Le « big data » fait bouger les choses au sein des entreprises de la Défense. Désignant des ensembles de données devenus si volumineux qu’ils dépassent l’intuition et les capacités humaines d’analyse, et des outils de bases de données classiques, leur utilisation par les machines a entraîné une transformation profonde de la société et du travail. Les cadres et les managers seraient particulièrement concernés par ces évolutions, selon les propos tenus à une réunion organisée par l’Observatoire des cadres et la CFDT, jeudi dernier dans son local syndical du quartier d’affaires.

Suppressions de postes, charges de travail supplémentaires, nouvelles formations, recrutements différents… nombreuses sont les retombées de la révolution numérique sur les entreprises du quartier. Les algorithmes ont investi en quelques années la plupart des pans de notre économie : finance, relation clients, achat de publicité… et semblent être devenus les maîtres du jeu. Les cadres venus à la réunion de la CFDT s’inquiètent des conséquences vis-à-vis des conditions de travail comme de la préservation des données personnelles.

Les algorithmes mis en place dans le cadre du traitement de données par les entreprises, ou encore les algorithmes prédictifs sont de plus en plus fréquents, et engendrent des changements dans le monde du travail. « Aujourd’hui on a la capacité de travailler sur de très gros volumes de données, indique Sylvie Joseph, présidente de l’Observatoire des cadres. Plus ça va, plus on va confier à l’être humain des tâches complexes, sauf que ça implique les compétences qui vont avec, et le pilotage de la charge cognitive qui n’est plus la même ».

Les cadres seraient particulièrement touchés, puisque ce sont les plus formés aux tâches complexes : « Quand vous alternez entre une tâche complexe et une tâche simple, le cerveau s’adapte et se repose, informe Sylvie Joseph. Mais si vous ne faites que des tâches complexes de la journée, à priori, le cerveau n’est pas fait pour ça. Ça soulève de vraies questions. » Jean-Michel, cadre dans une grande entreprise de transports, sent le vent tourner : « Le domaine dans lequel c’est le plus visible, je pense, dans mon entreprise, c’est celui de la maintenance. »

« Elle est devenue prédictive. Avant, le mécanicien qui avait l’habitude de faire son travail, trouvait grâce à son expérience, les pannes les plus compliquées : aujourd’hui il est complètement marginalisé, car des logiciels font ça à sa place, dans 95 % des cas, détaille-t-il. C’est compliqué de former ces mécaniciens traditionnels aux nouvelles pratiques, donc ça s’est traduit pas des recrutements de gens plus jeunes, pas forcément avec une formation de mécanicien, mais qui savent utiliser ces logiciels. »

Le domaine de la comptabilité n’est pas en reste, et subit de plein fouet la numérisation. « Au sein du service qui s’occupait de la facturation des expatriés, il y avait une personne à temps plein, explique Philippe, cadre chez un grand assureur du quartier. On a mis en place des outils d’assistants digitaux qui ont permis d’automatiser énormément de tâches comme la facturation, l’envoi et la constitution de fichiers, et ce poste a été supprimé. La charge de travail a été reportée sur les équipes, ce qui représente à peu près une demi-journée de travail en plus par mois. »

Les algorithmes mis en place dans le cadre du traitement de données par les entreprises, ou encore les algorithmes prédictifs, sont de plus en plus fréquemment utilisés.

« Les professions comptables sont en première ligne par rapport à cette évolution de la digitalisation, poursuit-il. Dans l’entreprise de ce salarié, la pyramide des âges s’est d’ailleurs selon lui inversée. « Il existe des accords pour inciter les salariés à partir dès l’âge proche de la retraite, je pense qu’il y a une volonté de diminuer les effectifs en vue d’anticiper les évolutions de tous les métiers, ça évite un plan social », fait-il remarquer.

« On va devoir s’adapter, monter en compétences, avec une formation différente, et un recrutement différent : on cherche maintenant plus de cadres avec de hautes capacités, continue ce cadre. Avant, on recrutait à même proportion des cadres et des non-cadres. Aujourd’hui, la direction de la comptabilité met en place un recrutement de salariés plutôt jeunes, de moins de 30 ans, appartenant plutôt à une population de cadre, avec la capacité à s’auto-former. »

Selon lui, cependant, tout ne serait pas encore automatisable dans son secteur : « Le contrôle et l’analyse de l’homme sont nécessaires pour prendre des décisions, mais les profils demandés ne sont plus les mêmes », constate-t-il cependant des salariés appelés à y exercer. « Il y a un réel enjeu de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou l’anticipation et la planification de la stratégie de l’entreprise, ainsi que l’évaluation des compétences nécessaires à la réalisation du projet d’entreprise, Ndlr), et de transformations des compétences », souligne la présidente de l’ODC.

Pour le cadre de l’entreprise de transport, la GPEC est « limite » dans son entreprise. « On a demandé aux managers d’intégrer dans leur évaluation annuelle l’appétence et la culture du numérique, mais ça ne va pas au-delà, confie-t-il. Cependant, dans l’évolution de postes, on privilégiera quelqu’un qui a plus de notions du numérique, plutôt que quelqu’un plus âgé, moins formé à tout ça. C’est une forme insidieuse de ségrégation plus qu’autre chose. »

Le big data est également utilisé par l’entreprise de transport dans sa stratégie de développement. « On réalise des captations des données de mobilités de nos voyageurs mais également des achats de bases de données, informe le cadre. Par exemple, Uber peut nous vendre ses données qui informent des endroits où il n’y a pas assez de transports, et où leur services sont les plus sollicités. On peut alors décider de proposer du transport à la demande à ces endroits ou de développer des solutions alternatives. »

Ce qui l’inquiète là-dedans, ce sont les utilisations des données personnelles. « Je suis à la direction de la sûreté, et je vois tout ce qui transite, et il y a beaucoup de données personnelles sans sûreté », alerte-t-il. « C’est un des points de risque majeur, confirme Sylvie Joseph de l’Observatoire des cadres. Avec le sujet des algorithmes et de leur loyauté. L’algorithme n’est pas neutre, et il y a un réel enjeu de contrôle et d’audit des algorithmes, par une instance extérieure. »