L’exposition consacrée à Lokiss aura lieu en deux temps. Du 12 avril au 6 juillet, une rétrospective de son travail depuis 1984 sera proposée aux visiteurs, et du 11 juillet au 14 septembre, sera présentée une prospective de ses œuvres nouvelles. Dans ces expositions, Lokiss, en véritable précurseur, fait voler en éclat les fondamentaux du graffiti à l’américaine et définit une nouvelle grammaire et des codes esthétiques singuliers qui posent les fondations du graffiti européen.

Lokiss mêle au writing (nom originel du tag dans les années 70, Ndlr) son attrait pour la physique quantique et les sciences, son intérêt pour la conquête spatiale et les nouvelles technologies qui se télescopent, s’enchevêtrent et s’interpénètrent dans le fracas et le chaos de murs explosifs. L’artiste a naturellement embrassé d’autres médiums et s’est tourné vers une production en atelier. Ce travail est devenu le continuum et une extension de ses peintures dans le domaine public.

La peinture de Lokiss est d’abord celle du bruit. Le bruit de la mécanique qu’il y dépeint. Le bruit de pièces plus grandes que son auteur et qui révèle le défi de l’homme face à la machine, de l’humain face aux sciences et la technologie, de l’individu face au monde et la société. « J’ai appris l’art en voyant mon art détruit », dira Lokiss, révélant la part d’absurdité du writing qui puise son excitation et son intérêt dans la destruction attendue de l’œuvre.

Des murs à la toile, de la sculpture au travail de l’inox, de l’écriture de livre aux multimédias Lokiss interroge notre propre finitude, notre rapport au futur et aux nouvelles technologies. Il sonde l’ADN et le devenir de l’homme devenu urbain. The Soul est à la fois une rétrospective et une exposition projective. Elle révèle la continuité du travail de Lokiss, les points d’achoppements, les points de rupture et les évolutions. Le titre, en référence direct au morceau mythique « Al Naafiysh » (Hashim – 1983), marque aussi ce désir de toucher à l’essence et au moteur de son travail.

Avant de devenir un folklore emprunté et une posture, le ­writing est d’abord et avant tout une culture de la réappropriation. Réappropriation de la ville, et donc du lieu et de l’espace, mais aussi du langage. Un langage codé pour initiés qui s’exprime presque de manière occulte et dont le sens ne se révèle que de manière implicite ou en filigrane.

« Le graffiti est aussi disruptif, commente le communiqué de presse de l’Alternatif. Disruptif vis-à-vis de son environnement, de l’art et même de sa propre histoire. Cette culture ne demande pas à être validée et s’arroge alors le droit de ne pas être totalement définie. Rien n’y était explicite au début et tout était à construire ou plutôt à déconstruire ». C’est dans ce contexte, en l’an 0 de la vague européenne, dans la friche du terrain vague de la Chapelle, qu’est né Lokiss.

Finie l’orthodoxie américaine où le slogan publicitaire est de mise, Lokiss, en véritable précurseur, fait alors voler en éclats les fondamentaux de la lettre et définit une nouvelle grammaire et des codes esthétiques singuliers qui posent les fondations du graffiti européen. Ironie du sort, celui qui a pendant tant d’années, spéculer sur les sciences et les technologies revient à l’essentiel et prend à rebours, l’idée du progrès immanent entièrement dirigé vers la découverte bienfaitrice.

Sans âme, le progrès et l’avancement sont corrupteurs. Formellement, Lokiss cultive aussi le paradoxe. Il perpétue le formalisme du writing à mesure qu’il s’en éloigne. De l’explosion de couleurs qui rappelle ses fresques du début, il est passé à la radicalité du noir et blanc. L’inox rappelle l’âpreté de murs industriels et le recours à un panel réduit de couleurs, l’essence du tag. L’épure de ses visages se dessinent comme des lettres, de manière fragmentées et elliptiques.

Chaque visage est un code et chaque lettre, le premier ­fondement du langage. En miroir, se révèlent les plus petites unités ­sécables de l’humanité et du ­langage : l’homme et la lettre. En somme, l’essence du writing. On en revient toujours aux ­fondamentaux.