Habitat coopératif plutôt que copropriété privée traditionnelle : relativement commun en Allemagne et dans le Nord de l’Europe, ce type de projets est encore rare en France, l’ensemble du territoire français en comptant seulement quelques centaines, regroupant en général moins de 20 personnes. Dans ces immeubles, les habitants se rencontrent très en amont de la construction, décident des plans, et élaborent ensemble leur logement comme les parties communes.

La mairie de Nanterre et l’ancêtre de l’aménageur public du quartier d’affaires, Paris La Défense (Epadesa, Ndlr), s’étaient déjà montrés pionniers en la matière en structurant la construction d’un petit immeuble de 15 logements sur ce modèle coopératif. La coopérative du Grand portail, érigée au début des années 2010 dans l’éco-quartier Hoche, près de la gare RER Nanterre-ville, bénéficiait d’un soutien financier pour faire baisser le prix de revient des appartements auprès des futurs propriétaires d’alors, primo-accédants et ex-locataires de logements sociaux.

Les deux institutions ont décidé de remettre le couvert avec un immeuble de six à huit logements prévu par les promoteurs Lamotte et Brémond, attributaires d’un des lots du futur quartier des Groues. Situé au Nord-Ouest de la Défense, à quelques centaines de mètres de la Grande arche. Plus de 4 500 logements verront le jour de ce nouveau quartier. Pour la mairie de Nanterre, l’habitat coopératif représenterait en effet un outil « juste » d’accession à la propriété, destiné avant tout aux habitants actuels de la commune.

Plutôt intéressés par l’idée de l’habitat coopératif, ceux-ci se montrent cependant, une fois le cadre administratif, réglementaire et financier présenté, lors d’une réunion publique donnée en mars, nettement plus mesurés, et parfois carrément perplexes, face aux contraintes d’une telle aventure collective. Trois semaines après sa présentation, le projet de l’habitat coopératif de la forêt des Groues semble néanmoins avoir trouvé son public, avec une petite quinzaine de foyers soit définitivement inscrits comme futurs propriétaires, soit pour en savoir plus.

Un immeuble de six à huit logements est prévu par les promoteurs Lamotte et Brémond, attributaires d’un des lots du futur quartier des Groues, situé au Nord-Ouest de la Défense.

Au soir du mardi 19 mars, une foule compacte d’une petite centaine de personnes se serre ainsi dans la salle de l’Agora. Ces Nanterriens sont venus écouter la présentation du projet d’habitat coopératif de six à huit logements nommé la Forêt des Groues, faite par l’adjoint chargé de l’habitat dans cette mairie de gauche, et la fondatrice de l’agence d’urbanisme Promoteur de courtoisie urbaine. Ces derniers prévoient « un projet sur dix ans ».

Surpris par l’affluence, dénotant l’intérêt pour l’idée de bien des Nanterriens envers l’idée d’habitat participatif, les organisateurs n’ont pu fournir à tous les présents la plaquette explicative. Dans ce dépliant, le cabinet d’urbanisme met en avant un vivre-ensemble renforcé par un « grand jardin partagé » à la « gestion collective ».

Un autre espace partagé est prévu pour servir « de lieu de convivialité, d’échanges de services entre voisins », avec, pourquoi pas, « des distributions de paniers via une Amap (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne, Ndlr) ». La dimension écologique donc fortement mise en avant, notamment par l’intermédiaire de la performance environnementale de l’immeuble.

Il faudra « beaucoup de réflexion, parce qu’il y a beaucoup d’informations à digérer », font remarquer Kamal et Souad, couple nanterrien d’une quarantaine d’années, un peu refroidis par cette longue présentation à la fin de la réunion. Plusieurs des autres Nanterriens présents formulent les mêmes interrogations.

Le projet représente en effet une démarche qui s’éloigne des canons traditionnels de la propriété en France. Les futurs habitants devront se réunir régulièrement, jusqu’à une fois par semaine, avant même le premier coup de pioche. Ils pourront travailler sur la surface qu’ils souhaitent, les finitions, et l’élaboration des espaces communs. Enfin, ils ne sont pas propriétaires de leur bien au sens traditionnel du terme, mais disposent de parts sociales dans la société coopérative, qui détient les murs et à qui ils verseront une redevance pour rembourser le prêt collectif.

Dans l’Agora, la maison des initiatives citoyennes, Rabia Enckell, fondatrice de Promoteur de courtoisie urbaine, s’est échinée à dessiner les contours d’une initiative peu commune. « Sur ce projet-là, on nage comme le saumon, à contre-courant, plaide-t-elle auprès d’un petit groupe de curieux restés en fin de soirée. Il faut s’accrocher au parcours et y participer : on ne vous vend pas ça comme des vendeurs classiques. »

Le futur immeuble coopératif viendra s’insérer au Sud-Est du plan de cette partie du quartier des Groues, figurant ci-dessus. Sa forme demeure théorique, elle sera déterminée par les propriétaires.

« J’ai déjà du mal à assister aux réunions de copropriété, alors là… ça demande beaucoup d’implication », doutent Sophia et Mounia, deux sœurs nées à Nanterre. « C’est surtout qu’il n’y a pas de plus-value, même si on achète en-dessous du prix du marché », renchérissent-elles. La revente des parts de la Société civile immobilière (SCI) à statut coopératif fonctionne en effet sur un système déconnecté du marché de l’immobilier, celles-ci étant indexées sur l’indice d’augmentation du coût de la vie.

« Vous ne retrouvez jamais le retour sur investissement de l’accession classique », confirme de cette manière de posséder son logement la fondatrice du cabinet d’urbanisme. « Statutairement, le prix de revente de parts sociales est encadré et il n’est donc pas limité dans le temps : la seule valorisation possible est celle selon la hausse du coût de la vie, détaille Rabia Enckell. L’idée étant que l’effort financier du foyer entrant  est équivalent à celui supporté avant par le foyer sortant. »

Pas question, donc, d’espérer spéculer avec son bien immobilier participatif. « La coopérative n’est pas un outil pour spéculer : la motivation, c’est d’apporter des liens de voisinage comme l’on n’en a pas encore, argue Rabia Enckell. Et puis, on peut se rassurer : il n’y aura pas de bailleur qui veut vous mettre dehors pour donner le logement à l’un de ses enfants ! »

Pour la mairie, ce choix n’est pas vraiment un hasard, compte tenu de l’augmentation « mécanique » du prix de l’immobilier communal, explique l’adjoint André Cassou (MRC) d’une Nanterre encore très inférieur au reste des Hauts-de-Seine, et alors que de nombreux transports publics sont prévus dans les années à venir. « Cette formule d’habitat coopératif représente une des dernières façons d’acquérir un bien immobilier pour les jeunes et les couches de populations moyennes-supérieures », certifie-t-il de la volonté municipale de renouveler l’expérience.

Ce projet d’immeuble coopératif reste cependant très minoritaire à date, comparativement aux prévisions de construction de 630 000 m² au sein du quartier des Groues, désigné comme « le 11e quartier de Nanterre », derrière la Grande arche de la Défense, à côté de la future gare de Nanterre-la Folie. Plus de 340 000 m² seront dédiés aux 4 300 logements, 225 000 m² aux bureaux, et 65 000 m² aux activités, commerces comme équipements privés et publics (dont trois groupes scolaires, Ndlr), qui doivent y naître d’ici 2030.

Ces milliers de nouveaux logements représenteront trois voies bien distinctes d’accession à la propriété. La voie classique, très dominante dans le total des construction, est estimée à 5 800 euros par mètre carré. L’acquisition encadrée, soumise à certains critères, proposera environ 15 logements prévus annuellement dans le quartier, à environ 3 600 euros par mètre carré. Enfin, l’habitat coopératif, qui concernera donc la Forêt des Groues, un immeuble de 6 à 8 logements selon le nombre et les souhaits des propriétaires.

Cet immeuble coopératif, au tarif de construction pour l’instant évalué à 1,9 million d’euros TTC pour une surface totale de 490 m², devrait recevoir un soutien financier au montant encore non déterminé, de la mairie de Nanterre comme de Paris La Défense, l’établissement public gestionnaire et aménageur du quartier d’affaires. Les conditions d’éligibilité des futurs propriétaires sont par ailleurs nombreuses. Premières des obligations : habiter ou travailler à Nanterre depuis au moins un an, et accéder à la propriété immobilière pour la première fois.

Les futurs propriétaires doivent également répondre aux mêmes conditions de ressources que celles délimitant l’accession à un Prêt locatif social (PLS). Ce plafond représente environ 55 000 euros de revenus annuels pour un foyer de deux personnes, et environ 86 000 euros pour quatre personnes. Il faut également être capable d’un apport financier, car la coopérative doit avancer entre 20 et 21 % du tarif de construction, soit une moyenne de 50 000 euros par foyer selon les estimations de Rabia Enckell, la fondatrice de Promoteur de courtoisie urbaine.

Ces conditions d’éligibilités répondent pour la municipalité à des « enjeux sociaux et politiques », analyse Claire Carriou, urbaniste et enseignante à l’université de Nanterre. Cette spécialiste de l’habitat coopératif a étudié l’initiative similaire du Grand portail, menée quelques années plus tôt dans la commune. La mairie ne souhaite surtout pas « faire de projet de bobo à Nanterre », résume l’enseignante des conditions d’accession prévues.

« L’enjeu social, c’est de ne pas faire un cadeau à des gens déjà favorisés, développe-t-elle. C’est l’idée même de l’ascension sociale : pourquoi la mairie devrait financer le projet, si ce n’est pour aider les habitants qui en ont besoin ? Dans l’esprit de l’équipe municipale actuelle, il y a bien l’idée de favoriser une population déjà ancrée localement sur le territoire de Nanterre, pour qu’ils aient un parcours résidentiel ascendant sur place, qu’ils deviennent propriétaires sur place. »

« Je me souviens du discours de l’adjoint au logement qui m’expliquait qu’ils avaient changé de braquet », se remémore aussi Claire Carriou de l’évolution des conditions d’éligibilité au cours de la genèse du projet du Grand portail, le premier étant strictement réservé aux habitants, là où le second est aussi accessible à ceux qui travaillent à Nanterre : « Il s’était rendu compte que les employés de la mairie étaient obligés de partir loin en grande couronne pour pouvoir devenir propriétaire, et finalement quittaient le territoire. »

Trois semaines après sa présentation dans une Agora comble, l’habitat coopératif de la Forêt des Groues compte une petite quinzaine de foyers inscrits pour devenir propriétaires ou en savoir plus.

La spécialiste du cabinet d’urbaniste coordinateur de ce second projet de la Forêt des groues, Rabia Enckell, précise des aspects financiers que l’emprunt réalisé par la société coopérative devrait être avantageux. Personne morale et non physique, la SCI devrait en effet pouvoir souscrire un emprunt sur « 30, 40, voire 48 ans », et bénéficier d’un taux particulièrement intéressant. Les sociétaires de la SCI coopérative verseront ensuite une redevance mensuelle incluant remboursement de l’emprunt et charges, calculée selon la surface du logement.

Les charges de gestion de l’immeuble, proches de celles de n’importe quelle copropriété, inclut les contrats de maintenance et l’entretien général comme les provisions pour gros travaux de l’immeuble, ainsi que les charges de gestion de la coopérative. Au bilan financier, le coût de revient de la surface utile se situerait alors entre 13,50 et 14 euros par mètre carrés à verser chaque mois pour chacun des propriétaires de parts.

La dimension économique, liée à la réduction des dépenses énergétiques comme à celle des charges grâce à la participation des propriétaires à la vie de leur immeuble, semble en effet le facteur principal des Nanterriens qui ont été séduits par l’habitat coopératif proposé par la commune. Ainsi, si « l’intérêt pour eux d’utiliser des matériaux écologiques n’est jamais apparu, que ce soit le ménage, le fait de sortir les poubelles eux-mêmes ou d’avoir des systèmes électriques qui s’éteignent d’eux-mêmes », rappelle l’universitaire Claire Carriou du précédent projet du Grand portail : « C’est une logique de maîtrise des coûts et ­d’économie qui a prévalu.»

Le montant bientôt versé chaque mois par les propriétaires de la Forêt des Groues est en effet très inférieur à celui de l’immobilier privé, la moyenne mensuelle s’établissant à 21,12 euros par mètre carré dans les appartements de Nanterre, selon le site internet spécialisé du réseau d’agences immobilières Immo-diffusion. « C’est innovant et certainement avantageux sur le plan financier, surtout si on compare avec Levallois ou même Puteaux (dont les moyennes des appartements à la location s’établissent respectivement à 41,28 euros et 27,81 euros, Ndlr) », reconnaît Kamel au soir de la réunion ­publique.

« Mais tout faire en commun, ce sont des problèmes », poursuit le Nanterrien, qui a décidé, à la fin de la réunion de présentation, de ne pas devenir propriétaire à la Forêt des Groues. « Ça me fait un peu peur, mais je vais pas faire une croix dessus », indique au contraire Choumouss. Cette Nanterrienne apprécie en effet que le projet soit réservé à ceux qui habitent ou travaillent dans la commune, et qu’elle puisse déterminer la surface comme la disposition de son futur logement : « Il faut que je prenne le temps de la réflexion. »