Les abeilles ont la cote, dans le quartier d’affaires comme ailleurs. Érigées en symbole d’une biodiversité dégradée, les abeilles, dont la production de miel à chuté de 50 % depuis les années 1990, sont devenues pour certaines entreprises un élevage très lucratif. Gestionnaires de tours et entreprises de la Défense en profitent plutôt dans le cadre de leurs politiques dédiées à l’écologie comme à leur responsabilité sociale.

Elles affirment ainsi contribuer à la sauvegarde de la biodiversité en permettant à des apiculteurs de venir installer des ruches. Ces dernières peuvent rapporter jusqu’à 2 500 euros par an et par ruche à l’entreprise en charge de son entretien. Mais l’augmentation de la population d’abeilles dans le quartier d’affaires ne serait pas forcément sans conséquences, même si les apiculteurs du quartier d’affaires se montrent divisés sur cette question.

Parmi les professionnels interrogés, Jean-Yves Minette, le président d’Apijym, possède 214 ruches en Île-de-France. Deux sont situées au coeur de la Défense, sur le toit de la tour Euronext, à 34 m de hauteur. « On n’a jamais assez d’abeilles, plus on en a, mieux c’est, il faut encourager les gens à en installer, parce qu’on ne se rend pas compte de la verdure présente dans le quartier », tranche-t-il.

Placées à 34 m de hauteur sur la terrasse de la tour Euronext, les abeilles se regroupent dans les deux ruches installées par Jean-Yves Minette, de la société Apijym, 214 ruches en
Île-de-France.

« Il ne faut pas dire qu’il y a trop d’abeilles, martèle l’apiculteur. Parce que la vérité, c’est qu’on manque d’insectes : avant quand on circulait en voiture, il y avait beaucoup de papillons qui s’écrasaient sur le pare-vitre, ce n’est plus le cas maintenant parce qu’on assiste à une chute du nombre de pollinisateurs. » S’il précise ne pas savoir s’il existe d’autres ruches à la Défense, l’apiculteur voit dans les immeubles et gratte-ciels de la Défense des sites propices pour ses abeilles.

« Les tours ne sont pas un soucis pour les abeilles, je viens de la Réunion, et la hauteur n’a jamais été un problème, analyse-t-il. Parce que les abeilles ne prennent pas leur envol comme des oiseaux, mais suivent l’immeuble comme un courant. » La tour Euronext profite de ses installations pour mettre en valeur le bâtiment et sa terrasse arborée depuis 2015, mais surtout, précise l’apiculteur : « Dans une démarche écologique, pour faire quelque chose pour les abeilles et pour l’environnement. »

Le constat qu’il porte est toutefois loin de faire l’unanimité. Il n’est ainsi pas le seul a avoir ciblé les tours de la Défense pour y installer ses ruches. L’entreprise Mugo compte trois ruches dans la tour Acacia d’Allianz, ainsi que trois autres au rez-de-chaussée de la tour Allianz One. La société Ekodev, elle, gère 200 projets en France pour un total de 600 ruches, dont trois étaient présentes sur la tour Eqho jusqu’à cette année.

« Il y a suffisamment d’indicateurs sérieux pour se poser des questions : La Défense, comme dans le 8e à Paris, est victime de la mode des abeilles au détriment de leur santé, des autres colonies et des autres pollinisateurs, alerte plutôt Timothée Quellard, le co-fondateur d’Ekodev. Utiliser les abeilles pour faire de la pédagogie, c’est très bien, mais si vous pensez ne pas avoir d’impact sur la biodiversité en important des ruches qui peuvent aller jusqu’à 80 000 abeilles, qui vont coloniser jusqu’à trois kilomètres, vous vous leurrez. »

Figurent également dans le viseur de Timothée Quellard, les méthodes de communication des entreprises… du moins certaines, qui se pareraient ainsi d’un vernis écologique tout en « ratant l’intérêt de la démarche », rapporte-t-il. « Nous avons été un peu mal à l’aise avec la façon de communiquer de KPMG (géant de l’audit présent dans la tour Eqho, Ndlr) sur les ruches », se souvient-il de son expérience à la Défense. « Au lieu de présenter les ruches comme un outil pédagogique, une action sympa de découverte et d’initiation, il a fallu qu’elle caricature en disant « je sauve la biodiversité en mettant des ruches d’abeilles » », regrette-t-il de son ancien client.

Il estime en effet que du point de vue de l’utilité écologique, les abeilles domestiques ne sont pas forcément une panacée. « Implanter des ruches sur un espace comme la Défense, c’est bien si on n’en met que deux ou trois sur un hectare, les abeilles peuvent aller butiner du tilleul, des marronniers d’inde, analyse ce spécialiste. Mais au-delà, on met les abeilles en difficulté : ça se manifeste par des épisodes de famine, de saturation de la zone domestique, les abeilles prennent alors la place des papillons. »

Dans le salon restauration de la tour Allianz One, au rez-de-chaussée, les salariés de la société d’assurance peuvent prendre une collation à quelques mètres des abeilles.

En effet, selon lui, « les abeilles ne pollinisent pas toutes les fleurs, elles ne peuvent pas polliniser les trèfles et myosotis par exemple ». Alors, il pointe « une corrélation entre la variété d’insectes et la variété de fleurs, plus il y a d’espèces différentes, plus il y a de variétés de fleurs », et estime en conséquence qu’importer de trop nombreuses ruches serait une « fausse-bonne idée écologique » qui pourrait bien in fine nuire à la biodiversité végétale.

Le taux de rendement en miel des abeilles serait ainsi, pour ce porte-parole d’une institution interprofessionnelle, le meilleur outil pour évaluer la santé des ruches de la Défense. « Une ruche en région parisienne, si toutes les conditions sont réunies, si la météo est sympa, si la ressource est sympa, si tout se passe bien, c’est 20 à 25 kg », estime Dominique Céna.

Si l’apiculteur Jean-Yves Minette n’a pas été en mesure d’indiquer quel était le rendement des ruches situées sur la terrasse de la tour Euronext, celui qui opérait tour Eqho, Timothée Quellard, la connaît. Il récoltait environ 10 kg de miel par ruche et par an, et jusqu’à 20 kg en 2018, une « année exceptionnelle ».

« On constate que de nombreuses entreprises surfent sur cette vague et s’insèrent dans le créneau, conclut le porte-parole de l’Unaf. On n’a rien contre ça tant que c’est bien fait, que les normes sanitaires sont respectées, mais ça représente un enjeu économique, évidemment : sur une fourchette haute, l’installation d’une ruche et son entretien peuvent rapporter 2 500 euros par an à l’entreprise qui s’en occupe. »

La faculté de Nanterre accueille le rucher municipal

Depuis le printemps 2018, l’université Paris Nanterre s’occupe de quinze ruches réparties en deux ruchers principaux : le premier est dédié à la pédagogie et le second à la récolte. La faculté, associée à la maire et à l’association Labeess, souhaite ainsi militer pour la protection de l’abeille domestique, qui est reconnue espèce en voie de disparition depuis 2016.

Les ruches permettent de faire un point sur la situation périlleuse dans laquelle se trouvent les abeilles en France : 30 % des colonies ont été décimées depuis 2018 par cinq facteurs. Le premier d’entre eux est identifié comme les pesticides, suivent le manque de diversité alimentaire, puis le parasite varroa, le frelon asiatique, et enfin, le réchauffement climatique.

Pour sensibiliser ses étudiants, mais aussi ses enseignants, l’université propose régulièrement des ateliers d’initiation à l’apiculture. Ce mercredi est ainsi organisée une session sur l’approche d’une ruche, l’enfumage, la sécurité incendie et le montage des cires. Pour les plus passionnés, des stages sont même proposés du 13 au 16 mai, de 9 à 13 h. Au programme : la pollinisation, la biologie de l’abeille, l’essaimage, la réglementation de l’apiculture, les différents types de ruches et une partie pratique sur le rucher.