Dans le jargon, on les appelle des ventouseurs. Leur métier consiste à repérer et baliser des zones de stationnement à proximité des lieux de tournage d’un film ou d’un clip, pour préparer l’arrivée des camions remplis de caméras, micros, costumes et autres matériels cinématographiques. Ce chargement valant son pesant d’or, ces mêmes ventouseurs ont surtout pour fonction d’en assurer la sécurité, de jour comme de nuit.

Une profession à risque dans certains quartiers. C’est ainsi qu’à Malakoff, cinq représentants de la profession se sont fait attaqués dans la nuit du 11 au 12 juillet dernier par plus d’une dizaine de jeunes armés, aux dires des victimes, de marteaux, de barres de fer et de mortiers. Selon un des vigiles, un assaillant aurait même crié à un de ses complices : « Va chercher le calibre ». Si aucune arme à feu n’aura été retrouvée sur place par les enquêteurs, la découverte de douilles percutées de calibre 12 sur les lieux de la rixe aura permis de confirmer l’hypothèse de tirs de fusil durant la bagarre.

Les cinq ventouseurs, du fait de leurs blessures, ont écopé d’une interruption temporaire de travail (ITT) allant de 2 à 5 jours. Les individus, vêtus de noir et de capuches, auront laissé de maigres indices derrière eux, dont une chaussure, arrachée par un des vigiles à son agresseur. Une basket Nike requin noire, dont la sœur jumelle sera retrouvée au pied d’un jeune du quartier, appréhendé quelques minutes plus tard par la police, une matraque rétractable à la main et du sang sur lui.

Un jeune homme, qui comparaîtra au Tribunal de grande instance de Nanterre le 23 août dernier, pour ces faits de violences en réunion et en état d’ivresse – le test d’alcoolémie réalisé au moment de son arrestation s’étant révélé positif. Le prévenu, sans emploi, est un habitué des tribunaux. À ses condamnations pour vol, extorsion, menaces de mort, rébellion, outrages, vol avec effraction, dégradations, détention de stupéfiants, s’est même récemment ajoutée une peine de deux ans de prison ferme pour proxénétisme.
Son casier judiciaire, digne d’un jeune homme bien inséré dans la délinquance, ne plaidera pas en sa faveur.1 Malgré ce boulet au pied, le prévenu ne se démontera pas et optera même pour une stratégie de victimisation, teintée d’héroïsme. « C’est moi la victime, un peu, lancera-t-il au président du tribunal. J’ai vu un petit qui se faisait tabasser, j’ai défendu ce jeune-là, j’ai ramené ma fraise et voilà ». Selon sa version, corroborée d’aucun témoignage, les ventouseurs s’en seraient pris à un adolescent du quartier.

Adolescent qui se serait enfui par la suite. Quant à la matraque qu’il détenait au moment de son arrestation, elle ne lui appartiendrait pas. Ce sont les policiers qui, la sortant de leur attirail, lui en auraient attribué la paternité. « Pourquoi des vigiles payés pour protéger des camions de cinéma viendraient agresser un jeune ? », questionnera circonspect le président de séance. « Où serait mon intérêt à moi (d’agresser des vigiles) ? », lui rétorquera tout de go le prévenu.

Et le président du tribunal de lancer l’hypothèse de représailles, menées suite au refus de la société de production et des ventouseurs de céder au chantage de voyous du quartier. Car quelques jours avant l’attaque, des malfrats se considérant souverains sur ce territoire, ont exigé le paiement d’une « taxe » de 15 000 euros, sous peine de voir déferler sur eux les jeunes de la cité. Le prévenu niera toute implication dans ce racket.

« Rien ne lie mon client à la tentative d’extorsion », insistera l’avocat du prévenu à la basket perdue, qui ne sera d’ailleurs pas démenti par le tribunal, faute de preuves. « Oui, il a été sur les lieux. Oui, il reconnaît que c’était sa chaussure, concédera-t-il, avant de sous-entendre que les ventouseurs seraient en fait les agresseurs dans ce dossier. Mais, je regrette l’absence des victimes, qui étaient en capacité de commettre des violences… ». Il réclamera pour son client, dont « toute la fratrie est tombée dans un parcours délinquantiel », des mesures de réinsertion et au pire, une peine sous bracelet électronique.

Le tribunal préféra s’inscrire dans le sillage des réquisitions du procureur et le condamner à une peine de 18 mois avec maintien en détention. Comparaissant libre, l’autre jeune arrêté le soir de l’agression et suspecté d’y avoir participé, a quant à lui été relaxé.

CRÉDIT PHOTO : ILLSUTRATION / LA GAZETTE DE LA DÉFENSE