Lutter contre le gaspillage alimentaire sur le quartier d’affaires, semble à première vue, être un challenge de taille. Avec ses 180 000 salariés et ses nombreux points de restauration et cantines d’entreprises, l’enjeu est colossal. Un défi auquel tente de se confronter, depuis 2017, l’association Le chaînon-manquant, qui récupère des denrées alimentaires vouées à la destruction auprès de restaurateurs de la Défense, qu’elle redistribue à un réseau d’associations partenaires pour une consommation le jour-même, et ce, tout en respectant la chaîne du froid.

Créée en 2014, l’association travaille aujourd’hui, sur le secteur de la Défense, en partenariat avec sept professionnels de la restauration, dont la tour Suez, les tours de la Société générale, et d’autres restaurants comme l’établissement Jour, situé près de la Grande Arche. « On est parti avec un constat qui est maintenant bien connu : on jette 10 millions de tonnes de nourriture chaque année en France, pourtant six millions de personnes sont en insécurité alimentaire pour des raisons financières », résume Valérie de Margerie, présidente du Chaînon manquant.

« Nous sommes arrivés à la Défense en 2017, et nous avons démarré avec Suez, à la tour CB21, explique la présidente de l’association, et depuis juillet 2018, on collecte les trois tours de la Société générale, qui sont venues à nous ». Sur l’année 2018, plus de 160 000 repas ont été collectés et redistribués par l’association sur la France entière, dont 138 000 à Paris, (soit 5,7 tonnes, Ndlr), ce qui représente en moyenne 11 500 repas par mois, dont 6 200 sur la Défense. Environ 50 repas sont récoltés en moyenne à chaque passage du Chaînon manquant chez un partenaire du quartier.

Sur l’année 2018, plus de 160 000 repas ont été collectés et redistribués par l’association sur la France entière, dont 138 000 à Paris, (soit 5,7 tonnes, Ndlr).

A une échelle plus petite, les tours de la Société générale ont permis à l’association de récolter en 2018, sur les quatre restaurants que comprend l’entreprise : « 2 299 kg d’aliments, soit 4 598 repas redistribués à des lieux de lien social partenaires du Chaînon Manquant (haltes sociales, accueils de jour, etc.) », indique la banque partenaire.

« On préfère que les gens viennent nous chercher, et faire partie d’une démarche de fond de la part de l’entreprise, déclare Valérie de Margerie. C’est une chance de pouvoir aller dans les restaurants d’entreprises et de sensibiliser les salariés dans leur quotidien, on espère que ça a un vrai impact ». Le Chaînon manquant est financé notamment via du mécénat privé-public, et une plateforme de dons. « Il fallait montrer au début qu’on avait un dispositif fiable, et maintenant on nous propose des partenariats, déclare la présidente. On nous propose même de s’installer à La Défense ».

Martin, Van Der Hauwaert, coordinateur des opérations au Chaînon manquant, récoltait le 15 février dernier, les cuisines de la Société générale. L’occasion pour La Gazette de le rencontrer. « On commence à récolter vers 14 h 30, une fois le repas du midi passé, explique-t-il. Sur le secteur de la Défense, le gros pic d’activité reste le vendredi après-midi, puisque les cantines sont fermées le week-end ».

D’après lui, si les repas récoltés sont moins nombreux le reste du temps, c’est que les restaurateurs sont sensibles au gaspillage alimentaire, et qu’ils essayent de retravailler les produits ou de les resservir le jour d’après. 250 bénévoles travaillent pour le Chaînon manquant, et Martin fait partie des quatre salariés, qui sont, pour la plupart, en contrat aidé. « Il peut arriver que les restaurants n’aient pas d’invendus, souligne Martin. Ça peut varier en fonction de la météo, des vacances, des grèves ». Vendredi, le soleil fait briller les cimes des tours.

D’après lui, si les repas récoltés sont moins nombreux le reste du temps, c’est que les restaurateurs sont sensibles au gaspillage alimentaire, et qu’ils essayent de retravailler les produits.

« Avec une journée comme celle-ci, je m’attends à récolter de grosses quantités, présage-t-il. Avec un beau temps comme ça, les salariés prennent leurs journées ou mangent en extérieur ». Le camion électrique avec lequel il se déplace contient un frigo pour conserver les repas récoltés, et ainsi respecter la chaîne du froid.

Le premier restaurant de la Société générale sur le programme de Martin est celui de la tour Basalte, et le salarié du Chaînon manquant gare son véhicule sur la zone de livraison de la tour. « Les restaurateurs nous mettent des bacs à disposition pour la nourriture », informe-t-il. Une fois dans les cuisines, il rencontre le restaurateur qui lui annonce les récoltes. Vendredi, la récolte est bonne : Chou-fleurs, jambonneau, truite aux amandes, brochette yakitori et épinard.

« L’objectif de notre activité c’est de livrer ces aliments pour qu’ils soient consommés le jour même, rappelle Martin. On livre à notre réseau d’une cinquantaine d’associations et partenaires de manière cohérente ». Pour la restauration collective, le Chaînon manquant se dirige davantage vers des centres d’hébergement. « Je décide des livraisons uniquement à partir du moment où j’ai le détails des produits que j’ai sous les yeux, pour éviter de gaspiller », précise Martin.

« Ce qui est agréable dans cette activité, c’est qu’on est bien accueilli en cuisine, surtout dans la restauration collective, commente le salarié. Les restaurateurs sont sensibilisés aux produits alimentaires, aux plats qu’ils préparent, et ça leur fait mal de les jeter à la poubelle ».

La Chaînon manquant actif à la Défense

Le Chaînon manquant participe à plusieurs initiatives sur le quartier d’affaires, au-delà de récolter certains restaurateurs. L’association fait partie d’un groupe de travail anti-gaspillage sur le quartier, initié par Suez et l’établissement public Paris La Défense, qui a donné naissance à une association « La Défense des aliments », regroupant plusieurs acteurs privés, publics et associatifs, notamment Allianz France, Arpège, Eurest, Mazars et Suez.

Ce projet collaboratif vise à réduire le gaspillage alimentaire en restauration collective sur La Défense, en mutualisant connaissances, savoir-faire et ressources. Sa première mission est, avec les soutiens de la Direction régionale interdépartementale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt d’Île-de-France (DRIAAF), et de l’Ademe de réaliser un diagnostic sur le gaspillage alimentaire en restauration collective sur le territoire.

Lancé au début de l’été 2018, l’audit étudie les pratiques, et plus particulièrement les quantités gaspillées des restaurants d’entreprises de cinq tours du quartier d’affaires (Allianz One, Égée, Exaltis, CB21 et Grande Arche). À partir des conclusions obtenues, des solutions seront identifiées pour limiter le gaspillage alimentaire, en amont et en aval de la chaîne de restauration, telles que : des solutions logistiques et de partage des coûts ; la redistribution des invendus via des projets solidaires avec des associations partenaires ; la sensibilisation des différents acteurs du territoire.

L’étude sera dévoilée en mars 2019, et donnera lieu à la publication d’un livret de «bonnes pratiques» qui sera adressé aux entreprises basées à La Défense. L’association fait également partie d’un réseau de solidarité. « On a monté en novembre un réseau de solidarité avec trois autres associations, informe la présidente. Paris La Défense souhaitait encourager l’aspect solidarité dans le quartier, et a donc initié ce réseau qui regroupe La maison de l’amitié, Le carillon, et Entourages ».

Et d’ajouter : « Ce sont quatre associations qui ont pour but de réfléchir ensemble à comment amener la solidarité du quartier plus loin ». En parallèle, en 2018, le Chaînon manquant était lauréat du prix de l’innovation Paris Ouest la Défense. Ce prix récompense les talents et innovations répondant aux défis de la société de demain.