Après deux excellents crus 2018 et 2019, le marché des transactions immobilières de bureaux à la Défense fait grise mine. Frappés de plein fouet par la crise sanitaire, les bailleurs affichent un taux de vacance de leurs plateaux de plus de 10 % au premier trimestre 2021. Soit le niveau le plus élevé depuis la dernière crise financière, qui se répercuta sur le secteur à partir de 2012-2013. Hasard du calendrier, cette conjoncture défavorable ­coïncide avec les livraisons récentes de plusieurs tours emblématiques.

En conséquence, autant l’immobilier neuf que celui de seconde main cherchent des locataires. La loi de l’offre et de la demande leur étant favorable actuellement, ceux-ci sont tentés de se montrer plus exigeants en termes de loyers et de confort d’espaces de travail.
Les propriétaires de tours doivent donc repenser l’aménagement de leurs surfaces locatives pour se ­distinguer de la concurrence. En cela, les nouvelles constructions, pensées avec terrasses et espaces serviciels ont un net avantage sur les anciens bâtiments.

Du fait de la pérennisation du télétravail, deux à trois jours par semaine, pour de nombreux salariés du secteur de la Défense, les ­entreprises doivent reconsidérer l’occupation de leurs locaux et ­pourquoi pas en diminuer la taille. Elles font aussi face à un enjeu majeur : comment bousculer les habitudes des télétravailleurs et les faire revenir en présentiel ? Flex office, salles de sport ou de détente, bureaux design… Des architectes d’intérieur spécialisés dans le ­tertiaire pensent déjà les bureaux de demain et la fin de l’hégémonie de l’open space.

Pour se sortir de la crise, les acteurs du quartier d’affaires, qui ­continue de jouir de nombreux atouts, vont pouvoir jouer sur trois leviers : une retarification des loyers, largement amorcée, la divisibilité des surfaces en location pour s’adapter à la demande baissière des entreprises et enfin un travail sur l’attractivité du quartier, redynamisé grâce aux nouveaux espaces de restauration et à l’offre croissante de transports en commun et en mobilités douces.

« 2019 fut la deuxième meilleure année de la décennie concernant les transactions de moyennes surfaces (1 000 – 5 000 m², Ndrl), représentant une part importante du marché de la Défense, se souvient ­Frédéric Blies, Directeur ­Transaction ­Île-de-France Ouest chez BNP Paribas Real Estate, un acteur majeur des transactions immobilières. Évidemment, la crise sanitaire a fortement impacté le marché des bureaux en 2020, y compris à la Défense, mais cette baisse est à relativiser par rapport à une année 2019 exceptionnelle ».

L’extraordinaire vente de la tour The Link au groupe Total mise à part, l’année 2020 fut en effet décevante en terme de contrats signés. A titre d’exemple, seuls 46 000 m² de surfaces de seconde main se sont échangées l’an passé, contre 143 000 m² en 2019, selon les chiffres de BNP Paribas Real Estate.

« Passé l’effet trompe l’œil de la prise à bail de Total en 2020, la demande placée plafonne depuis quatre ­trimestres entre 12 000 m² et 27 000 m², des niveaux sans commune mesure avec le potentiel d’un quartier d’affaires comme la Défense », confirme le groupe Cushman & Wakefield, l’un des leaders ­mondiaux de ­l’immobilier d’entreprise dans une récente étude. Et le premier ­trimestre 2021 n’affiche guère un visage plus glorieux.

Seulement 21 000 m² de bureaux ont été commercialisés durant les trois premiers mois de l’année. Le taux de vacance des locaux commerciaux crève donc le plafond et atteint 10,8 % au premier ­trimestre 2021. Un chiffre largement gonflé par la livraison récente de nouvelles tours : Alto (54 000 m²), Trinity (47 200 m²), Kupka (16 500 m²), SoWork (11 500 m²) en 2020 ou encore Eria (24 000 m²) début 2021.

Mais, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Ainsi la tour Eria, qui abritera le Campus Cyber a rapidement trouvé preneur (voir notre édition du mercredi 2 juin 2021). Les 22 000 m² de la tour Latitude ont eux été pré-loués, avant même la fin des travaux de construction, ­prévue courant 2021. A l’inverse, seuls 6 000 m² de la tour Alto et 7 000 m² de sa consœur Trinity sont pour l’heure occupés, selon un communiqué de Paris la Défense, organisme gestionnaire du quartier d’affaires, daté de fin avril.

« Les différentes annonces de commercialisation effectuées ces dernières semaines, notamment dans des immeubles neufs ou restructurés, soulignent le maintien de l’attractivité de Paris la Défense », se réjouit néanmoins l’organisme public. Il faut dire, le quartier d’affaires a déjà connu des périodes de ralentissement dans son histoire récente (2001-2002, 2009-2013) et s’en est à chaque fois tiré. « On est toujours sur une phase instable, c’est un peu la nature de ce territoire qui veut cela », rassure Pierre-Yves Guice, interrogé en début d’année sur la santé ­économique du territoire.

Selon le directeur général de Paris la Défense, le télétravail et la crise sanitaire ne vont pas affecter le modèle du quartier d’affaires. « On a la chance d’avoir un statut juridique particulier sur ce territoire, avec les plans d’intérêt national, avec l’établissement public… Il n’y a aucun territoire en France qui a la même concentration de dispositifs, de ressources, de moyens d’actions et d’interlocuteurs pour développer des projets ».

La Défense peut également ­compter sur son hub de transport, voué à se développer avec l’arrivée d’Eole (prolongement du RER E vers l’Ouest, Ndlr) et de la ligne 15 Ouest à l’horizon 2030. « Clairement aujourd’hui, le choix du siège d’une entreprise se fait en fonction notamment de la centralité, insiste ­Frédéric Blies. Et la Défense s’impose comme le second hub de t­ransport francilien. De plus, l’attractivité du quartier s’est continuellement amélioré avec le temps, grâce à une plus grande mixité des espaces urbains dont témoigne l’ouverture de deux concepts de restauration que sont Table Square et Oxygen ainsi qu’à une revalorisation des espaces publics ».

Grâce à ses nouveaux agréments et à une qualité de vie améliorée ces dernières années, la Défense est en bonne position pour satisfaire les nouvelles attentes des usagers. Car si le modèle de quartier d’affaires ne devrait pas péricliter, l’aménagement des bureaux et le cadre de vie devront évoluer. « Ce qui a moins d’avenir, parie Pierre-Yves Guice, c’est l’immobilier de bureaux des années 1970-1980, avec des plateaux en open space et une concentration des usagers au même moment dans des distributions verticales ».

La généralisation de l’hybridation du temps de travail, mêlant distanciel et présentiel, couplée à la difficulté de certaines entreprises à ramener leurs salariés sur le chemin du bureau, les espaces de travail vont devoir gagner en flexibilité et en pouvoir d’attraction. « Je pense qu’un certain type de bureaux a vécu, que les open spaces sont en voie de disparation », estime aussi Lawrence Knights, co-fondateur de Kwerk, concepteur d’environnements de travail sur mesure, installé au
11ème étage de la tour First.

« L’open space ne sera plus un modèle dominant et sera remplacé par une multitude de modèles, propres à chaque entreprise. Car le saut quantique que les entreprises doivent faire, c’est de se débarrasser de l’idée selon laquelle un design neutre, des luminaires ­communs, c’est ce qu’il y a de mieux en termes de design pour une société ». Au-delà des couleurs et du choix de l’ameublement, la place des espaces de détente et de sport sera primordiale à l’avenir.

« Aujourd’hui, bien souvent les espaces « serviciels » participent au coup de cœur pour un immeuble, comme les offres de restauration diversifiées, les fitness, les espaces extérieurs, les terrasses et les business centers. Cela est censé augmenter la productivité des salariés et les inviter à revenir au bureau ; ce qui est un vrai enjeu aujourd’hui », assure Frédéric Blies. L’importance de ces nouvelles installations, qui ont un coût pour les propriétaires de tours, avantage largement les constructions neuves ou restructurées, qui ont d’ores et déjà intégré dans leur architecture une terrasse, des jardins élevés, des espaces de loisirs dans les derniers étages…

Reste que le télétravail régulier de nombreux salariés va pousser les directions d’entreprises à mettre en place des roulements de ­personnels, sur des bureaux anonymisés à l’image des espaces de co-travail : ce sont les flex-bureaux. Il y a ­également fort à parier que des sociétés en profitent pour réduire la taille des superficies louées.

« Il est certain qu’il y aura demain des discussions autour de la flexibilité des baux triennaux, avec peut-être la prise en compte d’une notion de précarité, explique Bruno Camilli, conseil indépendant dans l’immobilier de bureaux. On peut imaginer pour les nouveaux entrants un bail précaire de 36 mois, avec possibilité ou non de le transformer en bail de 3-6 ou 9 ans selon la situation économique. Des arrangements sont parfois possibles avec les bailleurs, en matière de sous-locations des espaces libérés, pour les locataires déjà sous contrat ».

Frédéric Blies de compléter : « Il n’est pas rare que des entreprises souhaitent assortir désormais à une prise de bail classique une petite proportion de postes de travail en location dans des espaces de co-travail, afin d’obtenir une marge de flexibilité de 10 % à 30 %». Autant de dispositions qui tirent encore les prix à la baisse : « La ­Défense a rapidement corrigé ses conditions locatives. Sur 30 opérations majeures, 12 ont été repositionnées (baisses des prix, Ndlr) ».

CRÉDITS PHOTOS : LA GAZETTE DE LA DÉFENSE