« Aujourd’hui, l’ambiance est à la fête mais ne vous y trompez pas, la CFDT et le syndicalisme en général sont en crise », prévient d’emblée le secrétaire général de la CFDT des Hauts-de-Seine. L’organisation syndicale fêtait jeudi 25 octobre ses 50 ans d’existence, dont 34 ans dans le siège situé à la Défense. Une fête qui leur a permis, le temps d’une soirée, de se souvenir du chemin parcouru, mais aussi d’envisager l’avenir, dans un quotidien où le syndicalisme « se porte mal ».

Dans les Hauts-de-Seine comme ailleurs, la CFDT, vieillissante, se demande comment attirer les jeunes salariés vers l’engagement syndical. Son responsable départemental constate l’efficaité moindre des mobilisations lors de manifestations et de grèves, et déplore une société plus individualiste. Le syndicat cherche cependant à s’y adapter en proposant un « syndicalisme de service ».

Ce jeudi-là, les présents étaient secrétaires généraux ou « présidents », un statut qui a disparu depuis, ils se sont relayés auprès d’un micro capricieux pendant une petite heure. Chacun à leur manière, avec ou sans texte, ou même déclamés en vers, ils ont rappelé devant une trentaine de personnes la période pendant laquelle ils étaient aux commandes.

L’autogestion, les premières listes électorales pour les élections prud’homales, la première crise du syndicalisme avec la perte des cotisations, les grandes manifestations… les thèmes évoqués replongent l’auditoire dans ses souvenirs. L’ambiance se voulait bon enfant, à la façon d’une réunion des anciens. Les participants se saluent, se cherchent du regard. On se retrouve, se congratule.

On se tape dans le dos en rattrapant le temps perdu autour d’un petit four. D’anciennes amitiés se reforment. Certains se demandent si « eux aussi, ils ont pris un coup de vieux ». Sur les murs des locaux de la syndicale, d’anciennes affiches rappellent les combats passés. Semaine de 4 jours et de 32 heures, ou encore valorisation du pouvoir d’achat et égalité du salaire homme-femme, certains thèmes vieillissent alors que d’autres ne prennent pas une ride. La CFDT, dont le logo a changé cinq fois en cinquante ans, garde certains de ses traits distinctifs au fil des modifications.

Leurs voisins de la CGT, situés dans les locaux juste à côté, au 21 place de l’Iris (la CFDT est au 23, Ndlr), se font gentiment moquer. François Bon, secrétaire général adjoint de l’union territoriale interprofessionnelle de la CFDT à Paris, n’y voit « rien de méchant ». Pour lui, « il y a juste une ligne de différence très nette entre nous : la CGT pense que le travail est destructeur, alors que nous pensons que c’est un moyen d’émancipation ».

Au bout de 2 h, la fête se calme doucement. Les bouteilles de champagne viennent à manquer, on ouvre des bouteilles de cidre pour satisfaire les plus enhardis. Dans son bureau, Vincent Pigache, secrétaire général de l’union départementale CFDT des Hauts-de-Seine n’y va pas par quatre chemins : « Si on ne change pas, si on ne s’adapte pas, dans cinquante ans, on ferme boutique ».

« Aujourd’hui, l’objectif, c’est de se dire : comment on peut toucher les jeunes de 23 à 35 ans ? », s’interroge Vincent Pigache, secrétaire général de l’union départementale CFDT des Hauts-de-Seine

Sur le plan national, le premier syndicat de France dans le secteur privé connaît une légère érosion de 0,9 %. En 2017, il comptait 60 000 arrivées pour 67 000 départs. Selon Les Echos, le syndicat aurait perdu 30 000 adhérents entre 2012 et 2018. Sur ses 623 802 adhérents, 49,5 % sont des femmes, 50,5 % des hommes. Enfin, le syndicat des cadres ne compte que 11,17 % de cadres dans ses rangs, tandis que 60 % de ses membres viennent du secteur privé, le tiers restant exerçant dans le secteur public.

« Nous notre positionnement est clair, on est place de l’Iris parce que l’enjeu, c’est la proximité, on a besoin de toucher les cadres, on a besoin de rencontrer les gens, les salariés », détaille le secrétaire général de la stratégie de la fédération syndicale. « Quand on sait que seulement 8 % de la population est syndiquée, je me demande toujours : mais que font les 92 % restants ? » s’interroge-t-il.

A la CFDT, l’âge moyen est de 50 ans. Vincent Pigache compte bien rajeunir les troupes. « Dans le département des Hauts-de-Seine, on compte 23 000 adhérents, entre 30 et 40 % sont sur la Défense, poursuit-il. Aujourd’hui, l’objectif, c’est de se dire : comment on peut toucher les jeunes de 23 à 35 ans ? » Selon lui, l’engagement syndical serait victime d’un lent changement des mentalités.

« L’esprit de solidarité de mai 68 est mort, on constate que l’on a basculé dans une société beaucoup plus individualiste », analyse le syndicaliste. « Avant, ça valait la peine de se battre pour obtenir des droits dans son entreprise, parce qu’on allait rester plusieurs dizaines d’années, détaille-t-il aussi. Maintenant, quand on sait que les jeunes ne passent en moyenne que 4 à 5 ans maximum dans une entreprise, ils n’ont pas envie de se lancer dans ce genre de combat, et je peux les comprendre. »

« De la même façon, je suis persuadé que la grève comme dans les années 80, c’est à oublier : j’ai eu le déclic en 2003, quand Sarkozy a passé en force ses réformes, on a manifesté pendant six semaines pour avoir des miettes », se remémore-t-il. « Pendant les ordonnances Macron, on a fait le choix de ne pas manifester, ça nous a valu quelques remarques des autres syndicats, reconnaît Vincent Pigache. Ce n’est pas à abandonner, mais je pense que c’est un outil qu’il faut utiliser à bon escient, sinon, il perd de sa valeur. »

« Aujourd’hui, si on réunit 20 000, 30 000 personnes pour une grève, c’est déjà bien, n’importe quel évènement Facebook d’importance peut en faire autant, donc on est moins audible », indique le secrétaire général. « Il faut que l’on se tourne vers une nouvelle forme de syndicalisme avec plus de liens avec notre société », préconise-t-il, avant de poursuivre :  « Si les gens sont plus individualistes, c’est à nous de nous adapter et de nous tourner vers un syndicalisme de service. »

« Ca veut dire encore renforcer notre aide juridique, notre soutien, notre accompagnement des salariés », indique Vincent Pigache. « On change aussi nos façons de faire de la communication, fait-il remarquer. A la Défense, je prévois qu’on fasse des flash-mob (un rassemblement public d’un groupe de gens durant quelques minutes avant de se disperser, Ndlr). Mais aussi de courtes saynètes sur la dalle, je suis en négociation avec une compagnie de théâtre. »

« Dans les 5 à 10 ans qui viennent, on est à la croisée des chemins. C’est à nous de montrer que l’on peut se renouveler, qu’on a du sang neuf. » termine-t-il. Ce « sang neuf » est notamment représenté par son adjoint, Cyril Besombes, qui a rejoint le syndicat il y a 9 mois. Ce jeune trentenaire commente un quotidien « pas évident, mais qui donne du sens » à ce qu’il fait.

« J’arrive le matin, et à 8 h 30, j’écoute quelqu’un en face de moi qui me dit qu’il va tout perdre, raconte-t-il. Je me sens utile quand je me bats pour plus de justice dans les entreprises, contre les licenciements abusifs. » Il décrit également un paradoxe : à l’heure d’internet, les salariés semblent de moins en moins informés quant à la législation. « Les salariés mais aussi les cadres n’ont pas conscience du droit du travail, de comment ils peuvent être aidés », remarque-t-il.

« Alors qu’à l’inverse, maintenant, les patrons savent exactement combien un licenciement va leur coûter : nous, on est un frein à ça, dans cette époque de capitalisme, on est là pour accompagner et pour donner de l’information, conclut le jeune responsable syndical de son engagement. On est syndicaliste par conviction, par vocation presque. Il y a beaucoup de combats à mener, que ce soit pour la [réforme instituant le comité social et économique comme instance paritaire unique] ou pour les retraites, et ça, ça me donne envie de me lever le matin. »