C’est une audience à l’issue peu commune qui s’est tenue au tribunal de Nanterre, le 1er décembre dernier. Dans le box des accusés, un homme d’à peine 20 ans, détenu dans le cadre d’une instruction pour viol. Connu des services de police pour des faits d’extorsion et recel de vol, il comparaissait cette fois pour des violences conjugales perpétrées sur sa petite amie, âgée de 15 ans au moment des faits, le 12 avril dernier. Ce jour-là, des policiers de Colombes sont appelés par la jeune mineure, qui se dit séquestrée par l’accusé.

Les agents interviennent rapidement dans le logement, que le prévenu occupe avec d’autres membres de sa famille, qui assureront n’avoir rien vu, rien entendu de la dispute violente à l’origine des multiples blessures de l’adolescente. Examinée par un médecin, elle écopera d’une ITT de 5 jours, du fait des nombreuses traces de sévices retrouvées sur son corps, dont des ecchymoses « à l’aspect caractéristique d’une strangulation manuelle marquée », ainsi que le rapportera la présidente du tribunal à l’audience. Dans son audition, la victime expliquera s’être enfuie du foyer qui l’hébergeait et s’être réfugiée chez son petit copain.

Au cours de la soirée, celui-ci aurait voulu surveiller ce qu’elle pouvait bien faire sur son téléphone portable. Car la jeune fille avait supposément pour charge d’animer de faux comptes d’escort girl sur SnapChat, afin d’escroquer de crédules clients. Seulement, la jeune victime refuse de lui monter ce qu’elle y fait, le ton monte et le prévenu s’emporte alors : « Vous déclarerez mademoiselle qu’il alternait entre des coups de poing et des strangulations. Il s’arrêtait seulement quand vous ne pouviez plus respirer du tout », racontera un brin livide la magistrate.

« On s’est juste bagarrés, je l’ai frappé et puis voilà », lâchera plus qu’agacée la jeune effrontée, sans même qu’on lui ai demandé quoi que ce soit, inaugurant ainsi une succession de prises de parole intempestives, censée minimiser la culpabilité du garçon dont elle est encore éperdument amoureuse. « On a quand même un certificat médical, qui dit que vous avez été sérieusement touchée. On vous a même prescrit un collier mousse », répliquera la présidente de séance, avant de lui donner officiellement le droit à la parole.

Mais l’ado à la barre préfèrera rester mutique, poussant la juge à chercher plus amples explications sur les faits et l’emprise de la victime dans le dossier : « Monsieur userait de son prestige, car il est apparemment connu sur Snapchat comme pseudo rappeur… Il l’aurait étranglée très fort pour ne pas que sa mère l’entende (crier). Après avoir été violentée, il l’aurait fait dormir par terre ». Interrogé sur les marques relevées et photographiées sur le corps de sa petite-amie, le prévenu affirmera ne « pas être quelqu’un de violent », assurera « l’avoir frappée pour la calmer » car selon lui, « la parole ne suffisait plus » à l’apaiser.

« On est d’accord que vous l’avez étranglée ? », questionnera la présidente du tribunal. « Oui, reconnaitra l’accusé, puisqu’il y a des traces. Je lui ai aussi mis trois ou quatre baffes, mais que au visage ! ». « Oh, excusez du peu ! », fustigera la magistrate, qui espérait lui faire avouer la responsabilité du reste des griffures et autres hématomes identifiés sur les bras et l’épaule gauche de la jeune fille. Une adolescente, dont « l’intérêt n’est pas de se retrouver avec un majeur, trainer chez (lui) pour dormir sur un matelas au sol et se faire casser la figure, cinglera de son côté le procureur, avant de tancer le prévenu. C’est votre toutou, cette jeune fille ?! ».

« Ce jour-là, j’étais énervé, mais maintenant je sais ce que c’est la prison, se plaindra la prévenu. Là-bas, on dirait que (les autres détenus) aiment y être, insulter les surveillants… Moi, je frappe pas les filles, je préfère me bagarrer avec les garçons. Ca, c’est normal ». Appelée à la barre, la mère et représentante légale de la victime tiendra à se porter partie civile, sans réclamer le moindre dommage. Une demande faite malgré la pression de sa fille, qui lui intimera de quelques saillies verbales de ne rien faire de pareil. « On veut que (le prévenu) reste loin d’elle », confiera la mère de famille, qui aimerait en finir avec les « mauvaises fréquentations » de sa progéniture, sources de vives tensions entre elle et ses proches et justifiant son placement en foyer.

Le procureur pâtira aussi de l’amour inconditionnel de la demoiselle, qui n’hésitera pas à interrompre à trois reprises son réquisitoire pour tenter d’innocenter son cher et tendre.
Le ministère public, désemparé de devoir plaider sans le soutien de la partie civile, réclamera 18 mois de prison avec mandat de dépôt ; une peine censée « briser ce couple ». L’avocate de l’apprenti rappeur donnera gage au procureur de partager sa vision « d’un dossier poignant » mais jugera les réquisitions « énormes pour une première condamnation » et réclamera une sanction sans mandat de dépôt. Le tribunal optera pour une peine mixte, de 15 mois dont six avec sursis probatoire, une interdiction de contact avec la victime. Il décernera mandat de dépôt.

À l’énoncé du jugement, la victime se lève, sans laisser transparaître une quelconque fureur derrière son masque, fait un pas vers la sortie avant de se raviser et de marcher en direction de la présidente du tribunal. À moins d’un mètre de sa cible, elle lève son sac à main noire et le projette au visage de la juge. La magistrate, qui confiera « l’avoir vue venir », aura le réflexe de se protéger de ses bras. Branle-bas de combat dans la salle : tout le monde s’empoigne, le procureur exige le placement en garde-à-vue de l’agresseuse.

Une perspective qui ébranle son père. Cherchant un coupable à blâmer pour le sort de sa fille, il se lance comme une furie à l’assaut du box en verre, où le prévenu fait toujours le pied de grue. Malgré son cœur fragile, l’homme tente d’escalader la paroi en montant sur le banc de la défense, sous le regard ahuri d’un avocat qui patientait là. Un policier le saisit et l’en écarte. Le père de famille est alors au bord de l’attaque cardiaque et s’effondre non loin sur un banc, la main sur la poitrine.

À sa vue, sa fille enfin menottée jubile. « C’est bien fait, meurt, meurt ! De toute façon, c’est pas mon père », s’écriera l’ado, sans la moindre pitié pour l’homme mal en point. Sur un ultime « je vais te tuer de ta mère ! », elle est emmenée au dépôt, avant que le commissariat de Nanterre se charge d’elle. « Oh, moi, ça va, rassurera la juge à un avocat venu s’enquérir de son état de santé après la suspension d’audience. Maintenant, c’est surtout les parents que je plains… »

CREDITS PHOTOS: LA GAZETTE DE LA DEFENSE