Il y a ceux qui n’ont toujours pas compris quelle tour allait être démolie, et quelles tours allaient passer au privé. Il y a ceux qui se demandent s’ils pourront être relogés dans le quartier des tours Aillaud ou à Nanterre. Il y a ceux qui s’interrogent sur leurs futurs loyers. Et puis, il y a ceux qui considèrent que le projet de rénovation urbaine qui touche tant les 18 tours Nuages que, plus largement, l’ensemble du quartier populaire du Parc Sud, a été conçu et va être réalisé sans ses habitants.

Mercredi 25 septembre, l’une des amicales du quartier, la CNL Aillaud-fraternité, a pris le taureau par les cornes et proposé une réunion publique d’information destinée tant aux locataires qu’aux responsables politiques et institutionnels. Plus d’une centaines d’habitants ont répondu présent, majoritairement locataires du patrimoine du bailleur social départemental, Hauts-de-Seine habitat, dont les tours seront les plus touchées par la réhabilitation du quartier. Celles du bailleur municipal se contenteront en effet en majorité d’une rénovation lourde, en présence des locataires.

« Il n’y a pas d’illustrations, c’est très difficile d’expliquer oralement les choses », reconnaît d’emblée l’architecte-urbaniste Jean Lamort, de l’agence LAMT. Ce soir-là dans la salle Gorki, les interrogations sont en effet nombreuses pour bien des locataires, et portent surtout sur des données de base du projet de rénovation. « Je voudrais bien savoir les tours qu’on va detruire, et les tours qu’on ne va pas detruire », interroge ainsi une habitante. Plusieurs fois, des présents s’interrogent sur les tours qui seront concernées par des rénovations, par des démolitions, par des relogements.

« Je suis conscient que les choses n’ont peut-être pas été faites comme elles auraient dû en 2019, surtout sur un secteur comme Aillaud et le Parc Sud », admet de son côté Samir Abdelouahed (DVG), conseiller municipal et référent de ce quartier populaire dont il est issu. « La maison des habitants doit être mise en place très prochainement », assure-t-il de cet espace devant permettre aux locataires de s’informer.

Elles ont accueilli, dans les décennies 1970 et 1980, des locataires aux profils socialement variés. Elle ont ensuite progressivement sombré, victimes de leur accueil des plus précaires du département.

« La maison des habitants, c’est bien, que les gens aillent à l’information, mais il faut [aussi] que l’information aille chez les gens », enjoint Pierre Bernière, président de la CNL de Nanterre. « On ne peut pas être sur de belles paroles, il faut du concret pour que les habitants puissent se voir dans l’avenir, abonde quelques jours plus tard Alexandre Guillemaud, président de l’Union nationale des locataires indépendants (Unli) de Nanterre et conseiller municipal UDI d’opposition. Avec des dates, ils pourront se projeter, anticiper. »

Lancé depuis plusieurs années maintenant, le projet évalué à 150 millions d’euros attend toujours la validation finale de l’Etat, théoriquement imminente. La réhabilitation choisie par le jury, elle, a été celle du promoteur Altarea Cogedim, qui prévoit la démolition d’une tour et la transformation de six autres en logements privés, espaces culturels, artistiques, associatifs ou de formation. D’ici à la décennie 2030 devraient donc changer d’affectation 531 des 1 600 appartements des tours conçues par l’architecte Emile Aillaud à deux pas de la Défense.

À un jet de pierre des tours vitrées de la Société générale, celles-ci ont accueilli, dans les décennies 1970 et 1980, des locataires aux profils socialement variés. À l’instar du quartier du Parc Sud dont elles font partie, elle ont ensuite progressivement sombré, victimes de leur accueil des habitants les plus précaires du département, décidé par le bailleur social départemental, propriétaire des deux tiers des tours Nuages.

« Il est dans un rapport avec la Défense qui est assez brutal, on voit bien les gens qui descendent du quartier d’affaires, qui se faufilent au pied des tours pour aller jusqu’au parc, note devant l’assemblée d’habitants l’architecte de l’agence LAMT. Ce qu’on cherche à accueillir en transformant les usagers, c’est non seulement du logement, mais aussi la recréation d’une mixité que rappellent les plus anciens. » L’élu référent du quartier précise : « Les exemples du Petit Nanterre et des Provinces françaises ont montré qu’il faut changer [d’usage] un tiers des logements. »

Une fois indiqués, et répétés à plusieurs reprises, les numéros des tours qui verront les locataires déménager, de nombreuses questions portent sur les relogements et leur chronologie. « Les premiers logements [sociaux] des Groues (nouveau quartier érigé sur les friches ferroviaires, Ndlr) seront livrés en 2023 et seront proposés en priorité aux habitants des tours Aillaud », indique Samir Abdelouahed des premiers relogements, déjà reculés de plusieurs années par rapport aux prévisions initiales. Les déménagements sont envisagés entre 2027 et 2029 pour les chantiers les plus tardifs.

Les inquiétudes liées aux relogements ont un terreau fertile ici, où nombre de locataires ont été envoyés car certaines communes des Hauts-de-Seine ne souhaitaient plus les avoir comme locataires. « Il y a quelques années, on a placé les populations dont on ne voulait pas à Nanterre, et notamment dans les tours Aillaud, je n’ai aucun complexe à en parler avec vous », rappelle ainsi Mohamed Selmet, Nanterrien et directeur d’agence de Hauts-de-Seine habitat. Lui-même arrivé de Levallois-Perret à deux ans avec ses parents, Samir Abdelouahed précise : « C’est une manière de faire qui a entassé les problèmes »… et les craintes actuelles de certains.

Les niveaux des loyers sont aussi un facteur d’inquiétude manifeste. « Si vous voulez rester dans le quartier, vous pourrez peut-être rester dans le quartier, si les gens veulent aller dans du neuf, ils iront dans du neuf », assure souhaiter le président de la CNL de Nanterre de la charte de relogement expérimentale, concernant la première des tours visée par le projet, qui est en cours de finalisation et de négociation entre bailleurs sociaux et représentants des locataires.

« Normalement, dans une opération Anru (Agence nationale de rénovation urbaine, Ndlr), le prix du mètre carré ne change pas », poursuit-il, rebondissant sur l’évocation du « reste à vivre » par le représentant de Hauts-de-Seine habitat : « Je n’aime pas quand on parle de reste à vivre, si on va dans l’ancien, ce sera peut-être moins cher, mais quand on va dans le neuf, il faudra que ce soit avec le même prix au mètre carré », tonne Pierre Bernière.

« On force les gens à partir, il faut laisser le même prix au mètre carré », soutient lui aussi le président de l’Unli Alexandre Guillemaud. « Après, on est un quartier, malheureusement, avec une population fragile financièrement, […] il va falloir réfléchir à ne pas fragiliser encore plus financièrement ces familles dans un nouveau logement », note-t-il cependant d’un aspect qui n’a pas été évoqué à la réunion : une part importante des locataires serait en retard de loyer, et pourrait donc ne pas retrouver un logement strictement équivalent en déménageant.

La réhabilitation d’Altarea Cogedim prévoit la démolition d’une tour et la transformation de six autres en logements privés, espaces culturels, artistiques, associatifs ou de formation.

« Des gens qui ont un cinq pièces et sont deux dedans, et sont en retard sur leurs loyers, on ne leur proposera pas un quatre pièces, évidemment…, résume d’ailleurs de la perspective municipale le maire de Nanterre Patrick Jarry (DVG), croisé quelques jours après la réunion publique. Tous les gens qui veulent être relogés à Nanterre seront relogés à Nanterre, office départemental ou pas. Tous ! » Il prévient aussi, à destination de Hauts-de-Seine habitat : « Et pas d’ostracisme de l’office départemental pour ceux de Nanterre qui voudraient aller dans d’autres villes. »

Au soir du 25 septembre, une autre perspective se fait aussi entendre, insistante, par différents membres de Droit au logement (Dal) – HLM, association de locataires majoritaires au sein des tours Aillaud selon nos informations, « en jouant sur les peurs » d’après un autre représentant de locataires. « On n’est pas contre un projet de rénovation mais on voulait dès le début que le projet soit mené auprès des habitants », expose ainsi la seconde représentante de la liste Dal-HLM, institutrice à Nanterre (elle a souhaité conserver l’anonymat, arguant de menaces sur sa personne, Ndlr).

« Quand on veut rénover des quartiers populaires, on ne se gêne pas pour nous dire de faire nos valises, nous expulser, et faire venir d’autres habitants, critique-t-elle de la volonté d’y créer des logements en accession à la propriété privée. Nous sommes les seuls qui critiquons l’Anru, parce que qu’est-ce que ça veut dire de faire déménager des gens qui ne veulent pas déménager ? Puisqu’il n’y avait pas d’étude sociologique, on a demandé au maire qu’elle ait lieu en amont des promoteurs. […] Dans les enquêtes qu’on a menées, on s’est aperçu qu’il y avait déjà des gens qui avaient été délogés une fois ou deux. »

À chaque intervention, l’agacement des élus, des institutionnels, comme de certains autres représentants de locataires présents est perceptible, signe d’un affrontement qui dure depuis maintenant plusieurs années. « Je les respecte, la seule chose que je leur dénie, c’est le droit de parler au nom de tout le monde », commentait récemment le maire de Nanterre.

Lors de la réunion d’information, comme lors des sollicitations ultérieures de La Gazette, personne n’a semblé prêt à concéder un pouce de terrain aux représentants du Dal-HLM. A plusieurs reprises, l’intransigeance affichée est justifiée par la déshérence actuelle du quartier : « Aux commissions d’attribution, 80 % des gens à qui on proposait de venir ne voulaient pas », constatait ainsi le président de la CNL en début de réunion ce 25 septembre.


CREDIT PHOTO :
ALTAREA-COGEDIM