Pour dénicher la Ferme du bonheur, il suffit de suivre les animaux vagabondant sur le campus de l’Université Paris-Nanterre, en totale liberté, au milieu des étudiants trop heureux de tomber sur un paon faisant la roue pour leur prochain post Instagram. Quand ils sont privés de sorties, moutons paissant sur le gazon et autres oies dévorant des restes de repas étudiants jonchant les poubelles débordantes de la faculté, doivent rester confinés au 220 avenue de la République, l’adresse de la ferme de Roger des Prés depuis près de 30 ans.

Cet ancien musicien, typé rock alternatif des années 1980, a choisi de poser ses valises à Nanterre, sur ce bout de terrain qu’il a longtemps aménagé seul, à deux pas du cirque des Noctambules de Nanterre. « C’est un endroit vivant, qui se réinvente chaque jour mais que l’on paie cher, par la précarité, raconte Roger des Prés, sans regretter un seul moment son choix de vie. 80 % de la ferme, c’est de la récup’, que ce soit pour les végétaux, les matériaux, les animaux et même le personnel, comme mon “ Jacky de ferme ”, un homme à tout faire qu’on a récupéré par le col de la chemise avant qu’il finisse définitivement SDF ».

Dissertant volontiers au coin du feu sur les travers de notre société, avec une propension à l’utopie pouvant agacer les plus pragmatiques, il fustige les institutions qui ne comprennent pas toujours son projet ou qui tentent de l’utiliser pour s’offrir gratuitement ses services de gardiennage. Ayant le goût de la lutte, il aime tenir tête à Paris la Défense, organisme public gestionnaire du quartier d’affaires, autant qu’à l’édile local Patrick Jarry, dont il abhorre le projet urbain, indigne d’une Mairie se disant « sociale solidaire et écolo ».

Sans modèle économique viable, sans parvenir à l’autonomie alimentaire avec ses quelques cochons et autres poules encore en vie après le passage des renards, la Ferme du bonheur se veut plus « une proposition » de réflexion sur l’agriculture urbaine.

Dans un combat du pot de fer contre le pot de terre, l’homme au béret noir vissé sur la tête veut « montrer au monde qu’un gros machin comme la Défense peut comprendre un petit machin comme la Ferme du bonheur ». « On souffre d’humilité. On cherche pas le fric, on cherche l’œuvre », résume-t-il, non sans fierté pour ce qu’il a accompli toutes ces années, de la construction du premier bâtiment de la ferme, son « favela-théâtre », au défrichement complet de parcelles de terres laissées à l’abandon derrière la Grande Arche, en face de la caserne de la Garde républicaine.

Sans modèle économique viable, sans parvenir à l’autonomie alimentaire avec ses quelques cochons et autres poules encore en vie après le passage des renards, la Ferme du bonheur se veut plus « une proposition » de réflexion sur l’agriculture urbaine qu’un modèle à suivre. Car les recettes financières proviennent essentiellement des soirées électros, organisées l’été sur un des terrains réservés d’ordinaire à l’entraînement des chevaux, et non de la vente des produits de la ferme.

Malgré cela, Roger des Prés parvient à susciter épisodiquement une reconversion vers la paysannerie chez certains de ses bénévoles et pourquoi pas un changement de regard sur la nature de la part des salariés du quartier d’affaires, venus passer une journée RSE en sa compagnie. Les confinements successifs et le retour à la terre d’employés de la Défense l’ayant bien aidé ces derniers mois. Reste, pour continuer son aventure, à se maintenir sur les surfaces qu’il occupe, alors que l’Université lorgne depuis plusieurs années sur son terrain pour s’agrandir.

CREDITS PHOTOS: LA GAZETTE DE LA DEFENSE