La salle est comble, les applaudissements nourris et la directrice visiblement satisfaite de la prestation de ses « petits rats ». Le 4 décembre dernier, après deux heures trente de représentation, des dizaines d’élèves de l’École de danse de l’Opéra de Paris saluent le public de parents et autres représentants du monde de la danse ayant accouru à Garnier pour les premières « démonstrations » de l’établissement depuis la crise sanitaire et les grèves qui avaient secoué l’Opéra en 2019.

Autrefois appelés « Portes ouvertes », ces instants parties prenantes de la liturgie de l’école offrent aux apprentis danseurs une rare occasion de se produire sur scène et à l’établissement une opportunité de communiquer sur le travail accompli au cours de l’année. Ainsi samedi dernier, les plus jeunes élèves de l’école ont tâché, sous la houlette de leur professeur respectif, d’exposer la palette de techniques inlassablement répétées dans l’un des dix studios du centre de formation.

Se sont ainsi succédés divers exercices de danse classique, de quoi se familiariser avec les échappées, battues, arabesques et autres termes spécifiques à la discipline. Le tout suivi d’une mise en scène de style baroque, d’une danse de caractère russe ou d’une chorégraphie contemporaine, pour finir sur une note musicale en hommage à Georges Brassens. Une programmation délibérément éclectique, afin de souligner la pluridisciplinarité de l’école de danse, depuis sa réforme initiée par son ancienne directrice Claude Bessy en 1976.

Les dates clés

1661 :Création de l’Académie Royale de Danse par Louis XIV
1713 :Création de l’École de danse par Louis XIV
1972 :Arrivée de la direction du conservatoire de Claude Bessy qui réformera en profondeur l’enseignement
1987 :Inauguration des nouveaux bâtiments de l’École de danse de l’Opéra
2004 :Arrivée de la nouvelle directrice Élisabeth Platel

« Les élèves apprennent chez nous la danse classique, qui est la base, le socle de leur apprentissage, détaille Elisabeth Platel, ancienne étoile de l’opéra à la tête de l’école depuis 2004. Selon le niveau, nous proposons aussi des formes de danse et des formats artistiques qui correspondent à leur maturité intellectuelle et artistique. Les plus petits vont faire du folklore et de la danse baroque, les classes du milieu vont apprendre les danses de caractères, les danses folkloriques russes ou espagnoles. Les deux dernières années font du contemporain, du jazz ou du pas de deux ».

Les 140 « petits rats » de l’école se répartissent en six niveaux ou divisions selon leurs aptitudes et leur âge, qui peut aller de 8 à 18 ans. Seul un petit contingent est admis à chaque rentrée, que ce soit en première année ou en cours de cycle. « En 2021, concernant les plus jeunes, nous étions à notre taux habituel avec 180 filles et 35 garçons postulants, précise Élisabeth Platel. Finalement, nous avons pris 14 filles et 11 garçons, ce qui pour nous est un gros effectif. L’idée n’est pas de s’amuser à prendre quelqu’un si on pense qu’il va être en difficulté. Mais il faut aussi éviter les trop petits effectifs pour maintenir l’émulation et une dynamique de groupe ».

Instituée il y a plus de trois cents ans par Louis XIV, l’école de danse de l’Opéra national de Paris a progressivement aménagé son enseignement au fil des ans, en introduisant notamment en 1860 un programme d’instruction. En plus de leurs cours de danse l’après-midi, les élèves suivent donc le programme scolaire de tout autre Français de l’enseignement général, sur place et chaque matinée de la semaine, avec un objectif soutenu par la direction : l’obtention du baccalauréat, en plus de leur diplôme national supérieur professionnel, sésame indispensable pour reprendre ses études en cas de carrière avortée, de reconversion ou d’échec aux auditions d’entrées. Car les places au sein des troupes de danseurs, notamment dans le corps du ballet de l’Opéra de Paris, sont rares et la sélection féroce.

L’école affiche tout de même un taux d’insertion dans le milieu de la danse de 75 % et constitue le véritable tremplin pour intégrer la troupe de l’Opéra de Paris. 92 % des danseurs y figurant sont en effet passés par l’établissement. « Ce que l’on ressent en plus dans cette école historique, c’est son héritage, nous confie Anastasia, élève de première division initialement formée à l’école de l’Opéra de Berlin, et qui devrait passer à la fin de l’année scolaire l’un des deux concours pour entrer dans l’institution de ses rêves. Les professeurs ici ont tous été à l’Opéra, ont connu Noureev ! C’est différent de ce que j’ai pu connaître à Berlin, où les professeurs venaient d’un peu partout ».

Avec une quarantaine d’enseignants danseurs et de pianistes, l’encadrement des « petits rats » se veut optimum. Choyés, les élèves bénéficient aussi des services d’un nutritionniste qui imagine les repas, d’un kinésithérapeute, d’un ostéopathe, d’une infirmière et d’un médecin du sport ; une équipe médicale indispensable pour soigner au plus tôt les blessures éventuellement graves.

« S’occuper des enfants n’est pas toujours évident, il faut être patient et leur expliquer l’intérêt des remarques et corrections qu’on peut leur apporter, relève Christophe Duquenne, ancien danseur étoile et professeur de la 3e division garçon. On leur donne tous les outils pour qu’ils puissent s’auto-corriger. Nous les évaluons sur leur écoute, les progrès physiques réalisés, leur puissance, leur souplesse tout aussi bien que sur leur regard, la qualité de leur travail, leur musicalité… S’améliorer réclame un vrai effort de concentration, ce qui est beaucoup demandé à cet âge-là ».

De surcroît lorsque l’enfant ne parle pas un mot de Français, comme c’est le cas pour un certain nombre d’arrivants, alors que douze nationalités sont représentées au sein de l’école. « Heureusement pour moi, j’ai appris le Français grâce à ma mère qui est francophone. Mais au début, je n’arrivais pas du tout à écrire, juste à lire », raconte César, un jeune allemand de 11 ans, tombé amoureux de la danse après avoir vu Billy Elliot.
« Il y a en effet des jeunes russes, chinois ou autres nationalités parmi nous, mais ils apprennent le Français à vitesse grand V, grâce à un accompagnement scolaire au début », ajoute Stéphanie Rodier, attachée de presse de l’école de danse.

Aidés par le vocabulaire de la danse, prononcé à l’international en langue française, les petits rats étrangers peuvent de toute manière améliorer leur niveau grâce à leur placement dans une famille d’accueil de la région ou les contacts qui peuvent tisser à l’internat. Qu’ils soient près ou loin de leur famille, les élèves se doivent de faire montre d’une certaine maturité, en plus d’un goût de l’effort et d’un respect de la discipline. Tous se produiront en avril prochain dans le cadre du spectacle annuel de l’école, une nouvelle fois au Palais Garnier.

20 allée de la Danse : une adresse synonyme d’îlot d’excellence

Grande réformatrice de l’école, l’ancienne directrice Claude Bessy (1973-2004) avait posé un impératif à la restructuration de l’établissement. « Claude avait dit qu’elle ne pouvait faire évoluer l’école que si elle bénéficiait d’un nouveau bâtiment, se souvient Élisabeth Platel, sa successeur à la tête de l’école. On nous a trouvé ce terrain à Nanterre, qui appartenait au ministère de la Culture, pour construire ce bâtiment qui a été pensé et réfléchi avec l’architecte Christian de Portzamparc ». Inauguré en 1987 par le ministre François Léotard, celui-ci se compose de trois édifices distincts : l’un dédié à l’enseignement scolaire, l’autre à l’internat et à la cafétéria et enfin le dernier à l’auditorium et aux studios de danse.

Des pièces accessibles depuis un iconique escalier en colimaçon, qui dessert cinq paliers depuis lesquels les curieux peuvent lorgner sur les classes de danse en contre-bas. « Ce bâtiment, qui reste encore moderne et terriblement fonctionnel, permet un projet total, avec toutes les activités rassemblées dans un même lieu, se réjouit la directrice. On a la possibilité de donner 12 classes de danse en même temps, ce qui était impossible du temps où l’école était installée à Garnier ».

CREDIT PHOTO UNE : FRANCETTE LEVIEUX

CREDIT PHOTO INTERIEURE : LA GAZETTE DE LA DEFENSE