Dans la salle de l’encore nouvelle maison du Chemin de l’île, au pied des tours de la cité Zilina, la convergence des luttes sociales est restée un espoir plus qu’une réalité ce vendredi soir du 15 mars. A l’appel des représentants locaux de la France insoumise, sous le patronage de quelques figures militantes et élus du parti de gauche, une quarantaine de personnes, dont une bonne part de Gilets jaunes mais peu d’habitants du quartier dans lequel ils se tenaient, se sont racontés autant qu’expliqués la désaffection persistante des quartiers populaires pour le mouvement des Gilets jaunes.

A la veille de l’acte 18 de la contestation née en novembre sur les ronds-points, une bonne quinzaine de Gilets jaunes témoignent, dont quelques-unes venues de Normandie en chasuble fluo. « A l’acte 4, on a vécu l’horreur, toute une population a été traumatisée, les forces de police ont fait des choses inadmissibles », s’indigne l’une de ces femmes venues de Barentin (Seine-Maritime).

A la fin de la réunion, ces trois Normandes d’âges différents, venues manifester leur colère à Paris pour changer de Rouen (Seine-Maritime), ne sont pas militantes politiques, mais se disent sensibles aux propositions de la France insoumise, notamment représentée ce soir-là par la députée du Val-de-Marne Mathilde Panot. Elles témoignent cependant de la difficulté de toute transposition politique au sein des groupes de Gilets jaunes : « C’est là où on a un gros problème, je vais donner des idées […] Certains disent qu’il ne faut pas faire de politique. On est perdant d’avance ! »

Présent aux côtés de la députée FI, Taha Bouhafs, journaliste de l’émission Là-bas si j’y suis, militant politique assumé en faveur des Insoumis comme des quartiers populaires, porte le fer. « J’ai répondu à cette invitation pour venir vous parler de la répression policière et le rapport des quartiers populaires avec les Gilets jaunes », commence-t-il en décrivant sa découverte d’une mobilisation qu’il considérait comme « un épiphénomène » en lequel il ne se « reconnaissait pas ». Pour lui, loin de ses débuts, « le mouvement du 17 novembre n’est plus le mouvement d’aujourd’hui ».

« En 2005, il y a eu aussi des révoltes, mais ils étaient regardés de loin, il y a des gens amers… », tente d’expliquer un peu plus tard Taha Bouhafs, qui veut pourtant croire que les habitants des cités « ne font pas le pas jusqu’à la manif’ mais soutiennent le mouvement ».

Semaine après semaine, il change d’avis, progressivement puis brutalement. « Je viens d’un quartier populaire, et jusque-là les gens ne se parlaient pas, j’ai très peu parlé dans ma vie avec des gens des milieux ruraux, détaille-t-il de cet apprentissage. Ça a permis aux gens de discuter, c’est ce qui a fait peur au gouvernement. Le problème, ce n’est pas le plus petit, ton voisin qui touche le RSA et ne bosse pas, ou l’Arabe, l’Algérien, le Turc. »

Persuadé du « racisme » qui « vertèbre » la police, il évoque alors le durcissement du maintien de l’ordre. « Malheureusement, il aura fallu que ce soit des blancs qui se fassent tirer dessus pour que les gens se rendent compte de la violence de la police dans les quartiers, analyse-t-il de la médiatisation des nombreux blessés en manifestation, et de l’indignation parallèle des Gilets jaunes. Gli-F4, LBD, ce sont des choses que je connais depuis mon enfance. […] La Bac tant décriée, moi, depuis que je suis gamin, on se la mange… »

Une Nanterrienne, quelques minutes plus tard, ramène tout le monde sur Terre. « Avec les Insoumis de Nanterre, nous sommes allés à la rencontre des personnes » vivant dans les quartiers populaires. « La question des Gilets jaunes, la mayonnaise a du mal à prendre, on ne comprend pas trop pourquoi », témoigne-t-elle en habitante elle-même d’un de ces quartiers. « On retrouve pourtant les mêmes revendications », pointe-t-elle de la réduction des inégalités et de l’augmentation du pouvoir d’achat évoquée juste avant par un autre habitant de la commune.

« En 2005, il y a eu aussi des révoltes, mais ils étaient regardés de loin, il y a des gens amers… », tente d’expliquer un peu plus tard Taha Bouhafs, qui veut pourtant croire que les habitants des cités « ne font pas le pas jusqu’à la manif’ mais soutiennent le mouvement ». Dernière tentative d’explication, par un éducateur : « C’est parce que s’il y a de la violence, on va encore dire que ce sont les rebeus et renois qui cassent tout… » Les quelques hommes et femmes de la cité Zilina venus ce soir-là, eux, n’ont pas pris la parole malgré de discrètes tentatives du co-animateur du groupe Insoumis de Nanterre.