« Nanterrez pas la justice », « 4 fois moins de procureurs que dans la moyenne du conseil de l’Europe … Pour une justice à la hauteur des attentes de nos concitoyens ». Voici ce qu’on pouvait lire sur les pancartes brandies par la foule de manifestants issus du monde de la justice, qui défilaient mercredi 15 décembre, à Paris non pas devant leur ministère Place Vendôme, mais au ministère de l’Économie et des Finances.

Répondant à un mot d’ordre national de « mobilisation générale pour la justice » de la part de magistrats appelant à manifester partout en France, les magistrats, greffiers, personnels, avocats des Hauts-De-Seine, se sont rassemblés afin de réclamer des moyens pour la justice et dénoncer le mal-être qui s’est installé dans les juridictions.

« On a atteint le bout de la dégradation de nos conditions de travail, un ras-le-bol et un épuisement collectif. Il faut un sursaut, car tout repose actuellement sur l’investissement et l’engagement professionnel de chacun », explique Caroline Pautrat, présidente du tribunal de Nanterre, dans un entretien accordé à l’AFP.

Dans la quatrième juridiction de l’Hexagone, les manques de moyens sont notables. Les effectifs «n’ont pas évolué malgré toutes les réformes précipitées. […] Nous devrions être 108 magistrats, mais nous tournons aux alentours de 100 du fait notamment de la vacance de postes » précise-t-elle à l’AFP.

« La juridiction de Nanterre dans toutes ses composantes, c’est-à-dire non seulement le tribunal judiciaire mais également le tribunal de commerce et le conseil des prud’hommes ne reçoit pas les moyens à la hauteur des enjeux qu’elle a à gérer », affirme Michel Guichard, bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine. Aujourd’hui, le tribunal de Nanterre, présent dans le deuxième département le plus riche de France selon l’Insee, est confronté « à des délais lunaires. Un divorce il faut en moyenne deux ans, un conseil des prud’hommes, quatre ans » précise Michel Guichard.

Quelques jours avant la manifestation, le 6 décembre dernier, les personnels de justice du tribunal de Nanterre ont fait part de leur colère, dans une motion votée, en assemblée générale plénière. Tous dénoncent des conditions de travail soumises à rudes épreuves. À titre d’exemple, ils constatent« de façon concrète le décalage grandissant entre les effectifs théoriques des magistrats et fonctionnaires du tribunal judiciaire de Nanterre et les besoins réels des justiciables des Hauts-de-Seine ». Ils rappellent également que « plusieurs services et tribunaux de proximité fonctionnent déjà à effectifs réduits, parfois jusqu’à 50 %, et ce depuis plusieurs années ».

La mobilisation intervient plusieurs semaines après la publication d’une tribune intitulée « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout » publiée par le quotidien Le Monde. Elle avait été écrite par neuf jeunes magistrats après le suicide fin août d’une de leurs collègues, Charlotte, magistrate dans le Pas-de-Calais . À l’heure actuelle, la tribune a été signée par plus de 5 200 magistrats, plus d’un millier de greffiers et 500 juges.

Face à cette colère qui gronde dans les tribunaux,  le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti  a tenté de calmer la fronde, venue perturber les États généraux de la justice lancés mi-octobre par le gouvernement. Lors d’une conférence de presse, tenue lundi matin, le membre du gouvernement a défendu son bilan du quinquennat en matière de justice, soulignant « une augmentation de plus de 30 % sur ce quinquennat » du budget du ministère de la Justice. En l’espace de cinq ans, le budget des services judiciaires, pour le fonctionnement des tribunaux notamment, a connu une hausse de 18%.

Partout en France, des rassemblements ont eu lieu devant la plupart des cours d’appel et certains tribunaux. Le mouvement de protestation a rassemblé plusieurs centaines de professionnels à Bordeaux, environ 400 à Marseille, 300  à Lyon, entre 230 et 400 à Strasbourg, 200 à Rennes et Nantes, une centaine à Nice, Besançon, Grenoble et Chambéry, quelques dizaines aussi à Orléans, La Rochelle. D’autres rassemblements ont eu lieu à Poitiers, Toulouse, Bastia, Limoges. À Lille, où environ 400 personnes ont manifesté à la mi-journée, une minute de silence a été observée en hommage à la magistrate.

Au total, dix-sept organisations professionnelles et syndicales de la justice , dont l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), ont appelé à cette journée d’action inédite. Les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé des préavis de grève et ont appelé avec les représentants des greffiers et des avocats à des « renvois massifs » des audiences.

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