Depuis juillet 2018, un mineur non-accompagné étranger présent en Île-de-France, doit se présenter au bâtiment du Quartz, à Nanterre pour que sa situation soit évaluée par la cellule des mineurs non-accompagnés (MNA) du département et par les services de la préfecture. Une fois la situation évaluée favorablement, le mineur entre dans le dispositif de la protection de l’enfance.

Avec une dizaine d’agents devant gérer les évaluations, et le suivi des dossiers de 910 mineurs, la cellule MNA ne peut pas apporter de réponses à la hauteur du problème. Car les Hauts-de-Seine, comme les autres départements, est la seule institution responsable de la prise en charge et de l’évaluation de ces jeunes, ne mettrait pas suffisamment de ressources humaines et financières à disposition de la cellule MNA et des équipes de terrain.

Pour gérer actuellement, 910 mineurs non-accompagnés, le Département dispose de « quatre cadres et 10 agents [qui gèrent] en moyenne 250 MNA » en cours d’accueil et d’évaluation, le reste étant à la charge des équipes de terrain. Sauf que les effectifs annoncés par le Département ne sont que théoriques, car plusieurs agents de la cellule sont actuellement en arrêt maladie ou absents. De telle sorte qu’ils ne seraient pas plus de « quatre en ce moment », selon une agente du Département qui travaille au sein du Quartz.

Résultat : ces jeunes sont scolarisés tardivement, ne peuvent pas se déplacer faute de pass Navigo, et sont livrés à eux-mêmes dans des hôtels. Une situation problématique pour ces mineurs qui peuvent tomber dans des problèmes de drogues, de prostitution ou de délinquance faute d’encadrement solide. Le Département reste convaincu des bienfaits de sa politique, alors que les demandes explosent.

Le 13 novembre dernier, RESF 92 a manifesté devant le Quartz pour demander au Département plus de moyens en matière d’accueil et d’accompagnement des mineurs exilés.

« Vous savez ce qu’il se passe devant le Quartz tous les matins ? » , s’indigne une travailleuse sociale lors des rencontres nationales des travailleurs sociaux à l’université Nanterre en septembre dernier. « Il y a des dizaines de mineurs qui patientent devant le Quartz à Nanterre pour espérer être pris en charge par le Département », fulmine-t-elle.

Une situation que la Gazette a pu constater plusieurs matins courant novembre. Dès 8 h 00, ils sont déjà quasiment une vingtaine à attendre, dans le froid, que le Quartz ouvre et que les agents de la Cellule MNA puissent les recevoir. « J’ai besoin de mon passe Navigo », dit l’un d’entre eux, « je dois faire signer mes papiers pour aller au lycée », explique un autre.

Une dizaine d’entre eux, tout au plus, auront la chance d’être pris en charge. « C’est souvent le premier arrivé, le premier servi », explique Roger, bénévole du Réseau éducation sans frontière (RESF) des Hauts-de-Seine. L’une des membres du réseau, régulièrement présente les matins, devant le Quartz a méthodiquement noté ses observations dans un document dont la Gazette a pu prendre connaissance.

« Notre constat est celui d’une maltraitance généralisée à l’encontre des mineurs qui se présentent à la cellule MNA ou qui sont suivis par elle, faute de moyens nécessaires mis en œuvre pour répondre aux besoins », déplore la synthèse écrite sur la base de 44 observations effectuées entre le 15 octobre 2018 et le 24 juin 2019.

« Les conditions d’accueil des mineurs souhaitant être reçus sont très insatisfaisantes », estiment les auteurs de la synthèse qui relève plusieurs éléments inquiétants. « Une partie des jeunes n’est pas reçue, réception des jeunes et discussion sur les situations individuelles sur les marches, recours à des vigiles … » précise la synthèse.

Au cours de leurs observations, les bénévoles de RESF 92 ont remarqué plusieurs défaillances pourtant faciles à gérer. « D’une façon générale, le service appelle des jeunes qui sont absents et ne reçoit pas ceux qui sont présents, ce qui est paradoxal et peu efficace », résume le texte des associatifs.

Le 13 novembre dernier, alors que RESF 92 organise une manifestation devant le Quartz pour demander plus de moyens au Département en matière d’accueil et d’accompagnement des mineurs exilés, une jeune femme vivant à Gennevilliers se gare devant et interpelle les bénévoles. Avec elle, Mohamed, 17 ans, et son petit frère Djibril, 15 ans. Ils sont Mauritaniens, et ont « dormi dans la rue toute la nuit, en bas de chez moi », raconte-t-elle aux bénévoles.

Roger, le membre minent de RESF Hauts-de-Seine, les prend à part. Il leur demande tous leurs papiers, leur pose des questions sur leur arrivée en France, leur âge, etc. Les deux adolescents qui se tiennent devant lui sont frigorifiés, vêtus d’un pantalon et d’une veste en jean par-dessus un T-shirt. « On a essayé de leur avoir un rendez-vous rapidement, et qu’ils soient mis à l’abri tout de suite », explique le retraité, une fois toutes les informations notées.

En vain ce jour-là. Un rendez-vous est tout même planifié au lendemain matin. Une bénévole nanterrienne de RESF les hébergera pour la nuit. Le lendemain, au rendez-vous à la Cellule MNA, les deux jeunes sont reçus et le rendez-vous se passe bien. « Ils ont de la chance, explique Roger. Ils sont venus en France avec leur passeport et un visa qui devait s’étendre jusqu’au 26 novembre, une situation idéale, quoi », détaille-t-il.

La facilité d’accueil et de prise en charge, dont Mohamed et Djibril ont pu bénéficier n’est pas donnée à tout le monde. « Par ailleurs, dans le cas des « nouveaux », il est quasiment impossible de demander à un jeune qui dort à la rue de respecter un rendez-vous », déplore la synthèse d’observation écrite par les bénévoles de RESF.

« Il y avait une machine qui passait devant moi, bougeait et s’arrêtait » se souvient-il décrivant une radiographie. Sans même connaître les résultats, Saliou s’est vu recevoir une notification de fin de prise en charge.

Et lorsqu’ils se présentent, les documents d’état-civil fournis par les jeunes exilés sont souvent remis en cause par la Cellule ou par le procureur de l’État Civil. C’est le cas de Saliou Kindy Diallo, lequel vient d’avoir 16 ans en octobre. En France depuis mars, ce jeune guinéen a été sauvé d’un naufrage en pleine mer Méditerranée. Débarqué en Espagne, il est monté jusqu’à Paris à pied et s’est retrouvé dans le quartier de la Chapelle, repère de migrants d’Île-de-France.

« À mon arrivée, on m’a dit de venir ici (au Quartz à Nanterre, Ndlr), explique cet adolescent, âgé alors de 15 ans. J’ai été évalué, puis emmené à l’hôtel où je suis resté pendant deux trois mois. » Sauf que cinq mois après le lancement de sa procédure, le procureur de l’état-civil a ordonné un test osseux.

« Il y avait une machine qui passait devant moi, bougeait et s’arrêtait » se souvient-il décrivant une radiographie. Sans même connaître les résultats, Saliou s’est vu recevoir une notification de fin de prise en charge. « Je vis depuis à la Chapelle, raconte-t-il dans un français hésitant. Je dors dans la tente d’un ami. »

Pour palier cette situation, les bénévoles de RESF, ont trouvé une petite combine, aidés par les avocats de la cellule mineurs du barreau des Hauts-de-Seine. « Dès qu’on identifie un jeune devant le Quartz ou ailleurs, on prend le maximum d’informations pour saisir le juge des référés du tribunal administratif de Cergy (Val-d’Oise), détaille Roger. Cela oblige l’Aide sociale à l’enfance (Ase, anciennement appelée Das, dont le Département à la charge, Ndlr), de procéder à une mise à l’abri d’urgence ».

Un moyen utile dans deux situations : « Lorsque le jeune n’est pas pris en charge par la cellule pour X ou Y raison, ou bien quand les délais sont trop longs », explique Roger. Car les délais sont longs et les demandes de plus en plus nombreuses. Ce fut le cas en mars dernier, lorsque le juge a condamné le Département dans une procédure, l’obligeant à prendre en charge trois jeunes exilés refusés après l’évaluation et de rappeler à l’institution ses devoirs en matière de protection de l’enfance.

Dans son rapport annuel, le groupe des avocats d’enfants du barreau des Hauts-de-Seine a réalisé plus de 179 actions au nom de mineurs non-accompagnés en 2018. « Des chiffres qui seront encore en forte hausse pour 2019 », prédit Isabelle Clanet Dit Lamanit, avocate au barreau des Hauts-de-Seine.

« Mais le plus dur n’est pas d’arriver à être pris en charge, souligne Roger, retraité bénévole pour RESF. C’est une fois qu’ils sont pris en charge que tout devient plus compliqué ». Car les mineurs, une fois pris en charge, doivent être accompagnés par les services du Département pour être scolarisés, se déplacer, et être soignés. Des prérequis que le Département affirme prendre en charge.

« Actuellement, le Département remet de l’argent aux jeunes pour qu’ils puissent renouveler leurs pass Navigo, explique à la Gazette le Département. Le pass Navigo leur est accessible dès leur entrée dans le dispositif MNA, et le Département règle l’abonnement en plein tarif tant que les droits à la CMU n’ont pas été ouverts. »

Sauf que dans les faits la remise de cet argent est chaotique pour les bénéficiaires comme pour les agents de la cellule. « Un dysfonctionnement récurrent que nous observons à partir du mois de février 2019 concerne l’abonnement Navigo, révèle le rapport d’observation fourni par RESF. Une grande partie des mineurs qui se présentent à la cellule MNA viennent pour ce motif ». Et bien souvent, les agents n’ont pas les moyens de leur donner ce fameux chèque.

Les chèques sont faits à la va-vite et les jeunes doivent patienter toute la journée, ou bien revenir le lendemain. Une situation ubuesque pour tout le monde que le Département cherche à simplifier. « Les équipes du Département sont en train de travailler avec la RATP pour régulariser la démarche et ainsi sécuriser le dispositif », est-il indiqué à la Gazette. Et qu’en est-il du reste ?

Dans les faits, la remise de l’argent aux mineurs pris en charge pour qu’ils puissent renouveler leur navigo en début de mois est chaotique.

« Même combat ! » , explique Roger de RESF. « Il faut batailler et patienter pour tout, on est dans la politique du découragement », déplore le retraité bénévole. Si les démarches sont longues et chaotiques, cela est dû au manque de moyens de la cellule MNA du département. Si le département en compte sur dix agents et quatre cadres, les travailleurs sociaux en charge du dossier de ces jeunes exilés sont « en ce moment quatre ou cinq, selon les arrêts maladie », énumère une agente travaillant au Quartz.

« Il y a une véritable perte de sens pour les agents rattachés à cette cellule, explique-t-elle. Ils savent qu’ils font mal leur travail parce qu’on ne leur donne pas les moyens et ça les use. » Dans les faits, il faudrait diviser par deux ces chiffres selon l’agente du pôle solidarité interrogée. Beaucoup d’arrêts maladie et de mutations. « Ce sont de bases du personnel détaché », rappelle la fonctionnaire du Département. Faute de pouvoir faire son boulot correctement, les agents sont usés.

Un constat partagé par les bénévoles de RESF : « Cette maltraitance [des MNA] est sans aucun doute le résultat du manque d’effectifs et des moyens affectés à la cellule MNA et de la désorganisation qui en découle, constate le rapport d’observation. À une exception près, l’attitude individuelle des personnels de la cellule MNA n’est pas en cause ».

La situation est tellement intenable que les agents n’hésitent pas à se faire muter ailleurs en Île-de-France. Après avoir manifesté leur colère devant l’hôtel du Département le 21 novembre dernier, les agents du Pôle solidarité compte remettre le couvert vendredi 13 décembre matin, à l’occasion de la tenue de l’Assemblée départementale au Pôle universitaire Léonard de Vinci.

« On est déjà sur la corde raide et à la limite de faire grève, c’est qu’on mets encore plus dans la merde un public déjà très précaire », déplore une employée du pôle. « On se sent pris au piège et oubliés, car on ne rentre pas dans les considérations des électeurs de Monsieur Devedjian ».

ERRATUM
Dans cet article, une erreur a été commise. Contrairement à ce qui été indiqué, les Hauts-de-Seine n’est pas le seul département d’Île-de-France à accueillir les mineurs exilés non-accompagnés, mais la seule institution des Hauts-de-Seine en charge de la question, comme chaque département en France. La rédaction de la Gazette de la Défense présente ses excuses à ses lecteurs pour cette erreur.

Droit de réponse du département des Hauts-de-Seine

Suite à l’article publié mercredi 11 décembre 2019, « les exilés mineurs non-accompagnés, délaissés par le Département ? »

Les Départements sont le premier point d’entrée des jeunes étrangers isolés au niveau administratif. Le budget départemental relatif au service des mineurs isolés étrangers (ou mineurs non accompagnés, MNA) a été multiplié par 4 entre 2015 et 2018, passant de 6,5 M€ à 28 M€. Au cours de l’année 2019 le Département a consolidé son équipe MNA pour atteindre 15 agents au 2 janvier 2020.

L’arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles a récemment précisé le processus d’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Le Département des Hauts-de-Seine assume donc cette responsabilité au niveau territorial sur le 92.

Le service départemental d’évaluation des MNA, situé au Quartz à Nanterre, est bien identifié car les jeunes s’y présentent quotidiennement. Ce service a pour mission de leur ouvrir un dossier, de vérifier leurs documents d’identité, de programmer un rendez-vous avec la préfecture puis un entretien d’évaluation dans les 5 jours. Pendant cette évaluation, les jeunes sont immédiatement mis à l’abri en pension complète dans des hôtels, disposent d’une aide financière notamment pour les déplacements et orientés vers des soins si besoin. Par ailleurs, l’équipe du service MNA assure les premiers actes liés au suivi des jeunes. Les agents engagent donc des démarches de soin, de scolarisation, d’enregistrement auprès des ambassades.

Dans le cadre de cette évaluation, les services départementaux ont la possibilité de solliciter un test osseux et la vérification des papiers d’identité à la Police aux frontières, notamment en cas de doute. Ces deux démarches sont des outils au service d’une évaluation qui doit être complète et contribuent au faisceau d’indices permettant au Département de prendre sa décision.

Il est à noter que souvent, en dépit d’une évaluation négative, les jeunes sont finalement pris en charge, sur décision des juges qui imposent au Département leur placement judiciaire au titre de la protection de l’enfance. Ce sont donc 90% des jeunes se présentant auprès du service MNA qui sont pris en charge.

Le Département ne peut signer des documents officiels liés à l’autorité parentale qu’à partir du moment où le Juge a ordonné une tutelle ou une autorité parentale déléguée. Cela concerne notamment la scolarité et les soins. Or, lorsque les mineurs sont scolarisés, notamment par RESF, avant même une première présentation auprès du service MNA, c’est tout le processus établi par la loi qui est court-circuité et les étapes doivent être reprises depuis le début, mettant souvent les jeunes dans des situations délicates vis-à-vis de propositions professionnelles.
Actuellement 96 jeunes sont en cours d’évaluation par ce service (en accueil temporaire). Une fois que la Préfecture a vérifié leur identité dans les fichiers nationaux et que l’évaluation rendue par le service confirme leur statut de mineur isolé, les jeunes sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Aujourd’hui 579 jeunes sont confiés par le Juge dans le cadre d’un « placement judiciaire », 235 sont confiés au Département avec tutelle ou autorité parentale déléguée. Le Département assure également un suivi à titre extra-légal de jeunes dont la majorité est révolue, et continue ainsi d’accompagner 266 jeunes ex-MNA dans leurs projets d’insertion professionnelle. Au total ce sont 1 176 jeunes qui sont suivis. 558 d’entre eux sont confiés directement au service composé de 14 agents.

Dès le début de l’évaluation, les jeunes sont placés en hôtels ou dans des centres d’hébergement. Certains jeunes confiés à l’ASE sont orientés vers Le Lien Yvelinois, qui accueille depuis le 1er mars 2019 150 MNA. Il en résulte une prise en charge éducative, sanitaire, scolaire et d’intégration sociale améliorée pour ces jeunes. Un nouvel appel à projets permettra d’assurer la prise en charge de 175 jeunes supplémentaires à compter de janvier 2020.

Droit de réponse mis en ligne le mardi 17 décembre 2019 à 10h.