Fondé en 2010, situé dans la zone d’activités à deux pas de la cité Zilina, l’Electrolab est un « hackerspace » associatif de 1 500 m², dans lequel les membres peuvent bidouiller tout et n’importe quoi, pour réaliser des projets liés au numérique, à l’électronique et à la mécanique. Le concept a commencé à attirer dès 2013 les entreprises, de la PME aux plus grands groupes industriels tels que la SNCF, Enedis, le verrier Saint-Gobain ou encore le parapétrolier Coldpad.

Elles participent désormais au partage du savoir de cette structure pas comme les autres, de l’équipement en machines de pointe à l’utilisation des connaissances pointues des membres de ce qui est aujourd’hui pour elles un centre de prototypage. L’association fondatrice et gestionnaire de cet espace peu commun par sa taille poursuit des ambitions encore plus importantes.

« Tout est parti de l’envie d’avoir un hackerspace dans la zone », introduit Sylvain Radix, salarié de l’association et membre fondateur, au soir du mardi 10 septembre, lors d’une des visites hebdomadaires ouvertes au public. « La structure était alors de 120 m², mais il fallait dépolluer les sols sans pourrir la nappe phréatique en dessous. Les membres de l’association se sont alors dévoués pour que la structure tienne, » expose-t-il des débuts. En trois ans d’activités, la structure était déjà victime de son succès.

Certains membres recommandent le lieu à leurs hiérarchies professionnelles, ou prennent l’initiative d’y expérimenter leurs projets avant de les présenter dans leurs entreprises respectives.

« Il y avait jusqu’à trois mois d’attente juste pour visiter le site, précise celui qui fait aussi office de référent en matière de soudures. Nous avons donc décidé de nous agrandir en 2013, et l’Electrolab V2 est né en 2015. » Celui-ci est désormais l’un des plus grands espaces de bidouille d’Europe, avec cinq salariés et pas moins de 300 membres au sein de la structure associative. En son sein il est possible de penser, discuter et partager son projet, puis surtout, de pouvoir le réaliser, grâce à la multitude d’outils et de machines mis à disposition, d’ailleurs parfois de taille et de précision industrielles.

« La communauté de l’Electrolab s’est agrandie et a ouvert de nombreuses opportunités pour l’association », explique Sylvain Radix de l’apport des membres et de leurs réseaux respectifs. D’abord en termes de récupération de matériels, de machines et de composants. « Grâce à notre réseau, nous avons rapidement pu réaliser des opex », précise le bidouilleur. Ce terme, tiré du jargon militaire désignant les opérations extérieures, concerne les opérations de récupération de grande envergure réalisées par l’Electrolab.

« Pour le matos électrique, on a vidé un entrepôt chez Legrand, on a vidé un entrepôt chez Schneider », raconte comme si c’était normal Sylvain Radix. « Chez Legrand, ils avaient un dégât sur le toit, ils avaient tout à virer, détaille-t-il de ces opérations de grande envergure chez les géants du matériel électrique. Chez Schneider, ils rendaient un local qui servait de stock commun à 52 services sur toute la France. On a récupéré, inventorié et stocké en attendant que les services se décident. »

Les bidouilleurs n’ont pas vraiment de limite en matière de récupération de matériels. « Parmi les opex les plus complexes, on a vidé 1 200 m² de bureaux en un week-end, se souvient Sylvain Radix. De vendredi 18 h jusqu’à lundi 3 h du mat, avec 56 personnes sur les 75 membres de l’époque sur trois sites : Nanterre, Levallois et Cergy. » Une démesure presque ordinaire pour eux.

« On a récupéré l’ancienne infrastructure informatique d’un bunker du ministère des affaires étrangères, conte dans le plus grand des calmes le membre de l’association. C’est super marrant de se présenter à l’accueil aux gendarmes et de s’entendre dire « Ah oui ! Les hackers ! Deuxième sous-sol à droite ! ».

La bonne réputation de l’Electrolab comme de ses membres, et l’agrandissement massif de ses locaux, permettent de faire croître cette communauté de bidouilleurs de mécanique et d’électronique. Certains recommandent alors le lieu à leurs hiérarchies professionnelles, ou prennent l’initiative d’y expérimenter leurs projets avant de les présenter dans leurs entreprises respectives.

Ce monde des sociétés industrielles, technologiques et numériques s’intéresse donc de près à cette structure hors du commun, et n’hésite pas, au-delà des dons en matériel, à la financer directement. La multinationale des logiciels de création Adobe a ainsi, par exemple, participé à la cagnotte de l’Electrolab à hauteur de 45 000 euros. « Cela nous a permis de nous équiper en machines de manière importante, précise l’un des membres fondateurs et salarié, Yannick Avelino. Cela bénéficie immédiatement à nos membres particuliers. »

Au-delà des entreprises friandes des connaissances pointues de ses membres, l’association propose régulièrement des ateliers plus ou moins techniques à destination des particuliers.

L’Electrolab devient même parfois un véritable centre de recherche et développement parallèle pour de grands groupes. « Enedis est venu avec son service innovation et ses techniciens, fait remarquer Sylvain Radix d’une sollicitation du gestionnaire de la grande majorité du réseau électrique français. Ils avaient besoin d’un sac adapté pour les outils des techniciens en intervention. »

« Une nana du service innovation de la SNCF avait l’idée d’une nouvelle pièce de maintenance, enchaîne Sylvain Radix. Elle est donc venue la prototyper avec nous. C’était une belle expérience. » Cette dernière a par la suite permis à l’Electrolab de récupérer un établi de maintenance de locomotives.

Le géant parapétrolier Coldpad, lui, est venu tester des collages de tôles, avec un besoin de beaucoup d’espace pour faire les tests et d’un pont roulant. « Ils ont investi dans le pont roulant, étaient prioritaires sur l’usage pour leur projet pendant deux mois, puis après, l’ont laissé pour les autres membres », détaille Yannick Avelino, par ailleurs spécialiste en matière de radio, à la fin d’une visite de plus d’une heure et demi. « C’est donnant-donnant », résume-t-il des rapports entre l’association et les grandes entreprises.

Mais qu’en est-il du secret de fabrication et de la propriété industrielle dans un « haskerspace » ? « Lorsque l’équipe de Coldpad était ici, les gens autour posaient des questions », se remémore Sylvain Radix. « Ils ont donc expliqué pourquoi et comment. Et quand quelqu’un a mis le doigt sur un point de détail précis, la réponse a été « Ça, c’est ce qui nous fait manger à la fin du mois », raconte-t-il. Tout le monde a compris. »

Idem pour le spécialiste du verre Saint-Gobain, dont le service recherche est également venu développer un prototype. « Les pièces sorties de leur contexte étaient à la vue de tous car ce n’était pas problématique, expose le référent soudures de l’association. Mais pour le prototype dans son entièreté, Saint-Gobain a loué un box au sein de l’Electrolab pour protéger le travail. » Ce box était en accès à l’équipe 24 h sur 24 h, qui y a par la suite « fait venir leur hiérarchie et les investisseurs potentiels ».

Le local de 1 500 m² est également utilisé par les entreprises pour pouvoir renforcer l’esprit d’équipe. « Nous avons eu les services d’ERDF qui sont venus faire des réunions, et passer la journée à l’Electrolab, se souvient Cécile Avelino, autre salariée de l’Electrolab. Le comité d’entreprise de Dassault systèmes est également venu. »

L’Electrolab est désormais l’un des plus grands espace de bidouille d’Europe, avec cinq salariés et pas moins de 300 membres au sein de la structure associative.

L’association serait aussi un vecteur de création d’entreprises. « Un membre adepte de badminton trouvait les lanceurs de volant trop chers, raconte Coline Babut, salariée de l’Electrolab. Il est venu en tant que particulier, a développé un kit à envoyer à tous les clubs pour qu’ils fassent leur propres lanceurs : Sportvation. » Le projet ayant un avenir, le membre « particulier » a sauté le pas en devenant ensuite un membre « professionnel », et enfin un membre « entreprise ».

Au-delà des entreprises friandes des connaissances pointues de ses membres, l’association propose régulièrement des ateliers plus ou moins techniques à destination des particuliers, à l’instar de la prochaine session consistant à se fabriquer une enceinte Bluetooth à partir de matériel de récupération. En neuf ans, l’Electrolab a su se créer un réseau important permettant « un véritable brassage entre le bricoleur du dimanche et l’ingénieur d’un grand groupe », conclut un Sylvain Radix pas mécontent.

« À ce jour, nous avons 15 entreprises membres sur les 300 membres que compte l’Electrolab, comptabilise Coline Babut. Soit un peu moins de 10 % du budget annuel de l’association. » Ses revenus sont d’abord tirés des locations de salles aux sociétés, des cotisations de 60 euros par mois pour les entreprises ou 20 euros pour les particuliers, et de 7 000 euros de subventions publiques. Son budget est désormais de 200 000 euros annuels, dont la moitié repart en loyer.