« Nous ferons en sorte que la fluidité soit assurée », déclarait en mars 2018 le préfet de la région Île-de-France, à la création de cinq Centres d’accueil et d’évaluation de situation (CAES) franciliens, destinés à devenir le premier rouage de la politique d’accueil des exilés en France. Il est censé permettre, en une quinzaine de jours, d’évaluer la situation de chacun et de lancer la procédure administrative adaptée : demande d’asile, orientation vers une structure d’accueil des réfugiés, etc…

De la théorie à la pratique, il y a souvent un pas. A Nanterre, le CAES propose un tout autre tableau que celui dépeint à l’origine par les pouvoirs publics. Dans un bâtiment voué à la démolition, aux conditions d’accueil sommaires, les exilés venus en France logent une à deux semaines… avant, le plus souvent, de retourner à la rue dans un ballet qui semble témoigner de l’échec d’une politique publique, malgré les efforts des travailleurs sociaux censés assister ces naufragés.

Ce constat, d’une fluidité assurée mais à l’efficacité très limitée, est issu de plusieurs semaines d’enquête menée sur place, sans invitation mais aussi lors d’une visite proposée aux députés de la commission des lois en septembre dernier. Une troisième visite a été menée en octobre, et en interrogeant les différents acteurs en charge de la structure nanterrienne, de la préfecture aux responsables associatifs du centre, qui doit d’ailleurs bientôt fermer.

Si les institutions se félicitent de l’efficacité de cette nouvelle structure, les premiers concernés, eux, dénoncent un hébergement précaire à tous les niveaux, peu susceptible de jouer le rôle qui lui a été attribué. Sa seule vraie réussite consisterait à bien avoir permis de désengorger partiellement la porte de la Chapelle d’une partie de ses exilés, qui y reviennent cependant régulièrement, faute d’issue aux quelques nuits passées dans un des CAES de la région.

Selon la préfecture des Hauts-de-Seine, 4 238 personnes ont été prises en charge par le CAES de Nanterre depuis mars 2018, dont 2 903 d’entre elles ont été orientées, soit 70 %.

« On est dans la politique du découragement », déplore une travailleuse sociale des Hauts-de-Seine au fait de ces questions (et qui a souhaité rester anonyme, Ndlr). « Ils sont évalués en deux semaines puis envoyés vers d’autres structures d’Île-de-France ou de province, résume-t-elle du fonctionnement des CAES. Tout en étant assidus aux différentes étapes de leur procédure, qui pour un Afghan, un Soudanais ou un Guinéen, peut être incompréhensible. »

Parmi les cinq CAES d’Île-de-France, dont l’objectif est l’enregistrement et l’orientation rapide des migrants, celui de Nanterre a ouvert ses portes en mars 2018. Située boulevard Émile Zola, la structure accueille 144 personnes en flux tendu dans le cadre du CAES, auxquelles s’ajoutent les 200 personnes du centre d’Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda) inclus dans cet immeuble de 15 étages datant de 1975. La structure gérée par l’association Aurore repose sur un budget de « 4 millions d’euros par an environ », comptabilise son directeur Frédéric Ducauroy.

Pour les pouvoirs publics, le verre à moitié plein est mis en avant : « C’est une réussite car la structure nous permet de lancer rapidement la procédure administrative des migrants », fait-on ainsi remarquer à la préfecture des Hauts-de-Seine. « Il permet de faciliter le traitement des situations dans les délais raccourcis [90 jours, Ndlr] prévus par la loi Asile et immigration », abonde la députée de circonscription, membre de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, Isabelle Florennes (Modem).

Entre mars 2018 et le 23 octobre dernier, 4 238 personnes ont été prises en charge par le CAES de Nanterre. Selon les chiffres de la préfecture des Hauts-de-Seine, 2 903 d’entre elles ont pu bénéficier d’une orientation vers une structure adaptée, soit 70 %. La situation des migrants est évaluée par la préfecture dans un délai moyen de 15 jours.

À leur arrivée, les hébergés sont enregistrés par les travailleurs sociaux, et un rendez-vous à la préfecture est planifié dans les jours qui suivent. Une fois la situation du migrant évaluée par les services de la préfecture des Hauts-de-Seine, cette dernière rend une décision qui doit réorienter la personne vers une nouvelle structure en Île-de-France, ou en province, ou bien prononce une fin de prise en charge car la personne relève de statuts particuliers.

« On est installé systématiquement dans des structures intercalaires à prix réduits qui ne s’inscrivent pas dans la durée », constate Malick Badiane, salarié d’Aurore à Nanterre. « Et qui sont vétustes et sommaires », ajoute Frédéric Ducauroy, qui précise : « Mais correctes. » Certains résidents, croisés en septembre, ne partagent pas cet avis.

Pour les pouvoirs publics, le verre à moitié plein est mis en avant : « C’est une réussite car la structure nous permet de lancer rapidement la procédure administrative des migrants. »

« Il y a des rats, des souris et des cafards », fulmine l’un d’eux, regrettant qu’il n’y ait que « deux toilettes et deux douches par étage pour 24 personnes ». Un autre migrant mentionne des « remontées d’odeurs horribles ». Un dernier montre d’importantes irritations sur les avant-bras, qu’il attribue aux draps et aux mauvaises conditions d’hébergement. Si les responsables du centre reconnaissent la présence « de rats, de souris et de cafards », il se défendent à propos des conditions d’hygiène.

« À chaque départ, les lits sont refaits et les couettes sont nettoyées, balaie le directeur. Quant aux draps, ce sont des kits jetables pour éviter toute propagation de galle ou de punaises de lit. » Les murs moisissent en raison d’infiltrations, y compris dans le bureau du directeur… qui se montre pragmatique : il « préfère que tout le monde mange à sa faim avec trois repas par jour » à la qualité de la « couleur des murs ».

Selon des exilés interrogés, en provenance de pays souvent en guerre, la précarité est également mentale, eux dont le parcours migratoire a souvent été traumatisant. « J’avais des problèmes en Afghanistan, maintenant j’ai des problèmes en France », constate, las, un jeune homme de 25 ans balloté de CAES en CAES : « Je fais beaucoup de sport pour me défouler et ne pas péter un câble en attendant. »

Si une « mise a l’abri » est bien effectuée au sein de ces centres, celle-ci reste éphémère, et le suivi impossible. « À l’exception des personnes envoyées en Centre d’accueil et d’orientation (CAO), nous n’avons pas les moyens de faire un suivi des personnes passées chez nous », regrette le directeur du centre, Frédéric Ducauroy. La période d’évaluation étant très courte, le travail social d’accompagnement pour réussir ensuite l’intégration serait quasi-impossible.

L’après-CAES, lui, serait lui aussi plus théorique que pratique, bien des exilés étant dirigés vers des endroits dépourvus de communautés existantes. « L’orientation, en Île-de-France comme en province, n’est pas pensée dans un aspect communautaire, analyse le directeur du CAES de Nanterre. C’est-à-dire que si une personne est envoyée seule au fin fond des Alpes, à Barcelonette, sans qu’elle soit accompagnée ou placée avec un ami de la même communauté, c’est normal qu’elle revienne à Paris. »

Une situation qui ne s’arrangerait pas en raison de la « forte implantation des différentes communautés dont font partie les migrants », reconnaît la préfecture des Hauts-de-Seine. La députée Isabelle Florennes confirme « qu’il y a une pénurie de logements disponibles pour ces populations en Île-de-France », et elle suggère « des zones désertées en province où l’on peut les intégrer facilement » tout en reconnaissant que « les migrants ne jurent que par Paris ».

« D’ici à la fermeture en janvier 2020, nous aurons accueillis environs 6 000 personnes [temporairement] dans le cadre du CAES », selon son directeur Frédéric Ducauroy.

Et s’ils quittent leur logement ou leur point d’orientation, les exilés sont considérés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) comme « en fuite ». Résultats : leurs droits obtenus dans le cadre de la procédure sont coupés, comme l’aide au logement, le RSA, la Sécurité sociale ou les aides au transport.

« Ils devront attendre 18 mois avant la réouverture de la procédure, sans avoir l’assurance de rouvrir leurs droits aux aides », explique le directeur de la structure nanterrienne. « Il suffit d’un seul rendez-vous manqué pour X ou Y raison pour que cela arrive », précise-t-il. Quant à ceux qui respectent jusqu’au bout leurs obligations, ils finiraient trop souvent par errer entre les différentes structures, faute d’orientation fiable.

« Être emmené, avoir un toit 10 à 15 jours, et retour à la Chapelle », témoigne ainsi Moharam, un Afghan de 26 ans passé par cinq structures différentes. « J’ai été emmené à Cergy, à Melun, à Gennevilliers… énumère-t-il. À chaque fois c’est pareil, ils nous emmènent, nous gardent 15 à 20 jours, et puis après, on retourne à la Chapelle faire la queue. » Rencontré au tout début de septembre, Moharam a finalement rebroussé chemin à la Chapelle le 24 septembre dernier, sans orientation.

« C’est vrai qu’il y a une boucle en place et que certains migrants tournent en rond », reconnaît Malick Badiane d’Aurore. « Paris est désengorgée grâce aux CAES, que ce soit à La Chapelle ou les centres d’accueil de jour du boulevard du Palais et de Denfert-Rochereau », respectivement dans les 8e et 14e arrondissements de Paris. Alors, peu ou pas orientés, les exilés finissent par retourner à la rue aux côtés de tous ceux qui ne peuvent être pris en charge, comme ceux qui relèvent du traité de Dublin (attribuant la charge de l’intégration au premier pays foulé par le migrant, Ndlr).

« D’ici à la fermeture en janvier 2020, nous aurons accueilli environ 6 000 personnes [temporairement] dans le cadre du CAES, soit deux fois le nombre de personnes actuellement à la rue à Paris », indique son directeur Frédéric Ducauroy. La préfecture, elle, aurait « déjà plusieurs options » concernant le futur site du CAES à Nanterre en 2020, qu’elle prévoit « à capacité équivalente ».