Tiré de l’anglais after-work, qui désigne les activités réalisées littéralement après le travail, l’afterwork est aujourd’hui une expression utilisée pour tout et n’importe quoi. Il revêt plusieurs costumes au sein du quartier des affaires, un lieu où l’expression prend sans doute tout son sens, puisqu’il est miné de travailleurs. Il n’est cependant pas chose aisée de convaincre les salariés de rester sur leur lieu de travail, et c’est bien ce que s’attellent à faire les quelques enseignes qui souhaitent transformer la Défense en un lieu vivant en dehors du travail.

Privatisations, animations, DJ sets, offres culinaires… tout est bon pour séduire le salarié, éreinté par une journée de travail dans les pattes. Les concepts d’afterwork sont aujourd’hui bien implantés à la Défense, en proposant des offres différentes pour la population salariale. De quoi satisfaire Patrick Devedjian, président LR du Conseil départemental des Hauts-de-Seine, qui avait confié à La Gazette qu’il ne voulait plus d’un quartier « qui ferme à 18 h » ? Durant ces deux dernières semaines, La Gazette a fait le tour de ces fameux afterworks pour se faire une idée.

Happy hour ou afterwork, la Défense voit se développer en son sein toutes sortes de propositions, et chaque enseigne essaye de trouver sa signature, ses clients, et surtout, de convaincre. L’Epicerie générale, située dans la tour Cœur défense, et implantée par Sodexo, la multinationale française de services de restauration, pourrait bien être le plus proche représentant du sens initial de l’afterwork. « La première motivation des collaborateurs, c’est l’interaction sociable, souligne Sébastien Zerbib, directeur du développement Sodexo restauration. Donc on va la chercher, et l’afterwork en est une illustration. »

L’enseigne organise tous les jeudis des afterworks, de 18 h à 21 h, et propose la prestation d’un DJ, ainsi qu’une tapa offerte pour une boisson achetée. Les animations sont régulières, et peuvent prendre la forme de dégustations : « Nous avons organisé une dégustation de champagne une fois, on a également présenté une marque de viande séchée, avec son producteur », indique Jennifer Enna, responsable régionale de Sodexo. « Le lieu est sympa, et la musique aussi. Ça permet de faire une escale avant de rentrer chez soi, de se détendre un peu », commente Adrien, 32 ans, salarié de la tour.

Happy hour ou afterwork, la Défense voit se développer en son sein toutes sortes de propositions, et chaque enseigne essaye de trouver sa signature, ses clients, et surtout, de convaincre.

Quelques mètres plus loin, toujours au niveau du hall de l’immeuble Coeur défense, l’entreprise de bureaux partagés Nextdoor a lancé elle aussi son propre afterwork, ou son « aperoni », ou « aperitivo », comme l’appelle Floriane, happiness manager du lieu. Un jeudi par mois, de 17 h à 19 h, Nextdoor offre à ses quelques 650 résidents de petites choses à grignoter, ainsi que le premier verre. « Pour moi, l’afterwork est synonyme de beuverie, estime du terme Floriane. Mais ce n’est pas du tout ce qu’on propose ici. Le but c’est que les gens se rencontrent, créer du lien dans la tour. »

« On vient tout le temps dès qu’on peut boire », plaisante Gérard, résident, venu avec son jeune collègue Florent, pour déguster une coupe de champagne. Tous deux travaillent dans la prestation de services informatiques et louent un bureau à l’entreprise depuis presque un an. « On vient assez régulièrement, confie Florent. Mais par contre, le concept de réseautage en afterwork, je trouve que c’est des conneries, commente-t-il sans aménité. On rencontre des gens, mais on n’est pas là pour s’échanger nos cartes, on est là pour se détendre. »

Pour retenir le salarié sur son lieu de travail, ou encore animer les repas des touristes venus faire escale à la Défense, le centre commercial des 4 Temps a renouvelé en cette fin d’année, ses afterworks « expérimentaux ». Après une première série de concerts d’avril à juin dernier, les 4 Temps s’est associé avec l’agence artistique Linkaband, pour proposer The stage, un tremplin musical pour révéler les artistes de demain.

« L’idée était de proposer une animation pour les restaurants alentours, ou pour les gens qui boivent un verre ici, confie Martin, de l’agence Linkaband. Ça a été fait dans l’esprit d’un afterwork. » Les concerts ont lieu du 11 octobre au 21 novembre 2018, et prennent place au niveau trois du dôme du centre commercial, tous les jeudis à partir de 18 h 30. « C’est vraiment sympa d’organiser des animations comme ça, commente Elizabeth, 46 ans, habitante du Faubourg de l’arche. Je crois qu’ici il y a moins de salariés, et plus de familles ou de jeunes. »

Pour retenir le salarié sur son lieu de travail, ou encore animer les repas des touristes, le centre commercial des 4 Temps a renouvelé ses afterworks « expérimentaux ».

Des formes et des publics différents, des concepts et des offres différents. Voilà les couleurs dont se drapent les afterworks de la Défense. L’enjeu est grand : faire vivre le quartier après 18 h, faire du quartier des affaires un lieu de vie, et non pas un lieu de transit ou de passage lisse et froid. Comment capter la clientèle du quartier, et l’amener à repousser l’heure bénie du retour vers la maison ? Là réside la question.

Il n’est tout de même pas chose aisée d’amadouer les travailleurs de la Défense pour prolonger leur temps passé sur place. « Il existe une certaine réticence de la part des salariés, reconnaît Jennifer Enna, responsable régionale de Sodexo. On peut parfois rencontrer des difficultés à faire rester les gens, surtout en période estivale. Le lieu reste très connoté travail, et ce sont généralement les mêmes personnes qui viennent manger le midi, qui reviennent le soir ». « C’est vrai qu’ici on vient entre collègues, reconnaît Simon, salarié de la banque HSBC.

« Nos amis, on les retrouve ailleurs, je les fais rarement venir jusqu’ici », ajoute le trentenaire. Sa voisine et collègue Laura, acquiesce : « C’est vrai que ça reste dans le cadre travail, mais de temps en temps c’est sympa ». « On travaille pour casser les codes travail, pour rendre la chose plus attrayante », confie Jennifer Enna de Sodexo. Il faut dire que l’Epicerie générale est également un restaurant d’entreprise.

Un autre établissement s’est lancé dans les afterworks après son ouverture, mais a rapidement mis de côté cette proposition. L’espace évènementiel l’Alternatif s’est « cassé les dents » sur le concept, d’après Patrick Bonduelle, directeur de la communication du groupe Culture et patrimoine, les occupants de l’espace sous dalle. « On a eu une programmation très ambitieuse, avec des concerts presque tous les jeudis, mais il n’y avait pas suffisamment de gens qui venaient, alors on a mis la chose en stand-by », explique-t-il.

Le restaurant du sommet de la Grande arche, la City, prévoit de lancer un afterwork inédit, sous la forme d’un wine bar, tous les jeudis à partir du 15 novembre prochain.

« On va essayer d’inscrire de nouvelles habitudes chez les gens, il faut construire son audience petit à petit, il faut trouver une signature et fidéliser », indique Patrick Bonduelle. L’Alternatif aimerait tout de même retrouver une programmation et proposer tous les quinze jours un afterwork. « Mais c’est vrai que les gens sont habitués à ne pas payer les animations ou les concerts à la Défense, parce que Paris La Défense organise souvent des choses gratuites », constate le directeur de la communication de Culture et patrimoine.

Pour les salariés désireux de couper avec leur journée de travail, mais souhaitant tout de même rester sur place, il existe aussi une offre dans certains bars et restaurants. Niché dans le quartier Boieldieu, au bord d’un jardin, Porto, le traiteur portugais, organise tous les jeudis et vendredis de 17 h à 20 h, un afterwork pour bénéficier de prix réduits sur une sélection de produits culinaires portugais. « Ça change de l’atmosphère assez pesante et glaçante des tours », commente Rodolphe, 26 ans, venu boire une bière avec des amis.

Une nouveauté risque de creuser sa place dans la course folle à l’afterwork. Le restaurant du sommet de la Grande arche, la City, prévoit de lancer un afterwork inédit, sous la forme d’un wine bar, avec une carte des vins élaborée, tous les jeudis, à partir du 15 novembre prochain. Il pourra accueillir les curieux de 18 h à minuit, et l’établissement proposera des assiettes de tapas. En partenariat avec City one, gestionnaire du sommet de la grande Arche, le restaurant a déjà organisé ce genre d’évènements.

Tout l’été, des afterworks étaient proposés sur la terrasse du monument, « avec jusqu’à 600 personnes », précise Jérome Vigato, directeur de la City. Ces derniers reprendront en mai prochain, mais en attendant, l’édition hivernale ne pourra pas rameuter autant de monde : « On aimerait bloquer entre 60 et 100 personnes », signale le directeur du restaurant. Des afterworks variés continuent donc d’éclore dans le quartier d’affaires, de sorte à contenter les goûts et les couleurs de ses occupants.