A l’occasion d’un numéro des Cahiers de l’Orient consacré à la laïcité, Sophie Gherardi, directrice du Centre d’étude du fait religieux contemporain (Cerefelco), est venue livrer son analyse du concept de laïcité à l’Institut libre d’étude des relations internationales (Ileri), école des relations internationales située à la Défense, face à une audience estudiantine captive, le 6 mars dernier.

« La laïcité, c’est compliqué, mais rien de ce qui est intéressant n’est simple », glisse dans un sourire cette ancienne rédactrice en chef du Monde et du Courrier International. Au cours d’une conférence de plus d’une heure, et qui a largement débordé en raison des nombreuses questions des étudiants de l’Ileri, Sophie Gherardi n’a pas caché ses préférences sur la question ô combien politisée de la laïcité.

Chiffres à l’appui, Sophie Gherardi dresse le portrait d’une France de plus en plus détachée du fait religieux. « Les sondages effectués montrent que les français sont à 90 % en faveur de la laïcité, et que 74 % d’entre eux pensent qu’elle est menacée, explique la spécialiste. Ces tendances s’inscrivent dans un constat plus général d’effondrement de la croyance catholique : là où dans les années 1980, 81 % des enfants étaient baptisés, seulement un enfant sur quatre l’est de nos jours. La France est devenue, majoritairement, un pays incroyant. »

Revenant sur les grands jalons de la laïcité dans l’histoire française, de la Révolution de 1789 aux guerres de Vendée, en passant par l’affaire Dreyfus jusqu’à celle des foulards de Créteil en 1989, la directrice s’est concentrée pendant une partie de sa présentation sur l’impact de la religion musulmane sur la laïcité. Les étudiants, eux, s’y attachent beaucoup plus.

La récente polémique du foulard de sport de Décathlon concentre ainsi une bonne partie de leurs questions. L’occasion d’un clin d’oeil historique, pour la directrice du centre, alors que d’après elle, 76 % des français penseraient que la religion doit rester dans le domaine privé. « Lorsque la laïcité a été pensée, les législateurs étaient contre le droit de vote des femmes, qu’ils pensaient sous la coupe des prêtres catholiques… », rappelle-t-elle.

« L’histoire ne semble pas changer, puisque ceux qui sont contre ce hijab pensent les femmes sous l’emprise de leurs maris intégristes, continue-t-elle en revenant à la période actuelle. Or une femme religieuse, musulmane, très pieuse, ne ferait pas de running, pas plus qu’elle n’irait à la plage, accompagnée de son mari ! »

« Cette polémique est aussi l’occasion de faire notre introspection, estime Sophie Gherardi face aux étudiants de l’école de la Défense. Il y a une hypocrisie française des « laïcs », qui pensent que la femme musulmane française serait incapable de penser par elle-même de ce qu’elle doit mettre sur la tête. »

« De la même façon que l’on s’offusque du hallal chez Quick, alors que personne n’en est gêné dans les kebabs, une femme qui veut un hijab de sport peut l’acheter sur internet ou à Barbès, analyse-t-elle de l’ampleur des protestations. Le message envoyé par la pression populaire contre Décathlon, c’est qu’on ne peut pas en vendre dans « nos » magasins, et ça, c’est du communautarisme ! »