Tous les lundis, une quinzaine d’élèves, pour la plupart retraités, se réunissent à la maison des associations du quartier Regnault, au pied de la dalle piétonne du quartier d’affaires. Ils ont un objectif commun : apprendre à lire sur les lèvres alors que la surdité gagne du terrain. Cette antenne de l’Association de réadaptation et de défense des devenus sourds (ARDDS) a ouvert il y deux ans à la Défense, pour les habitants de l’Ouest parisien. De 17 h 30 à 19 h 30, les élèves malentendants s’entraînent à deviner les mots mimés par une orthophoniste sur des sonorités proches.

« Mon mari n’entend pas bien, ça me permet de ne pas [nous] répéter », sourit ce soir du lundi 24 juin Annonciade. Equipée d’un appareil auditif depuis 4 ans, elle ne se dit pas « grande malentendante » pour autant. « J’ai commencé en octobre et j’ai trouvé ça très intéressant, du coup, j’ai entraîné mon mari depuis février », poursuit-elle.

Pierre, son époux, semble se satisfaire des séances : « J’ai fait beaucoup de progrès, bien sûr, je suis étonné de comprendre plus de la moitié de ce que l’on dit lors des séances. » Pour le couple qui habite Marly-le-Roi (Yvelines), ces cours sont un moyen de « se préparer à l’avance » face aux problèmes de communication qu’entraînent la baisse de l’ouïe.

« Il y a un enjeu de sociabilisation », confirme Anne-Marie Robin, représentante de la lecture labiale auprès du comité d’accessibilité de la mairie de Courbevoie, qui prête gracieusement les lieux depuis trois ans. « Lorsqu’on devient sourd, malgré les appareils, on a tendance à se refermer sur soi », explique-t-elle, avant de poursuivre : « La lecture labiale permet de prendre confiance en soi et de briser cette dynamique. »

L’apprentissage de la lecture labiale, qui se décompose en quatre niveaux, n’a toutefois rien d’aisé. « On apprend une certaine technique, mais c’est très difficile de mettre en pratique parce que tout le monde a une technique d’élocution, une manière de prononcer, d’articuler », commence Françoise. Elle a commencé ses cours il y a trois ans à Paris, avant de rejoindre l’association courbevoisienne il y a un an.

Apprendre sur le tard constitue une difficulté supplémentaire pour ces élèves. « Même lorsqu’ils apprennent, il y a plein de choses qu’ils ne voient pas », expose Lysiane Ledoux André, l’orthophoniste rémunérée par l’association. « Ceux qui sont nés avec un problème de surdité ont une excellente lecture labiale, parce qu’ils ont appris à compenser », détaille cette spécialiste de la surdité, précisant que « le sourd de naissance voit tout, le nez, les yeux, la gorge, le menton, alors que l’apprenant se fixe sur les lèvres ».

« Il y a aussi des choses complètement invisibles : le geuh, reuh et le que », explique-t-elle, ajoutant qu’il est ainsi complexe de voir la distinction « entre le P et le B », ou encore « le T, le D et le N ». Pour faire la différence entre ces « sosies labiaux », il faut ajouter une nouvelle compétence à la lecture labiale, le langage parlé complété (LPC). « C’est la seule possibilité pour lire complètement sur les lèvres et voir la totalité du langage », commente-t-elle.

Au terme des quatre niveaux d’apprentissage, les élèves « verront beaucoup de choses en milieu calme », même s’il « devient très difficile dès qu’il y a du bruit » de lire sur les lèvres. « Mes élèves sont très gênés par le bruit, dès que l’ambiance est trop bruyante, ils ne comprennent plus rien », rapporte l’orthophoniste.

L’association de lecture labiale en recherche d’élèves et de mécénat

L’ouverture, il y a plus de deux ans, de cette nouvelle antenne de l’Association de réadaptation et de défense des devenus sourds (ARDDS) devait permettre l’accueil des personnes sourdes et malentendantes de l’Ouest parisien. Cette création devait aussi soulager l’antenne initiale de l’association, ouverte il y a cinquante ans dans le XXe arrondissement de Paris.

L’objectif est rempli, près d’une vingtaine d’élèves étant des réguliers du local de la maison d’association Regnault, et désormais confirmés en lecture labiale. Mais l’association s’inquiète de ne pas toucher de nouveaux malentendants, faute d’être suffisamment connue dans les Hauts-de-Seine et dans les Yvelines. Elle est également à la recherche de nouveaux subsides, espérant des actions de mécénat de sociétés du quartier d’affaires, sa pérennité n’étant pas assurée à ce niveau.

Son antenne de la Défense est à ce jour subventionnée par la municipalité de Courbevoie, et bénéficie d’un financement de l’association-mère parisienne. Ils sont complétés des cotisations des adhérents, qui s’élèvent annuellement à 32 euros avec le journal trimestriel dédié aux malentendants, ou à 17 euros pour les cours de lecture labiale uniquement.