À l’université Paris Nanterre, quand il s’agit de penser le futur de ce quasi-campus de près de 30 ha, le « nudge » règne en maître, aux côtés d’autres techniques liées à l’urbanisme et à l’écologie. De l’implantation des anneaux pour vélos à la diminution des déchets jetés par terre, en passant par la gestion des tags ou par le réemploi des matériaux lors des chantiers, la fac s’avère plutôt en pointe pour s’inspirer des dernières connaissances en la matière, parfois d’ailleurs inspirées par ses étudiants et enseignants eux-mêmes.

Ce jour de septembre, le soleil brille sur la fac de Nanterre. Au sol, les déchets se font rare. « C’est un des premiers trucs auxquels j’ai été confronté en arrivant, on m’a dit « c’est sale, les étudiants jettent par terre et on ne sait pas gérer ça » », se souvient Stéphane Brette, vice-président au patrimoine et à la transition écologique, de son arrivée à l’université en 2013. Une étude est alors menée pendant un an.

« Le constat était qu’il n’y avait pas assez de poubelles, expose-t-il simplement du problème de déchets. On ne peut pas demander aux étudiants d’être propres si on n’a pas suffisamment de poubelles. » Rapidement, plus de cent sont implantées : « Globalement, on a fait notre part du travail, et on peut dire aux étudiants « si tu tournes le regard n’importe où sur le campus, tu trouves une poubelle ». »

Cette application basique de la théorie du « nudge » est reproduite et développée dans bien d’autres aspects à la fac nanterrienne. Ces techniques sont destinées à inciter à des changements de comportements dans l’espace public, sans coercition ni sanction. Elles ont notamment été mises en avant il y a un peu plus d’une décennie, dans un ouvrage de référence écrit par deux Américains, l’économiste Richard Thaler et le juriste Cass Sunstein. Mais elles restent encore relativement confidentielles en France.

Le bâtiment Weber est construit en 2016, avec un espace dédié au stationnement des vélos plutôt traditionnel : déporté de l’entrée, surveillé par une caméra. Les suivants seront totalement différents…

Pas à la fac de Nanterre, où le « nudge » est totalement assumé, et ce depuis des années. Dernière initiative en date : cinq cendriers-sondages à mégots de cigarettes, installés cette rentrée. Au service dédié à la Responsabilité sociétale des universités et au développpement durable (RSU-DD), l’on se réjouit déjà de pouvoir poser des questions aux étudiants, décidées par des votes sur les réseaux sociaux et selon une rotation lente, a priori tous les mois.

Du côté du service chargé du patrimoine, l’initiative commune est vue légèrement différemment. « On se moque qu’ils répondent bien à la question, mais ça les incite à mettre le mégot sans le jeter par terre », sourit son vice-président devant un cendrier plutôt rempli. Stéphane Brette précise que la fac s’apprête à installer des écrase-cigarettes sur toutes ses poubelles. « Si on commence à mettre des cendriers partout, c’est presque une incitation », nuance-t-il cependant de ces opérations visant les fumeurs, discutées en amont avec le service de médecine préventive de l’université.

Omniprésente, la technique du « nudge » se retrouve aussi sur certains murs, des immenses fresques créées par des artistes renommés à la végétalisation en cours des façades de plusieurs bâtiments. « Quand on fait des murs végétalisés, d’une certaine manière, on supprime les tags, car on ne va pas taguer les arbres », fait ainsi remarquer le vice-président de ces dégradations qui coûtent plusieurs dizaines de milliers d’euros par an à l’université.

En 2018, pour ses 50 ans et en partenariat avec le musée du Louvre, la fac s’offre le meilleur du street art pour réinterpréter des oeuvres célèbres sur huit façades. Sur le côté du bâtiment Maurice Allais, l’immense fresque de Kouka comporte désormais quelques ajouts tagués. « On lui a proposé de la refaire, il nous a dit qu’il n’y en avait pas besoin, se souvient Stéphane Brette. Depuis que la fresque a été faite en janvier 2018, on a eu sept ou huit tags [rapidement], et il n’y en a pas plus depuis. »

Mais le plus grand succès de l’emploi du « nudge » par la fac concerne, selon son vice-président, les arceaux de stationnement pour vélos. « En 2013, il n’y avait pas d’accroches-vélos, les vélos étaient accrochés n’importe où et il y avait des vols », se rappelle-t-il devant le bâtiment Weber. Ce dernier est construit en 2016, avec un espace dédié au stationnement des vélos plutôt traditionnel : déporté de l’entrée, surveillé par une caméra.

« Un étudiant en master gestion de l’eau a fait un mémoire sur l’université et la gestion de l’eau, ça nous nourrit », fait remarquer Stéphane Brette, vice-président au patrimoine.

« Pour les autres accroches-vélos, on a procédé autrement : on s’est demandé quand se produisaient les vols de vélo », explique Stéphane Brette. Les deux roues seraient plutôt dérobés « quand c’est isolé loin du bâtiment ». Alors, « on s’est dit qu’on allait les mettre au plus près des entrées des bâtiments, là où il y a toujours des étudiants ou des appariteurs, une présence humaine », poursuit-il de ce procédé, « espèce de dissuasion sociale ». Avec succès d’après le vice-président, car il n’y aurait quasiment plus aucun larcin sur des vélos stationnés en journée, et désormais très visibles.

Ces « nudge » ne sont pas les seuls ponts évidents entre les recherches menées à l’université et la manière de penser son campus. « Un étudiant en master gestion de l’eau a fait un mémoire sur l’université et la gestion de l’eau, ça nous nourrit », fait ainsi remarquer Stéphane Brette. « Quand on a réfléchi aux déplacements doux, on a fait travailler un groupe d’étudiants de master qui nous a fait un premier mémoire sur le sujet », rapporte encore le vice-président : « Pour nous, c’est intéressant d’avoir ces ressources étudiantes qui peuvent nous aider. »

Devant le chantier de réfection d’un trottoir où les dalles retirées seront réutilisées sur place, il évoque aussi les nombreux chantiers visant à diminuer la consommation énergétique (la loi impose une diminution de 40 % d’ici à 2030, Ndlr), ou l’imperméabilisation des sols de ce campus de 30 ha. Ses bâtiments représentent 160 000 m² construits sur une surface au sol de 60 000 m² environ.

« Les jeunes se mobilisent pour le climat, on ne peut pas être complètement à côté, on est là aussi pour tirer cette chose vers le haut », commente-t-il d’un choix un peu tardif mais désormais prioritaire pour la direction de l’université. Cette dernière investit de 9 à 12 millions d’euros par an dans l’entretien et l’aménagement de ses espaces verts et locaux, et prévoit plus de 50 millions d’euros en investissements de constructions et de rénovations sur 5 ans.