Le parti pris semble assumé et entre naturellement en résonance avec l’histoire et la politisation de l’université de Nanterre, à laquelle le centre est accolé. La direction de La Contemporaine, bâtiment mixte mêlant salle de lecture, musée et centre d’archives, aspire, grâce aux 4,5 millions de pièces historiques renfermées dans ses réserves, « à interpréter » les grands événements marqueurs des XXe et XXIe siècles, sous un angle honnêtement militant. « Nous parlons de l’engagement sous toutes ses formes, via les legs d’associations telles que la Ligue des droits de l’Homme ou la Cimade, association d’entraide aux réfugiés », se targue Valérie Tesnières, directrice de La Contemporaine.

Dans un édifice flambant neuf de 6 800 mètres carrés – un projet à près de 30 millions d’euros  – dont l’inauguration officielle devra attendre la fin novembre, chercheurs, étudiants et particuliers à même de justifier d’un intérêt pour l’Histoire sont invités à venir consulter des archives dans la grande salle de lecture du rez-de-chaussée, dont les étagères de livres devront encore patienter avant de déborder d’ouvrages. Le hall et ses écrans géants inopérants devront aussi attendre, « probablement la fin de l’année », avant de pouvoir être pleinement utilisée pour de petites réunions publiques.

Après avoir monté les escaliers de béton jusqu’au premier étage, le visiteur lambda – leur entrée est elle ouverte à tous – est invité à se rendre dans l’un des trois espaces d’exposition que compte le musée. Une grande salle de 300 mètres carrés, divisible en deux, est dévolue aux vernissages d’expositions temporaires, dont la première est fixée en janvier prochain. Deux à trois par an devraient s’y succéder, une fois la vitesse de croisière atteinte. Pour l’heure, la direction attend plutôt les visiteurs, qui ne se sont pas pressés au portillon dans les jours suivant l’ouverture du lieu, le 18 octobre dernier.

« Je pense que les Nanterriens vont prendre le plis, espère vivement la directrice. Je pense qu’on va faire pas mal de visites de groupes au début ». Et notamment dans l’espace d’exposition permanente, qui devrait subir une rotation régulière de ses pièces mises en valeur. À l’intérieur, le spectateur est d’emblée projeté à l’orée du XXe siècle, en plein essor de la civilisation industrielle, avec ses vitrines que furent les expositions universelles. Une époque aussi marquée par la montée d’une nouvelle bourgeoisie aimant collecter toutes sortes d’objets, dont beaucoup furent légués à l’Université de Paris à la fin de la Première Guerre mondiale.

Une occupation qui fut aussi celle des époux Leblanc, qui tenaient un petit musée dans la capitale, et dont les objets et autres documents glanés çà et là ont constitué la genèse de La Contemporaine. Une manière pour eux de matérialiser leur vision de leur époque, teintée d’irénisme, sans imposer de hiérarchie entre les types d’objets chinés (affiches, vaisselle, photographies, babioles confectionnées par les poilus…)

À l’exception des deux Guerres mondiales, les autres grands événements du monde moderne tels la révolution bolchevique, la décolonisation ou mai 1968 sont survolés et tout juste mis en exergue par quelques documents, photographies, livres ou petits objets dont le choix, la mise en scène et les textes descriptifs sont parfois marqués d’un parti pris idéologique en faveur des migrations humaines ou des « faits d’armes » d’un certain nombre de militants communistes.

À titre d’exemples, les guerres de décolonisation sont seulement vues sous l’angle de « l’affaire Henri Martin », militaire engagé en Indochine et militant communiste condamné pour complicité de sabotage et dégradé en 1950. L’opposition de ce Français à l’engagement d’alors de son pays y est glorifiée, plus que l’hommage qu’il pourra rendre à Lénine en son mausolée à Moscou, peu de temps plus tard. Un fait non relaté, à l’image de l’ensemble des crimes de l’URSS, qui passent d’ailleurs sous les radars des conservateurs du musée.

Les affiches de propagande communistes exposées sur les murs, dont les messages appelaient à se « débarrasser de la race des tsars et des barines », quand ce n’était de celle « des Pans », y sont décrites avec mansuétude comme incarnations « d’un art de l’avenir », construites « à partir d’un thème donnant lieu à un petit récit ». Un parterre d’affiches et tracts étudiants, édités en défense de l’environnement, des revendications LGBT ou anti-policières fait office de résumé du XXIe siècle. Un siècle, dont les témoignages sont certes plus difficiles à mettre sous vitrine, tant le numérique a pris de place dans la vie de ceux qui le font, et le déferont.

CREDIT PHOTO : LA CONTEMPORAINE