Alors que la genèse de l’immeuble d’habitat coopératif de la Forêt des Groues débute tout juste, comment s’est construit et comment vivent désormais les propriétaires de son prédécesseur et pionnier du logement participatif nanterrien ? En 2014 étaient livrés les premiers logements de la résidence coopérative du Grand portail, dans l’éco-quartier Hoche, rue Ampère, à quelques minutes de la gare RER Nanterre-ville.

Aujourd’hui, les habitants ne perçoivent pas forcément avec acuité la dimension coopérative de leur immeuble, et se souviennent douloureusement de sa naissance entamée en 2009. Mais pour la maître de conférence de l’université de Nanterre qui a étudié ce projet participatif, encore assez nouveau en France, cet aspect est bien présent dans la vie de l’immeuble de 15 appartements, malgré une construction difficile et la complexité de la constitution d’un groupe coopératif lorsqu’il n’est pas constitué naturellement, mais par l’intermédiaire d’une collectivité locale, ici la mairie de Nanterre.

Ce vendredi 29 mars en fin de journée, devant l’immeuble coopératif de la rue Ampère, les habitants interrogés se montrent « globalement satisfaits » de leurs logements. « Ici, ce n’est pas la révolution », analyse néanmoins de l’aspect participatif une mère de famille ramenant ses enfants de l’école. « Nous avons connu des tensions, notamment sur le système de chauffage, décrit-elle de heurts passés entre propriétaires. Si quelqu’un utilisait le chauffage à fond, celui du voisin était limité. Mais ce genre de problèmes, on les retrouve partout. »

Les habitants croisés devant leur immeuble se souviennent surtout du temps et des difficultés de la genèse de ce projet d’un genre nouveau à Nanterre. Pour un père de famille inscrit dès 2009 au programme, dont le logement a été livré en 2014, « le temps passé en amont a été trop long pour pas grand-chose », estime-t-il sans aménité. Ces propriétaires n’ont pas été aidés par les difficultés de la construction : bâtiment construit sans fondations, défauts sur la toiture, et dix mois de retard de chantier.

« Ça a été très compliqué à mettre en place, nous avons essuyé tous les plâtres avec le Grand portail, reconnaît de la naissance du projet l’adjoint à l’habitat André Cassou (MRC). Mais maintenant, cela fonctionne très bien ». Pour Claire Carriou, urbaniste et enseignante à l’université de Nanterre, le Grand portail n’est pas « une copropriété comme les autres », assure cette spécialiste du Grand portail, qu’elle a étudié en détail : « Ils s’auto-gèrent, il n’y a pas de syndicat. Ils se réunissent, font des barbecues, font eux-mêmes le ménage, on voit les enfants jouer ensemble dans le jardin. »

« Les hommes se sont réunis pour acheter du matériel de musculation, et les femmes ont organisé des pédibus : les enfants vont ensemble en groupe à l’école, poursuit-elle en détaillant les originalités de la vie de ses habitants par rapport à une copropriété traditionnelle. Ce n’est pas révolutionnaire, mais c’est une manière différente d’organiser l’ordinaire, où malgré tout, le collectif est plus présent que dans une copropriété classique. » Pour l’universitaire, la constitution d’un « groupe par le haut », mais aussi les nombreuses malfaçons rencontrées lors de la construction du bâtiment, ont cependant terni la dimension ­collective du projet.

« Il faut voir comment les groupes sont constitués et quels sont les fondements qui lient le groupe », introduit-elle. « Le groupe du Grand portail ne s’est pas coopté au travers de valeurs ou d’un projet commun qu’il aurait mûri progressivement », poursuit-elle de ces projets habituellement réalisés par des groupes d’amis ou d’individus ayant des valeurs communes : « On sait par les travaux sur l’habitat participatif que c’est un élément important, partager quelque chose en commun, faire un socle commun qui crée un noyau qui fait vivre la dimension collective. Ici, il n’y a pas eu ce processus. »

« Au Grand portail, ceux qui se sentaient trop en décalage avec la majorité, les valeurs, les manières de vivre, sont partis assez vite », nuance-t-elle. « Cela a compensé la mécanique de cooptation, même si les habitants ne se sont pas choisis. C’est une différence de taille : est-ce qu’un groupe peut se constituer en tant que groupe, surtout s’il partage une vie quotidienne, quand il ne s’est pas choisi ?, interroge surtout cette spécialiste. Qu’est-ce qui fait le collectif : est-ce qu’on peut mettre ensemble des gens de façon arbitraire, et de ça, va émerger un groupe ? N’est-ce pas un peu fou ? »

Faute aux difficultés de sa genèse, certains des futurs habitants ont ainsi dû « avoir deux boulots, s’endetter », ont vécu dans un contexte économique « très tendu », avec des enfants qu’ils avaient, pour certains, déscolarisés de leur ancienne école en pensant qu’ils allaient emménager « Ces éléments ont beaucoup sollicité le collectif, et l’ont aussi peut-être un peu épuisé, tout ça juste pour une variation collective de la copropriété, synthétise Claire Carriou. Certains habitants m’ont expliqué que la dimension collective n’était pas aussi forte qu’ils l’avaient espéré, après s’être réunis toutes les semaines pendant des années, le contraste est saisissant [entre les débuts et l’aboutissement du projet]. »