Il dira avoir 34, quand ce n’est pas 37 ans. Ce qui est sûr, c’est qu’il en paraît vingt de plus. Une anomalie qui saute aux yeux lorsque l’homme, cheveux gris tirés vers l’arrière, s’assoit dans le box des accusés du tribunal de Nanterre. Prévenu d’un énième fait délictuel, il est un habitué de la correctionnelle. Ses 24 condamnations au casier judiciaire (vol, violences, exhibitions sexuelles, séjour en état d’ivresse dans un véhicule…) dressent à elles seules le portrait d’un sans-abri à l’alcoolisme avéré.

« Pourquoi passez votre temps dans la rue ? », interrogera la présidente du tribunal, après avoir fait mention de la relation qu’il entretient avec une mère de  huit enfants à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). « Parce que je suis immature », lui rétorquera-t-il. « Vous aimez la détention ?! Il va falloir changer un peu, parce que là, je me demande si on est pas au bout du bout avec vous… », lui répliquera la présidente, à court de peines alternatives à la prison.

Un mois plus tôt, le 24 août, ce SDF squatte l’entrée d’un magasin Monoprix à Antony. Sur les coups de 22 h et largement éméché, l’homme va menacer de mort le gérant du food truck situé tout à côté et traiter sa femme de « pute ». « Je vais te planter, te faire du mal ! », « je vais appeler mes frères, on va s’occuper de vous ! ». Des propos qui effraient le restaurateur ambulant, qui s’empresse de mettre à l’abri une de ses clientes, otage de ce flot d’insultes et de menaces.

La police arrivée sur place découvre l’agresseur torse nu et agité. Il émargera à 1,1mg d’alcool par litre d’air expiré – un taux tout sauf négligeable. Dans la voiture qui l’amènera au poste, l’homme s’en prendra aux policiers : « Je connais les gars de Viry-Châtillon [la ville où des forces de l’ordre ont failli perdre la vie brûlées vives dans leur véhicule en octobre 2016,Ndlr]. Ils ont bien eu raison de les cramer les flics dans leur bagnole. J’aurais fait pareil ! ». Des propos, pour lesquels il ne sera pas poursuivi.

C’est au cours des auditions des protagonistes de l’affaire que les enquêteurs vont en apprendre plus sur le motif de l’altercation et les relations que les deux hommes entretiennent. Car ceux-ci se connaissent malgré eux. Il serait arrivé au patron de la camionnette d’échanger quelques menus services contre de la nourriture ou un peu d’argent. « Mais, il en voulait toujours plus, se plaindra la victime à la barre, qui réclame une mesure de distanciation. Je lui donnais pour pouvoir continuer mon activité. La gentillesse m’a amené dans une situation vraiment difficile… »

L’accusé s’en serait pris à la main qui le nourrissait pour un motif dérisoire : le gérant, occupé avec sa cliente, aurait refusé de lui donner sur-le-champ 80 centimes pour pouvoir s’acheter une cigarette chez le vendeur du coin de la rue. Diagnostiqué schizophrène par le passé, le prévenu sera rétrogradé dans la dernière expertise psychiatrique demandée par le tribunal au rang d’une « personnalité de type borderline, psychopathique, asociale et dysfonctionnelle ».

L’homme, ayant plusieurs fois tenté de se suicider par phlébotomie et défenestration, y est décrit comme sujet à des débordements. Sa curatrice, interrogée à la barre, avouera ne l’avoir jamais vu sobre en dehors de ses périodes de désintoxication. La procureure réclamera une peine ferme, non-aménageable, de 8 mois avec maintien en détention, à laquelle s’ajoutera une révocation d’un précédent sursis de 5 mois. « Je suis en plein désarroi, lancera l’avocate du prévenu pour débuter sa plaidoirie. On demande à la justice de régler des problèmes sociétaux ; ceux de ces SDF que nous trouvons sur nos trottoirs ».

Elle jugera les réquisitions du ministère public disproportionnées, du fait de l’alcoolisme du prévenu – « une maladie dont il n’est pas responsable » – et de la toxicité de ses relations. « Il dit qu’il a une copine mais il s’invente des histoires ! Il a seulement rencontré une fille pas tellement plus brillante que lui, comme celle qu’on trouve sur les trottoirs. Et son père était violent et sa mère suicidaire… Tout cela n’est qu’un problème d’occupation du sol ! ». Trépignant depuis un petit moment sur sa chaise, la victime à l’écoute de cette formule vouée à minimiser le problème, sort de ses gonds : « Mais, j’ai une famille moi ! J’en peux plus, vous vous rendez pas compte ! ».

Un ferme rappel au règlement de la présidente et l’avocate du prévenu pourra terminer son propos. Son client écopera de 3 mois de prison ferme et de 300 euros au titre du préjudice moral.

CRÉDIT PHOTO : ILLUSTRATION / LA GAZETTE DE LA DÉFENSE