La salle d’audience est inhabituellement comble. Des jeunes incapables de se tenir se massent sur les bancs, souvent au mépris des distances sanitaires imposées, leur téléphone portable en main malgré l’interdiction. Presque tous viennent soutenir le prévenu, un des leurs, tombé en défendant les intérêts de la bande en quelques sortes. Même l’avocate du détenu, déféré devant le tribunal de Nanterre le 14 septembre dernier, regrettera cette ambiance étouffante, aride et intimidante pour plaider.

Son client comparaissait pour avoir donner deux coups d’opinel dans la cuisse du patron d’un fast food à Colombes, le 24 août dernier. Sérieusement amochée et perdant beaucoup de sang, la victime aurait pu passer l’arme à gauche, sans le garrot d’un de ses employés et l’intervention rapide des secours. Son ITT de 21 jours ne lui aura pas permis de pleinement récupérer. C’est après avoir enfourché ses béquilles qu’elle se traînera jusqu’à la barre pour témoigner.

Sa version viendra percuter celle de l’accusé quant aux intentions belliqueuses de l’un envers l’autre. « Alors que vous aviez déjà commis des dégradations dans ce restaurant peu avant, vous y êtes retourné la bouche en cœur ? », interrogera la présidente du tribunal, cherchant à explorer la piste de la provocation. « J’y suis allé pour chercher à manger, plaidera le prévenu d’une voix timide. Lui [la victime], je le connais pas du tout ».

Le jeune de 19 ans jurera avoir dit toute la vérité aux policiers, avant de se contredire deux secondes plus tard, en admettant qu’il était bien le propriétaire du couteau, contrairement à ce qu’il avait pu déclarer en garde à vue. Seulement, il n’avait pas l’intention de l’utiliser, selon ses dires. Plutôt maigrichon, il aimait à se balader dans sa cité avec une arme blanche pour compenser son faible gabarit. Son casier, avec deux mentions pour usage d’un couteau, en attestera d’ailleurs.

« J’étais seul… Enfin, j’étais avec un ami, mais c’était un petit du quartier. J’ai pas de muscles, c’était pour me protéger », arguera-t-il ainsi, en jetant des regards à la victime à la forte carrure assise en face de lui. À en croire l’accusé, le ton serait monté entre lui et le serveur du restaurant ce jour-là.

Il sera évoqué au cours des débats des motifs aussi anodins que l’absence de rondelles de tomates dans son burger. Le patron de l’établissement serait arrivé avec tournevis et gants de moto coqués pour le tabasser.

Du point de vue de la victime, ses malheurs étaient plutôt la conséquence d’un climat délétère dans le quartier. Après l’agression au couteau de son livreur, détroussé peu avant, son restaurant avait été saccagé par la bande du prévenu.

La vidéo publiée sur TikTok par la victime aurait chauffé les jeunes à blanc. Ceux-ci exigeaient son retrait du réseau social, car elle incriminait clairement un de leur membre à qui cela ne plaisait pas. Le prévenu serait ainsi venu pour se venger.

« En ce qui concerne la légitime défense, l’usage du couteau n’était ni nécessaire, ni proportionné », soulignera dans sa plaidoirie la procureure, qui pointera du doigt ce « groupe de jeunes qui cherche à semer la terreur dans le quartier », instaurant ainsi « un climat d’insécurité » avec à la clé une « peur des représailles » pour les victimes tentées de porter plainte. Elle réclamera trois ans de prison ferme et une interdiction de port d’arme, en autres. « C’est un problème de contextualisation qui explique ces réquisitions, tempérera l’avocate du prévenu. Il faut tenir compte du climat d’hyper masculinité de ces quartiers. On y fait des sports de combat et quand on pratique pas, eh bien on prend une arme ».

Dénonçant un dossier dans lequel « tout le monde ment », témoin compris, elle a en filigrane accusé le laxisme de la justice d’être responsable de l’agression. Car le saccage du restaurant, qui avait mis le feu aux poudres, n’avait pas vraiment fait l’objet d’une lourde peine…

« Un rappel à la loi n’est pas suffisant dans ces cas-là. Alors forcément, cela se règle en interne », regretta-t-elle, réclamant du tribunal une peine avec sursis assortie d’un éloignement forcé de la ville pour son client. Les juges le condamneront à deux ans de prison, dont six mois avec sursis, une interdiction de porter une arme et une interdiction de paraître dans le restaurant.

Un ou deux jeunes dans la salle arborent à l’énoncé du jugement des yeux dépités, mais dans l’ensemble aucune émotion n’est perceptible. Comme si la plupart étaient simplement venus au spectacle. Et le spectacle est fini. La salle se vide.

CRÉDIT PHOTO : ILLUSTRATION / LA GAZETTE DE LA DÉFENSE