Immeubles, tours, bétons, bureaux. À première vue, le plus important quartier d‘affaires d’Europe continentale n’est pas le plus romantique qui soit… mais 180 000 à 200 000 salariés s’y rendent chaque jour pour travailler, ce qui agglomère en un espace réduit un nombre massif de célibataires en quête d’amour. D’un lieu où le business est roi, la Défense est-elle donc également un haut lieu de drague pour bien des futurs couples ?

L’application mobile française de rencontres géolocalisées Happn a ainsi constaté que la Défense était l’endroit de France où elle enregistrait le plus de « crush », ce moment où un de ses utilisateurs indique son appréciation positive d’un autre utilisateur. Elle a donc passé un partenariat plutôt insolite avec l’établissement public qui gère la Défense, ce dernier souhaitant surtout retenir les salariés dans le quartier d’affaires pour leur premier verre (voir encadré).

Pour mener l’enquête, je me suis parée du matériel indispensable à la célibataire chevronnée : un téléphone muni des applications de rencontre les plus populaires, la française Happn et l’américaine Tinder. Après quelques succinctes conversations tenues au gré des « match » ces dernières semaines, il est apparu évident que si La Défense était bien un lieu de rencontres virtuelles, le quartier d’affaires n’était pas encore une terre des rendez-vous IRL (In real life, Ndlr).

Si l’on regarde de plus près les statistiques, le pic d’activité se situe juste avant la pause déjeuner, et également aux alentours de la fin de journée, avant de quitter le bureau, vers 19 h.

Baptiste, 25 ans, consultant chez Deloitte depuis un an, mord rapidement à l’hameçon. « Ça fait un mois que je suis sur cette appli, j’ai rencontré des filles cools », me confie-t-il. Mais lorsque je lui demande s’il a l’habitude de rencontrer ces filles à La Défense, sa réponse fuse : « Je sais pas si tu as déjà essayé de sortir à la Défense, mais c’est un peu galère, il n’y a pas grand-chose, je sors plus sur Paris en général. »

Idem pour Sam, 27 ans, qui travaille chez Total. Il me propose rapidement d’aller boire un verre avec lui : « Je préfère en parler en réel, ça me fera un premier rendez-vous via l’application en trois ans !, s’exclame-t-il. Mais on ferait mieux de se retrouver ailleurs qu’à la Défense, c’est plus sympa plus près de chez nous. » Encore un qui ne veut pas rester sur son lieu de travail après une dure journée de labeur.

Mon collègue s’est également prêté au jeu, avec les mêmes retours quant au lieu du premier rendez-vous. « Il n’y a pas de raisons de se limiter à Grindr (une autre application de rencontres, Ndlr), on peut faire aussi plein de belles rencontres sur Happn », estime Pascal, 38 ans. Lui préfère rester discret sur sa profession : « En général, on tchatche un peu et on se donne rendez-vous dans des spots un peu plus sympas que la Défense. Je n’ai pas spécialement envie de croiser quelqu’un du boulot alors que je suis en date ! »

« Je pense que c’est plus facile de sociabiliser en étant dans un cercle qu’on connaît déjà, et les gens vivent peu à la Défense, donc les gens se retrouvent naturellement ailleurs », estime Eugénie Legendre, community manager chez Happn, jointe il y a quelques semaines. Amir, 26 ans, qui travaille à la Société générale, n’a en effet pas l’air très emballé quand je lui propose de se retrouver dans un bar en bas de sa tour, cours Valmy. « Oh c’est glauque ! Peste-t-il. Tu ne veux pas plutôt qu’on se fasse un petit bar sympa vers les Batignolles ? L’angoisse de rester ici après le travail. »

Homme en costume sur le parvis de la Défense ou accoudé à un bar trendy, blond en maillot de bain se prélassant dans une eau turquoise ou encore grand brun posant devant le célèbre Machu Picchu du Pérou, les prétendants localisés à la Défense sont nombreux. Bastien, Pierre, Jean-Christophe, Némir sont ingénieurs, avocats, chargés de projet ou encore business analystes… dans le quartier d’affaires, les cadres supérieurs sont rois : les métiers qui ont le plus de succès sur Happn, selon ses statistiques, sont la finance, le consulting et l’ingénierie, pour les femmes comme pour les hommes,

« Il n’y a pas que les affaires qui sont fructueuses à la Défense, les amours aussi », vante l’application Happn dans un communiqué de presse qui présente une étude interne réalisée en 2018. Elle adoube la Défense comme étant le premier lieu de « crush » de France. « Cela fait plusieurs années qu’on fait cette analyse, et qu’on s’aperçoit que la Défense est le spot numéro un », confirme sa community manager.

Comment l’expliquer ? « Je pense avant tout que c’est un lieu où beaucoup de gens travaillent et se croisent tous les jours, analyse Eugénie Legendre. Ce sont des gens qui ont la réputation de bosser beaucoup, qui ont des jobs très prenants, qui veillent tard au boulot, et qui ont moins de temps pour sortir et boire un verre. » Selon elle, le fait qu’ils utilisent une application de rencontre « remplace le cercle social de la sortie au bar ou au restaurant ».

Si l’on regarde de plus près les statistiques, le pic d’activité se situe juste avant la pause déjeuner, et également aux alentours de la fin de journée, avant de quitter le bureau, vers 19 h. Côté jours de la semaine, le lundi reste le jour où le plus de « crush » sont enregistrés sur Happn. « Le lundi, les gens rentrent de week-end, ils sont de retour au boulot pour une nouvelle semaine, il y a comme un regain d’énergie pour faire des rencontres, poursuit la community manager de l’application de rencontres. Mais c’est mon interprétation. »

« Tu m’as peut-être déjà croisé courir sur le parvis de la Défense à une allure de grande-mère », indique le profil Tinder de Matthieu, 31 ans, ingénieur. Être présent sur une application qui géolocalise à La Défense permet des dizaines de rencontres, mais peut cependant aussi être source de moments gênants. Matthieu m’indique ainsi qu’il vient de se « prendre un râteau » quelques minutes plus tôt par une autre salariée de son entreprise. « Je suis tombé sur une collègue sur l’application et des gens du boulot aussi, ça fait bizarre », confirme Baptiste, le consultant chez Deloitte.

Ces quelques anicroches ne découragent cependant pas les cadres célibataires du quartier d’affaires. Loïc, 32 ans, a d’ailleurs rencontré l’amour sur Tinder. « C’était une fille qui bossait dans la tour d’à côté, confie-t-il. On ne s’était jamais rencontrés, et on est resté deux ans et demi ensemble, c’était une belle histoire. » Comme les autres, Loïc n’a pas passé son premier « date » avec sa chère et tendre dans le quartier d’affaires, même s’il leur arrivait d’y déjeuner ensuite ensemble les midis dans des « restaurants sympas ».

Alors que nous écumons les applications de rencontre depuis près d’un mois, mon collègue tombe enfin sur un usager qui plébiscite aussi la Défense pour le premier verre. « J’ai rencontré une ou deux fois des femmes après le travail, admet Patrick, 35 ans, avocat. C’est plus pratique, tu ne perds pas de temps, si elle te plaît, tu le sais tout de suite, pas besoin d’aller je ne sais où pour un rendez-vous, il y a des bars très corrects ici, comme le Mélia. » Celui-ci lui propose d’aller boire « une coupe » au bar de l’hôtel, que je décline gentiment. « Les affaires sont dures à ce que je vois », répond-il. Le quartier porte décidément bien son nom, drague comprise.

La Défense tente de retenir ses amoureux et signe un partenariat Happn

Si les utilisateurs des applications de rencontre semblent préférer se rencontrer physiquement ailleurs qu’à la Défense, le quartier d’affaires mise sur son potentiel pour que les choses changent. En début d’année, Happn désignait la Défense comme le premier lieu de rencontres virtuelles de ses utilisateurs en France. L’établissement public de gestion et d’aménagement du quartier, Paris La Défense, s’est emparé de cette notoriété dans un domaine inattendu pour lier un partenariat avec l’application : il constitue une nouveauté en France, tant pour l’application mobile que pour un établissement public.

« Paris La Défense nous a contacté après avoir vu que leur lieu était le premier lieu de rencontre de nos utilisateurs en France, explique Eugénie Legendre, community manager chez l’application française Happn. Ils ont été inspirés par l’idée d’un couple se croisant sur le territoire de La Défense en tant que symbolique du lieu comme lieu de vie. » La salariée rappelle que son entreprise fait « rarement » ce genre de partenariats, mais que « l’opportunité était évidente ».

« Le territoire est le lieu physique de rencontres, et nous sommes l’application qui permet aux gens de se recroiser virtuellement dans un lieu aussi grand, commente-t-elle. Cette relation était donc relativement complémentaire, les plus infimes occasions peuvent se transformer en de véritables histoires, et ce sont des milliers d’histoires potentielles qui naissent vraiment à La Défense. »

L’établissement public de gestion et d’aménagement du quartier, Paris La Défense, s’est emparé de cette notoriété dans un domaine inattendu pour lier un partenariat avec l’application Happn.

« L’application de rencontres française apporte ainsi la preuve du potentiel social du quartier de La Défense : numéro 1 avant la très centrale station de métro République », commentait dans un récent communiqué Paris La Défense. L’application et l’organisme public local ont lancé à l’occasion de leur partenariat une opération « invitant à la romance ». Happn a proposé aux utilisateurs ayant un « crush » dans le quartier d’affaires d’y concrétiser aussi leur rencontre dans la vie réelle.

Du 8 au 29 juin, une fenêtre s’ouvrait dans l’application pour inviter les utilisateurs à trouver leur « crush ». Ces nouveaux couples potentiels pouvaient alors tenter de remporter un premier rendez-vous dans l’un des bars ou restaurants du territoire, sur tirage au sort. Les établissements participants sont les hôtels le Mélia et Citizen M, ainsi que Nodd, un nouveau lieu évènementiel du quartier situé au sein de l’espace Oxygen, sur l’esplanade.