Certains participants du festival Urban week, organisé du 19 au 22 septembre dernier par Paris La Défense, pouvaient assister aux visites organisées autour des œuvres d’art exposées sur la dalle. Représentant le « plus grand musée contemporain à ciel ouvert d’Europe » selon l’établissement public gérant le quartier, la collection du quartier des affaires, pourtant restaurée, mise en lumière comme en valeur ces dernières années, laisse cependant bon nombre de passants pantois.

Si les touristes semblent plutôt heureux de pouvoir les observer à loisir, l’indifférence semble régner en maître parmi les salariés. « A force de passer à côté, on ne les remarque presque plus, estime Julie, 24 ans, à la Défense depuis deux ans. On sait qu’elles sont là, mais elles se fondent dans le paysage. » Son amie Harmony partage son avis : « Parfois, on ne sait même pas que les bancs où on s’assoit sont des œuvres d’art, ni même les fontaines. Pour nous ça fait partie du décor, en fait. »
50 artistes

Même si ces œuvres n’ont pas l’air d’engendrer un intérêt démesuré chez ceux pour qui elles sont exposées, ils leurs reconnaissent tout de même des qualités. « Je n’y fais pas trop attention, mais ça met un peu de gaîté sur l’esplanade », commente Ariane, salariée chez Total. Certains estiment aussi qu’elles apportent une « touche de couleur » ou encore qu’elles « permettent de s’évader, de tempérer cette atmosphère d’affaires », confie Laurence, 48 ans.

Si l’art passe peut-être inaperçu, le quartier d’affaires doit tout de même son nom à la toute première œuvre d’art inaugurée en son sein, en 1883. C’est la statue de Louis-Ernest Barrias, La Défense de Paris, qui honore la mémoire des victimes tombées lors du siège de la capitale, pendant la guerre franco-allemande de 1870. Les autres pièces artistiques sont des créations pour la plupart contemporaines à l’implantation du quartier, réalisées à partir des années 1960. Depuis lors, 50 artistes de 14 nationalités différentes sont exposés sur la dalle.

Mais la plupart des salariés travaillant ici sont surpris du nombre d’œuvres, lorsque La Gazette les en informe. « Je ne savais pas qu’il y en avait une soixantaine. Avec le chemin qu’on emprunte pour aller bosser, on n’a pas l’occasion d’en voir autant ! », s’exclame Marc, 51 ans.

L’Araignée d’Alexander Calder a été repeinte lors du projet de rénovation des onze œuvres d’art les plus emblématiques. Un dispositif d’éclairage à ses pieds a été installé.

Exposer à la Défense est par ailleurs une pratique très réglementée. Les artistes dont ont peut y admirer les œuvres, ont répondu à des commandes de la part de Paris la Défense ou bien des centres commerciaux. Pour Gilbert Moity, le créateur des installations lumineuses aux couleurs changeantes apposées sur la façade des 4 Temps (2008), la commande venait ainsi d’Unibail Rodamco.

« Ils souhaitaient une installation pour l’inauguration du centre, se souvient-il. Au début, elle était censée être éphémère, mais elle est devenue pérenne, car tout le monde a adoré. » Mais les artistes doivent ensuite parfois voir leurs œuvres changer d’emplacements et de perspectives au gré des commanditaires initiaux. « Aujourd’hui, elle est défigurée », s’indigne ainsi Gilbert Moity, fort mécontent d’avoir vu le centre commercial apposer son logo sur son installation lumineuse.

L’implantation d’œuvres d’art est souhaitée dès le premier plan d’aménagement du quartier des affaires en 1958. L’établissement public de gestion du quartier se donne pour objectif d’offrir un patrimoine artistique de qualité. C’est dans ce cadre que la majorité des œuvres présentes sur la dalle ont été conçues et pensées pour un emplacement précis. Le financement provient soit des sociétés des bâtiments où est placée l’œuvre, soit par Paris La Défense, des conseils départemental et régional, ainsi que des communes sur le territoire desquelles elles sont exposées.

Pour renforcer cette proposition de musée à ciel ouvert, Paris La Défense a lancé, fin 2015, le Paris La Défense art collection. Il est censé « mettre en avant ce patrimoine culturel unique en créant une véritable identité fédératrice à cet ensemble hétérogène, le rendre plus accessible et visible, détaille son site internet. Ce projet témoigne de la volonté de Defacto (à présent PLD, Ndlr) de faire du quartier d’affaires une véritable destination culturelle du Grand Paris. »

Pour Isabelle, une touriste du quartier d’affaires, la Défense représente un laboratoire gigantesque. « Ici on peut toucher les œuvres, se les approprier, s’approcher. C’est phénoménal !, se réjouit-elle. Alors qu’au Louvre, si vous voulez vous approcher de la Joconde, c’est très compliqué. »

Les œuvres d’art ont intégré le quotidien des habitants et salariés dans le quartier des affaires.

« C’est sans doute plus agréable que s’il n’y en avait pas, c’est sûr, poursuit Harmony en salariée de la Défense. On ne se rend peut-être pas compte de la chance qu’on a d’évoluer là dedans. » Même si une partie des habitants, salariés et étudiants ne les remarquent plus, les œuvres sont devenues des repères, si bien qu’une des sorties de métro s’appelle « Calder/Miro ».

Loin de provoquer un sursaut d’admiration ou une émotion-phénomène qui arrive généralement lorsque l’on voit pour la première fois une œuvre, celles de la Défense, communes pour ceux qui passent devant tous les jours, deviennent ainsi des points de rendez-vous, un banc, un bassin, une jardinière, et entrent dans le quotidien.

Plusieurs aménagements ont été réalisés pour mettre en valeur les œuvres d’art, leurs accessibilité et leur visibilité. Des travaux de rénovation et de mise en lumière ont été lancés il y a environ deux ans sur les onze œuvres d’art majeures du quartier, pour un budget de cinq millions d’euros. C’est par exemple le cas de l’Araignée d’Alexandre Calder, qui a bénéficié d’une nouvelle couche de peinture « rouge calder », inventée lors de sa conception par l’artiste. Une signalisation a été également installée à proximité des œuvres, pour renseigner les passants.

Du côté des artistes, le quartier où résident leurs œuvres divise. Pour le créateur de la façade des 4 Temps, la population du quartier d’affaires n’est pas en phase avec l’art. « L’attitude de la Défense, c’est le business, l’art n’intéresse pas les gens, il n’y a pas de curiosité, analyse-t-il avec sévérité. Si ces œuvres d’art étaient exposées dans un autre quartier, où la population y était plus sensible, ce serait différent. La moitié des gens ici s’en servent pour s’asseoir, ou manger leurs sandwich entre midi et deux. »

Catherine Feff, la créatrice de deux fresque murales, La famille cycliste (2007) et Les Coquelicots (2006), y voit plutôt une opportunité. « L’idée est de donner une dimension populaire à l’art en étant exposé au plus grand nombre », explique-t-elle, avant de reconnaître que les « œuvres font partie du paysage urbain ». Pour Guillaume Bottazzi, dont les fresques ornent le côté de la passerelle Alsace, « l’art apporte une identité, une visibilité au quartier, et une marque à la Défense pour attirer les investisseurs. »

Exposer à la Défense reste une expérience particulière, et un challenge pour tous les artistes. « La Défense est un univers très minéral, et mes coquelicots donnent une dimension poétique à un lieu qui est assez austère, aux matériaux durs » souligne Catherine Feff. Guillaume Bottazzi, quant à lui, a tenté « d’apporter de l’humain dans cet univers froid de tours ». Pour Harmony, en pause midi au pied des tours, « on ne leur rend peut-être pas assez l’honneur qu’elles méritent. »