Ces Nanterriens pensaient probablement en avoir fini avec la rénovation urbaine de leur quartier populaire des Provinces françaises, dont les 487 logements sont situés entre le quartier résidentiel neuf du même nom, celui des Terrasses et la fac. Ils vont pourtant devoir prendre à nouveau leur mal en patience en 2020, le temps d’un chantier de confortement de 148 balcons, non inclus initialement dans la réhabilitation des immeubles nommés d’après des régions de France.

Ces nouveaux travaux sont directement causés par un diagnostic ayant fait suite à la chute accidentelle d’un balcon sur deux autres en mars 2018. Selon les experts ayant inspecté les fins balcons de béton, ceux-ci nécessitent en effet d’être confortés, ils recommandent même de cesser d’utiliser ces quelques mètres carrés en attendant le chantier.

À l’Office public HLM (OPHLM) municipal de Nanterre, ceux-ci sont pourtant considérés comme suffisamment solides pour ne pas imposer de restriction aux habitants. Sa présidente estime surtout que les locataires ont déjà suffisamment souffert d’une rénovation dont le chantier a été complexe, causant bien des dégâts d’étanchéité et quelques inondations d’appartements, sans compter des désagréments importants pointés par les habitants.

Si ces derniers avaient plébiscité le projet de GTM bâtiment, à l’architecture moins distinctive de celui d’Eiffage, ils déplorent, comme l’OPHLM, des travaux mal menés. Le constructeur, filiale de Vinci construction et spécialiste de ce type de chantiers, assure avoir fait au mieux compte tenu de la complexité de cette rénovation à plus de 20 millions d’euros.

« Ça va remettre la cité des Provinces françaises en travaux alors qu’ils en ont déjà soupé… », souffle des réparations des balcons Marie-Claude Garel (PCF), la présidente de l’OPHLM de Nanterre. Alors, elle préfère pointer les aspects positifs du nouveau chantier estimé à 2 millions d’euros, qui devrait débuter en mars 2020 et pour un an, durée allongée pour déranger le moins possible les locataires, fait-elle noter : « Ça va permettre que chaque balcon soit carrelé, […] et nous allons remettre les volets aux loggias (ceux-ci avaient été retirés dans le cadre de la rénovation, Ndlr). »

En mars 2018, la rénovation urbaine bat son plein. Une nacelle de GTM bâtiment cogne un des balcons du huitième étage de l’immeuble Lorraine. Le balcon tombe et en emporte deux autres aux septième et sixième étages. « Sur cet incident, GTM n’a pas cherché à dire que ce n’était pas eux, ils ont bien assumé », loue de cet épisode la présidente de l’OPHLM. Tous les balcons de l’immeuble sont ensuite renforcés par la société.

La rénovation urbaine a abouti à la démolition de 172 logements, comme à la création d’une école et de 64 « maisons sur le toit »… mais surtout au changement d’image du quartier.

Echaudé, l’OPHLM décide cependant d’une expertise, rendue en juin 2019. Dans ce diagnostic que La Gazette s’est procuré, les experts ont examiné l’ensemble de ces dalles en béton armé d’une dizaine de centimètres d’épaisseur. « La tenue des ouvrages élémentaires peut être remise en cause à court terme », analysent-ils en préconisant « de réaliser des travaux de renforcement des balcons […] le plus rapidement possible ».

Selon eux, en attendant le chantier de réparation, il serait nécessaire de mettre en place « des confortements provisoires », composés de « tours d’étaiement » et d’un « dispositif anti-basculement », afin « d’assurer la stabilité de l’ensemble en cas de décrochage d’un balcon ». Ces experts estiment par ailleurs « nécessaire et indispensable de mettre en place des mesures conservatoires afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes », ou à défaut « de limiter les accès sur les balcons et d’éviter les surcharges importantes ».

L’OPHLM, lui, n’est pas si inquiet de l’état des balcons du quartier, et pointe que celui de l’immeuble Lorraine ne serait pas tombé s’il n’avait pas été cogné. « Comme tous les experts, ils voient les points de faille et ne prendront jamais la décision de dire qu’il n’y a pas de problème, estime sa présidente. C’est d’autant plus vrai que ces balcons avaient probablement 50 ans et qu’il y a toujours un peu de corrosion, de l’eau qui passe, qui gèle. […] Il n’y a pas de danger à aller sur son balcon et à l’utiliser normalement. »

Chez les locataires croisés en septembre, pourtant, la confiance est aujourd’hui très modérée alors que le chantier de rénovation urbaine touche à sa fin. Elle a abouti à la démolition de 172 logements (dont les habitants le souhaitant sont tous restés dans le quartier ou ont emménagé aux Terrasses, Ndlr), comme à la création d’une école et de 64 « maisons sur le toit »… mais surtout au changement d’image du quartier.

Il est en effet aujourd’hui quasiment indistinguable des immeubles privés neufs construits aux Terrasses comme autour du boulevard des Provinces francaises, à quelques centaines de mètres de la Défense. « On a encore des choses à mettre en oeuvre pour réellement apaiser le quartier, […] il y a un vrai changement, mais encore des points de faille sur lesquels il faut travailler », nuance la présidente de l’OPHLM de l’apaisement général de l’ambiance engendré par cette rénovation.

« Dans les années 2000, le quartier était une enclave malfamée, avec des gangs qui parfois se tabassaient à l’intérieur de la cité, vendaient de la drogue au vu de tous grâce au marché très important qu’était la fac », se rappelle cependant Hugo Ferraz. Ce locataire arrivé en l’an 2000 est ensuite devenu travailleur social dans le quartier populaire, et représentant des locataires pendant huit ans : « Un bâtiment était impossible à maîtriser en termes de sécurité, en tout cas on n’y a jamais mis les moyens […] la seule solution que l’Office et la Ville ont vu a été de démolir ces deux blocs. »

Au début de la décennie 2000 commence la préparation de la réhabilitation, dont le financement est signé en 2009 avec l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru). Quatre groupements d’entreprises sont candidats, l’un jette l’éponge, un autre propose un prix trop élevé : restent GTM bâtiment et Eiffage. Ce dernier propose un projet très distinctif, avec une conservation des toitures en zinc, alors que son concurrent mise sur une architecture dans l’air du temps, proche des projets privés voisins.

Il est proposé aux habitants de voter, ceux-ci choisissent GTM bâtiment à une très large majorité. Le projet était « plus en conformité avec les souhaits des gens de quelque chose qui se fond dans le paysage sans avoir l’esprit cité », analyse Hugo Ferraz, qui était membre du jury de la rénovation : « L’enveloppe du projet se confond un peu avec les Terrasses et Lucie Aubrac (la nouvelle école, Ndlr), il s’inspire de ce qui était autour pour donner une continuité. » Une fois choisi, les habitants ont vu arriver les équipes du constructeur. Puis, plus rien de leur point de vue, pendant de très longs mois.

« La tenue des ouvrages élémentaires peut être remise en cause à court terme », analysent les experts en préconisant « de réaliser des travaux de renforcement des balcons […] le plus rapidement possible ».

La directrice de l’OPHLM impute ce retard à des études supplémentaires visant les sous-sols, mais aussi à de longues négociations budgétaires avec GTM bâtiment (qui estime ce délai « normal » pour « un projet de cette envergure », Ndlr). Le prix annoncé ajoute en effet 4,5 millions d’euros aux 21 millions d’euros prévus : « Il y avait eu une rupture des négociations », se souvient Marie-Claude Garel. Un accord est trouvé début 2016, la mairie de Nanterre prenant quelques centaines de milliers d’euros à sa charge, entre autres.

Le chantier peut alors commencer. Rapidement, les rapports s’enveniment entre habitants, bailleur social et constructeur, notamment à propos des « maisons sur le toit », structurellement complexes à implanter. « Dès qu’on commence à soulever les toitures, on ne protège plus des intempéries, des pluies : des inondations se produisent au quatrième étage, avec des dégâts considérables que GTM essaie de rattraper au coup par coup », expose Hugo Ferraz en connaisseur. Cet ex-représentant des locataires, dont le logement était concerné a en effet aussi exercé le métier de conducteur de travaux.

« Enlever les toitures, c’est complexe, mon logement est devenu inhabitable avec de l’eau partout, je ne suis pas le seul, et pas de solution de relogement… », regrette-t-il, lui qui a fait condamner l’OPHLM en première instance à de lourdes indemnités (le bailleur social a fait appel, Ndlr). « Ça a été mal étudié et ils ont voulu faire des économies de bout de chandelle, […] il a fallu attendre le troisième bâtiment pour qu’ils utilisent la technique que nous avions préconisée », analyse de son côté la présidente du bailleur social.

L’extension des pièces à vivre prévue dans la rénovation n’a pas non plus été de tout repos aux dires de nombreux habitants interrogés sur place. « Les gens se sont retrouvés avec les façades coupées, des cloisons provisoires avec une fenêtre minuscule, et on mordait quasimen 1,20 m chez eux », décrit Marie-Claude Garel. Certains ont dû vivre ainsi pendant plusieurs mois malgré un délai annoncé à quelques semaines. « Pour moi, ce n’est pas de la rénovation mais du camouflage, ils ont caché la misère », jugeait en septembre sévèrement Abdel, l’un des locataires des immeubles démolis à avoir été relogé dans le quartier, habitant des Provinces françaises depuis 57 ans.

« Comme ils ont commencé sur toute la cité partout en même temps, c’était le bazar partout, et GTM a fait le choix de travailler avec beaucoup de sous-traitants », analyse aujourd’hui la présidente de l’OPHLM. Elle leur reproche surtout une organisation qui « ne correspondait pas aux modalités de travaux en site occupé » lors du chantier. « Les équipes de GTM n’ont pas été capables de comprendre que des gens habitaient, de garder les espaces communs propres par exemple », confirme Hugo Ferraz qui estime cependant aussi que « l’Office n’a pas joué sa place » dans la supervision.

« Le programme de rénovation était très ambitieux. De ce fait, la période de travaux a pu par moment être difficile pour les habitants, d’autant que des aménagements extérieurs étaient réalisés en même temps par la Semna (Société d’économie mixte de la mairie de Nanterre, Ndlr), répond à ces critiques le constructeur. GTM bâtiment a toujours été présent et fait le maximum pour prendre en compte le bien-être des locataires et minimiser les nuisances provoquées par les travaux. »