Six à neuf tonnes. Voilà la quantité estimée de nourriture consommable gaspillée quotidiennement à La Défense, en 2018. Soit 15 % de la nourriture comestible servie chaque jour. Au-delà des déchets que cela représente, le gaspillage alimentaire représente un prélèvement inutile de ressources naturelles (les terres cultivables et l’eau), ainsi que des émissions de gaz à effet de serre qu’il est possible d’éviter.

Des chiffres inquiétants qui ont fini par éveiller les consciences au sein du quartier d’affaires. Avec 180 000 salariés et de nombreux points de restauration, qu’ils soient d’entreprise ou ouverts au grand public, « l’enjeu est colossal », comme le souligne Paris La Défense. Et ça, Martine Baruch et Catherine Pradels l’ont bien compris.

La première est directrice de la responsabilité sociétale chez Allianz. La seconde, directrice en charge du développement durable recyclage et valorisation chez Suez. Ensemble, elles ont donné vie à La Défense des Aliments, une association qui a pour objectif de lutter contre le gaspillage alimentaire en restauration d’entreprise dans le quartier d’affaires ; et ce aux côtés de trois autres acteurs de La Défense. « À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de données disponibles sur le gaspillage alimentaire en entreprise, contrairement aux cantines scolaires, souligne Catherine Pradels. Notre travail a permis de produire des chiffres fiables. Cela fait partie de nos engagements : diffuser les résultats de nos pesées, et être transparents sur les actions que nous mettons en place. »

Justement, que met concrètement en place l’association pour obtenir ces données ? Comme le soulignent les membres membres, l’action doit être réalisée auprès des différentes étapes de la chaîne alimentaire. Cela passe autant par des formations auprès du personnel de restauration, que par des campagnes de sensibilisation auprès des convives. « Il faut accompagner tout le monde pour parvenir à un changement des habitudes, poursuit Martine Baruch. Depuis le lancement de l’association, de nombreux changements ont été réalisés, avec la mise en place de click and collect, ou encore de réservation de créneaux au self, ce qui permet à la production de prévoir la quantité adéquate par rapport au nombre de convives ».

la ville de Courbevoie signait déjà, en février 2021, une charte municipale contre le gaspillage alimentaire.

Là est la clé de la réussite pour réduire le gaspillage alimentaire : impliquer toutes les parties prenantes, comme le confirme Catherine Pradels, secrétaire générale de l’association. « Le gaspillage, c’est moitié dans l’assiette, moitié dans la cuisine. Les convives en produisent car ils ne finissent pas leurs assiettes, et en cuisine, l’enjeu, c’est de bien dimensionner les quantités. C’est en conjuguant les efforts qu’on fait ­bouger les lignes. »

À l’occasion de la journée nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire, qui a eu lieu ce dimanche 16 octobre, l’association a fait le choix de la sensibilisation en récoltant le pain jeté pour le présenter à l’entrée de différents restaurants d’entreprises, pendant une semaine. « C’est une action assez percutante, ajoute-t-elle. À chaque repas, beaucoup de pains entiers sont jetés ». Pour y remédier, La Défense des Aliments a pensé à une solution simple qui a porté ses fruits : mettre le pain en fin de parcours au self plutôt qu’au début, pour que les convives en prennent ou non en fonction de ce qu’ils ont choisi.

Depuis le lancement de l’association, les premiers effets positifs se ressentent déjà, en passant de 119 grammes de déchets moyens par assiette à 86, lors de la dernière pesée réalisée juste avant la crise sanitaire. La prochaine pesée aura lieu début 2023, tandis que l’association ambitionne d’inciter toutes les tours du quartier d’affaires à adopter ses démarches. À ce jour, 24 entreprises adhèrent à La Défense des Aliments, au même titre que Paris La Défense, qui soutient l’association depuis ses débuts. « Il y a un dialogue constant, assure Martine Baruch, secrétaire générale de l’association. Ils nous aident, en terme de communication, et en prenant en charge des enquêtes pour connaître les habitudes du grand public. »

Le Chaînon Manquant récupère les denrées alimentaires vouées à la des-
truction auprès de restaurateurs.

La Défense des Aliments n’est cependant pas la seule à œuvrer contre le gaspillage alimentaire dans le quartier d’affaires. Bien connu sur la dalle, Le Chaînon Manquant récupère, auprès des restaurateurs, les denrées alimentaires vouées à la destruction. Celles-ci sont ensuite redistribuées à un réseau d’associations partenaires, afin d’être consommées le jour même, tout en respectant la chaîne du froid. Grâce à cette initiative, plus de 160 000 repas ont été collectés et distribués dans la France entière, soit en moyenne 6 200 repas par mois rienqu’à La Défense, comme le souligne Paris La Défense. De quoi impliquer encore plus d’acteurs, comme des traiteurs et des restaurateurs, dans la lutte commune contre le ­gaspillage.

Parmi ces acteurs, justement, on retrouve les collectivités du territoire, avec plusieurs municipalités qui font le choix de s’engager. C’est le cas de la ville de Courbevoie qui, en février 2021, signait déjà une charte municipale contre le gaspillage alimentaire. « Le gaspillage alimentaire est symptomatique d’une forme de surabondance qui finit par poser un nombre incalculable de problèmes de société. Les Etats, et notamment la France, ont souhaité s’engager dans cette voie, mais comme pour l’écologie, c’est au niveau des communes que l’impact se fera ressentir. Si à Courbevoie nous parvenons à faire la preuve que réduire ce gaspillage est possible, peut-être notre exemple essaimera-t-il autour de nous », avait alors commenté le maire (LR) Jacques Kossowski. Plus récemment, des tables de tri connectées ont également été installées dans les écoles de la ville, afin de sensibiliser les enfants de manière ludique.

Le sujet était justement à l’ordre du conseil municipal de Puteaux de ce mardi 18 octobre. La Municipalité a d’ailleurs décidé d’adopter une déclaration d’engagement pour la lutte contre le gaspillage alimentaire. Tant d’initiatives qui montrent que les mentalités changent, et dans le bon sens.

Quelques chiffres…

En France, les pertes et gaspillages alimentaires représentent 10 millions de tonnes de produits chaque année. On parle d’une une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros. 33 % de ces pertes sont occasionnées en phase de consommation, contre 32 % en phase de production, 21 % en phase de transformation, et 14 % en phase de distribution.Dans les foyers, cela représente 30 kilos de nourriture jetéspar personne et par an. Parmi ces 30 kilos de déchets alimentaires, 7 kilos sont encore emballés.