défense

Parmi les SDF présent à l’apéritif du lundi 21 janvier, Mohand connaît bien la Maison de l’amitié. Il a d’ailleurs découvert l’apéritif par une annonce à l’accueil du centre d’aide du quartier d’affaires. Rien de surprenant, sachant qu’Antoine de Tilly, le directeur de la Maison de l’amitié, voit dans l’action de l’association un objectif commun, et une complémentaire sur des sujets qu’ils ne peuvent pas traiter.

« On pense qu’il y a de la place pour tout le monde pour ce genre d’actions solidaires, il est important de faire venir d’autres associations sur le territoire de Paris La Défense » explique le directeur. « Ils s’occupent d’organiser des apéritifs, des rencontres, de créer du lien social, nous, on trouve ça très bien, d’autant plus que nous n’avons pas forcément le temps de le faire, résume-t-il. Ça va dans le sens du partage, de la création de lien, de la bienveillance et du changement de regard que l’on peut avoir sur ces personnes en situation de précarité, donc forcément, on les soutient. »

Il pointe également du doigt une complémentarité des actions sociales : « On est sur un accueil de jour, avec des travailleurs sociaux dédiés. Lorsque des gens en situation de précarité vont aux actions de l’Entourage, ça permet aussi d’activer les réseaux, pour que ceux qui le souhaitent puissent venir se faire conseiller de venir à la Maison de l’amitié, pour qu’on leur propose un accompagnement social, par exemple. »

PHOTOS : LA GAZETTE DE LA DEFENSE