Savourer une coupe de champagne ou un verre de vin après sa journée de travail à la Défense ? C’est l’habitude qu’ont pris certains clients du seul caviste de l’esplanade. Un autre établissement sert aussi des clients à la Défense, dans le centre commercial du Cnit. Mais l’originalité de cette cave et bar à vins située plus à l’Est repose sur la possibilité de tester en vente au verre l’intégralité de ses bouteilles. La sélection réalisée par ses deux associés, elle, est issue de leurs dégustations à l’aveugle, dans un esprit anglo-saxon témoignant de leurs expériences viticoles passées.

Installée depuis 2011 sur l’esplanade du quartier d’affaires, entre l’hôtel Sofitel et la tour Allianz one, Apogé, au fil des années, s’est constitué un réseau d’habitués. Ceux-ci apprécieraient la possibilité de goûter avant d’acheter ainsi que l’accent mis sur la qualité des produits proposés, selon ses propriétaires. Ces derniers tentent d’ailleurs de propager cette philosophie basée sur le goût au sein de leur école de formation, certifiée par un organisme international de référence (voir encadré).

Il est 19 h ce mercredi 3 avril, l’activité bat son plein en ce début de printemps. Même s’il n’est pas salarié à la Défense, Adrien Delory passe de temps en temps à Apogé pour « les conseils précieux » et la « bonne humeur de l’équipe », mais surtout, parce que la cave permet de goûter le vin avant de l’acheter. L’adresse, ce menuisier d’une trentaine d’année l’a découverte via le groupe d’entrepreneurs dont il fait partie : « Ils s’y connaissent, et de ­pouvoir goûter le vin, c’est top. »

Pouvoir tester avant d’acheter, et ne croire que ses papilles. Voilà le constat d’où est partie l’aventure Apogé. « Avec mon associé Christophe Macra, quand on faisait une pause bistro, on refaisait le monde, et quand on parlait de la cave idéale, on se disait que ça devait être comme si on allait chez le producteur, où on pouvait tout déguster », explique Sylvain Removille. Il propose plus de 150 bouteilles de vin et plus de 80 champagnes : tous peuvent être dégustés avant l’achat.

Pour « garantir l’indépendance », explique le cofondateur Sylvain Removille, les deux associés choisissent les vins en procédant par des dégustations à l’aveugle, pratique plutôt rare en France.

« Ça se fait pour les vêtements, les lunettes, les voitures, mais pas pour le vin. » Pour le cofondateur, c’est en effet un peu « au petit bonheur la chance » pour les clients des breuvages viticoles. « Lorsqu’on ouvre une bouteille de vin, on entend souvent « j’espère qu’il est bon », et ça m’a ­toujours choqué », s’exclame-t-il.

« L’idée est de s’assurer que le consommateur est content », rappelle le caviste, qui compte dans son parcours des maisons particulièrement variées. Il a ainsi exercé au provençal Château Vignelaure, dont le propriétaire a été le premier à implanter du cabernet-sauvignon près d’Aix-en-Provence et produit des vins rouges de garde, mais aussi chez le géant californien E&J Gallo winery, premier ­producteur de vin au monde.

Aux côtés de son associé Christophe Macra, l’un des trois Français devenus Masters of wine français, qualification délivrée par l’Institut des maîtres du vin du Royaume-Uni, ils ont décidé d’établir leur sélection d’une manière très anglo-saxonne. Pour « garantir l’indépendance », ils choisissent en effet les vins qu’ils proposeront à la clientèle du quartier d’affaires en procédant par des dégustations à l’aveugle, une pratique plutôt rare en France.

Apogée propose domaines prestigieux comme petits producteurs, des vins cultivés traditionnellement comme en agriculture biologique, et quelques bouteilles de vin nature (dont la vinification est réalisée avec le moins d’additifs possible, Ndlr). « Ça tourne beaucoup, il y a une rotation des références fréquentes, ce qui permet de proposer quelque chose de nouveau », indique par ailleurs Sylvain Removille de la sélection changeante de son établissement.

Mercredi 3 avril, c’est dégustation du rhum guadeloupéen Longueteau. Apogé fait venir plusieurs fois par mois des producteurs de vin et spiritueux que la cave propose à ses clients.

Selon lui, Apogé fait venir tout type de clients, « des secrétaires aux cadres dirigeants qui viennent plutôt à midi et sont reçus comme chez eux ». Dans son bar à vin, il observerait la « décompression des salariés qui entrent ici » en fin de journée, conséquences du « niveau de stress » des postes à responsabilité des sièges de la Défense. « Les gens viennent ici pour un moment de plaisir, ils soufflent en arrivant, ils se soulagent », conclut-il.

Grâce aux hôtels situés aux alentours de son établissement, les touristes y feraient aussi escale en nombre. « Il y a beaucoup de touristes asiatiques qui viennent à la Défense le week-end, ils arrivent ici par hasard, ou parce que les hôtels leur on conseillé, commente le féru de vin. Ils peuvent repartir avec des bouteilles pour entre 40 et 150 euros. »

Mais les salariés de la Défense représentent bien le gros de leur clientèle, selon Sylvain Removille. « C’est le genre de client qui s’installe avec un verre de grand vin ou de grand champagne et qui repart, informe-t-il. On adore parce qu’ils viennent pour ce qu’on propose. » En début de soirée ce mercredi 3 avril, les consommateurs installés en terrasse semblent confirmer son propos.

Guillaume, quarantenaire en long manteau noir et chaussures lustrées, dit au revoir à l’amie avec qui il est venu boire « un petit verre de champagne » dans la cave. Salarié chez Saint-Gobain, il y a pris ses quartiers depuis trois ans maintenant. « Pourquoi venir ici et pas ailleurs ? Parce qu’il n’y a pas d’ailleurs à la Défense, commente-t-il en saisissant à la caisse le sac contenant la bouteille de vin qu’il vient d’acheter. La qualité est super ici. »

Pour tenter d’attirer des clients et rendre l’esplanade plus vivante à l’orée du printemps, la cave, qui dispose aux beaux jours d’une terrasse de 300 m², propose plusieurs fois par semaine des dégustations de produits, et quelques fois par mois des masterclass. Ce soir-là, une dégustation du rhum guadeloupéen Longueteau est organisée.

Guillaume passe devant le stand avant de partir de la cave et s’y arrête, curieux. « C’est toujours ça, quand il font une dégustation, on ne peut pas s’en sortir », ironise-t-il. Ce grand brun n’est pas le seul à être venu boire un verre après son travail. Un groupe de quatre jeunes loups commande du champagne. Deux hommes qui avaient commandé une bouteille de vin avec une planche de charcuterie se ravisent, et optent finalement eux aussi pour une bouteille de ­champagne.

Un peu plus loin, un homme âgé est assis seul à sa table, en tête-à-tête lui aussi avec une flûte, le champagne représentant une part importante de la sélection comme des ventes chez Apogé. « Je n’ai pas pu en boire quand j’avais 10 ans, je n’ai pu en boire que tard dans ma vie quand j’ai pu me l’offrir, donc j’en profite maintenant, confie Yvon Burlaud, habitant de Courbevoie de 80 ans. Je ne change pas beaucoup, parce que pour moi, le champagne, c’est la boisson reine, c’est le breuvage des rois. » Au « grand dam » de son épouse, il rend visite à la cave plusieurs fois par semaine.

« C’est un moment de plaisir, j’ai le bonheur de ne pas avoir de soucis d’argent, même si je n’ai pas de Ferrari, plaisante l’octogénaire. Si les choses sont bonnes, je ne considère pas comme un sacrifice de mettre le prix, les bonnes choses sont rarement bon marché. » Yvon boit souvent deux coupes par passage, et s’en sort pour « environ 22 euros », soit « plus cher qu’un verre de limonade », reconnaît-il de ce plaisir luxueux. « Mais c’est bien meilleur, précise-t-il aussitôt. C’est une revanche de pouvoir s’offrir ça. »

Pascal Copin, salarié à la tour CB21 venu pour la dégustation, se montre bon client en repartant avec une bouteille. « Je viens régulièrement, concède-t-il. Je reçois leur newsletter, donc quand il y a une nouveauté, je viens goûter. » Ce quinquagénaire se retrouve régulièrement avec des collègues pour boire « une coupe de champagne ou un bon vin ». La cave de l’esplanade et son concept semblent avoir de beaux jours devant eux.

L’Académie du vin prône la qualité plutôt que  la quantité

Créée en 2013 dans les locaux du seul caviste de l’esplanade, l’Académie de vin de Paris est un organisme d’enseignement spécialisé. Les associés d’Apogé tentent d’y propager leur philosophie de promotion et de consommation des vins de qualité auprès des professionnels, comme envers le grand public et les entreprises. Ils dispensent sur une à cinq journées l’ensemble des formations diplômantes du Wine and spirit education trust (WSET), organisme de formation anglo-saxon spécialisé dans les vins et spiritueux.

« Ici, on est convaincu d’une chose : plus un consommateur connaît le produit qu’il va acheter, plus il achètera juste et bien pour lui, commente Sylvain Removille, l’un des deux cofondateurs. On a donc décidé de créer une école qui va permettre au consommateur de mieux consommer le vin, et de manière socialement acceptable : si je consomme mieux, je consomme moins, donc je suis toujours dans le bien être et dans le respect des autres ».

Tous les aspects du vin sont abordés, de la viticulture à la consommation : cépages et les appellations, accords mets/vins, techniques de dégustation. « Je préfère consommer un verre de vin de qualité que cinq moins chers de moindre qualité, affirme Sylvain Removille. C’est ce qu’on inculque ici : je recherche le plaisir pur, et non pas l’ivresse. » Son Académie du vin propose également, la Défense oblige, des offres dédiées aux comités d’entreprise, comme des ateliers « teambuilding » pour la cohésion des groupes ­professionnels.