« De la bienveillance », « du calme » ou « un temps de respiration ». Les représentants des différents lieux de culte de la Défense évoquent tous d’une même voix le besoin de répit de leurs fidèles, pressés par le quotidien éreintant de la première place financière d’Europe continentale.

« Ce que l’on propose, c’est une coupure, de prendre le temps de souffler, et on sent qu’il y a vraiment une demande par rapport à ça ici », indique le secrétaire de la mosquée, Abdellah Moudine. «Vous savez, la Défense, c’est pas vraiment une ville classique, c’est pas non plus haussmannien, pour beaucoup, c’est juste du travail et du stress », renchérit le rabbin Chmouel Mergui. Pour le père Hugues Morel d’Arleux, venir à Notre-Dame de Pentecôte permet de se reconnecter à des « valeurs d’écoute et de partage ».

Née de l’imagination de l’architecte Franck Hammoutène, la maison d’église catholique trône en bonne place, au numéro 1 de la Division Leclerc, tandis que le centre traditionaliste juif Beth Loubavitch joue, lui, la carte de la discrétion, sans inscriptions et longtemps sous protection policière, près du jardin Boieldieu. « On ne la reconnaîtrait pas si on ne savait pas que la synagogue était là », glisse un fidèle. La mosquée de la Défense, temporaire et plus précaire, prend la forme d’un chapiteau au 105 rue des Fauvelles, en bordure de la Défense, derrière la tour Total.

« Le gros de notre activité, c’est bien sûr la prière à 13 h le vendredi, c’est l’un des piliers de l’islam, indique le secrétaire général de la mosquée. Le reste de la semaine, vers 14 h, une dizaine de fidèles viennent. » L’évènement qui fédère le plus de musulmans autour de sa mosquée comme de bien d’autres, « c’est pendant le ramadan » poursuit-il.

« Lors de la rupture du jeûne, c’est une centaine de personnes qui viennent se rassembler et dîner ensemble à la tombée de la nuit, détaille-t-il de ce mois sacré pour les musulmans. On loue des Algeco (des bâtiments préfabriqués, Ndlr), qu’on dispose devant le chapiteau, et on fait chauffer des plats simples : il y a des chorbas, des pizzas, des gâteaux, des yaourts. »

A la synagogue Beth Loubavitch, l’ambiance se veut « détendue et studieuse », selon un salarié de la tour Total qui la fréquente. Pour Bruno Darmon, autre fidèle qui travaille au service communication d’Allianz France, « le nombre de gens qui viennent déjeuner est variable, entre 20 et 30 en moyenne », selon les horaires et la période de l’année.

Les habitués viennent avec leurs gamelles, dans lesquelles la viande est séparée des produits laitiers, comme le veut la prescription judaïque. « Il y aussi un espace de vente où l’on ne trouve pas de viande mais des sushis, des sandwichs, des sodas », poursuit ce salarié au rythme soutenu. « On est ouvert à tous », précise le rabbin de la synagogue : « On vend des produits casher qui conviennent aussi aux musulmans », pointe-t-il ainsi tout en reconnaissant que leur venue reste « très marginale ».

Le père Hugues Morel d’Arleux participe tous les jeudis midi aux déjeuners des « jeunes pro », un rendez-vous hebdomadaire pour les catholiques âgés de 20 à 30 ans.

La maison d’église propose, quant à elle, deux déjeuners, le mercredi ouvert à tous, et le jeudi midi pour les « jeunes pro ». Le premier rassemble une quinzaine de personnes autour d’un repas et d’un verre de vin, où les convives sont invités à participer à hauteur de 8 euros. « C’est une somme indicative, on ne force personne à payer… vous pouvez aussi donner plus si le cœur vous en dit », plaisante son recteur, Hugues Morel d’Arleux.

Le jeudi, une dizaine de « jeunes pro », du nom de cette réunion hebdomadaire dont les participants ont entre 20 et 30 ans, se donnent rendez-vous. « C’est vraiment informel », assure Ignacio Gonzalez, un régulier de ces déjeuners qui travaille chez Dassault systèmes : « On anime la messe, on chante ou on aide à la préparation, et puis on se retrouve pour un déjeuner rapide. ».

Le jeune homme de 30 ans, qui plaisante en affirmant arriver à la « date de péremption », s’occupe de tenir informées les 150 personnes inscrites sur la liste d’envoi des courriels, et ceux qui sont sur le groupe Facebook qu’ils se sont créés. À table, une dizaine de fidèles répondent présent. « C’est un va-et-vient, ce n’est pas toujours les mêmes têtes que l’on voit et c’est tant mieux, ça nous permet de découvrir des gens », poursuit-il.

Après un bénédicité chanté, l’assemblée s’installe avec ce qu’ils ont eux même acheté plus tôt dans la matinée. Y règnent salades bio et sandwichs frais achetés en bas des tours. Plus chiches que leurs aînés et sans verre de vin, les jeunes préfèrent des mets plus légers avant d’attaquer une après-midi de travail.

« Moi c’est la première fois que je viens, j’accompagne une collègue de bureau qui m’en a parlé », explique Capucine Lejeune, qui travaille pour la société d’audit et d’expertise comptable Mazars. La vingtenaire se définit comme une « catho plus plus », et poursuit : « Mais ce qui me plaît, c’est le format court et rapide, c’est adapté à notre rythme de travail et ça me permet de concilier des choses importantes dans ma vie. »

Cette préférence met en lumière une tendance plus générale : les trois principales religions monothéistes de la Défense ont dû s’adapter aux contraintes des salariés pressés de la dalle.

Ce fut tout l’enjeu de la création en 2001 du statut de maison d’église catholique. Première en France, elle se veut un « laboratoire pour l’évangélisation de la société laïque et sécularisée », selon le mot de l’évêque qui a ordonné l’actuel recteur.

La maison d’église s’est accordée aux horaires de bureau de la dalle, et n’ouvre ses portes que le week-end. Le temps des messes est réduit à 45 min, communion comprise. La synagogue Beth Loubavitch propose quant à elle d’étudier le Talmud ou la Paracha de la semaine tout en déjeunant. A la mosquée, la prière du vendredi n’excède pas « les 30 min », assure son secrétaire général. Cette pause dans la vie de salariés pressés doit rester de courte durée.

Si le lieu de culte musulman n’est pas au quotidien « un lieu où l’on vient manger », il tient aussi à mettre en avant « les liens de la communauté », selon Abdellah Moudine. « On installe des panneaux où les gens viennent mettre leur CV, qu’ils cherchent un stage ou un emploi, et on essaye de faire fonctionner le réseau, conclue-t-il. D’ailleurs, on envisage un évènement professionnel dans cet esprit du partage professionnel. »