« Opération coup de poing. » Mardi 23 octobre, la SNCF était présente dans les quatre grandes gares parisiennes pour une vaste opération de lutte anti-fraude. Inédite par son ampleur, cette opération de contrôle était l’occasion de marquer les esprits pour l’entreprise ferroviaire, qui assure perdre 63 millions d’euros par an sur ses lignes de Transilien en Île-de-France à cause de la fraude.

Si elle se targue d’agir avec le soutien des associations d’usagers de transports, la SNCF n’en est pas moins poussée par les financements publics. De 9 millions de bénéfices issus de la lutte anti-fraude sur le réseau SNCF francilien en 2015, la SNCF se donne l’objectif de tirer 19 millions de bénéfices des amendes en 2019. Une absence de ticket ou un ticket non validé mènent à la même amende : 50 euros sur place ou 100 euros plus tard. Un dépassement de destination coûte 35 euros.

La semaine dernière, à une demande de commentaire portant sur la lutte anti-fraude à la Défense et aux alentours (voir notre précédente édition, Ndlr), la SNCF répondait seulement par une discrète invitation à son opération de bouclage des gares pour des contrôles de grande ampleur, manière d’assumer sa politique en la matière. Gare Saint-Lazare, l’opération de près de 3 h a abouti à 311 PV dressés, avec 198 encaissements immédiats et 9 438 euros récoltés. Mais, sur place, les usagers étaient plutôt d’humeur râleuse.

« Si vous n’avez pas de justificatif de domicile, je vais devoir vous laisser avec la police, Madame. » Le ton semble courtois mais la menace n’en est pas moins ferme. Andréa, 16 ans, revient avec ses copines d’une après-midi passée au centre commercial des 4 temps, à la Défense, lorsqu’elle tombe sur l’impressionnant barrage de contrôleurs qui bloquent de part en part la sortie du quai.

Une absence de ticket ou un ticket non validé mènent à la même amende : 50 euros sur place ou 100 euros plus tard. Un dépassement de destination coûte 35 euros.

Avec une carte d’identité portuguaise et pas d’adresse de domicile en France, les contrôleurs, échaudés par de nombreuses fausses déclarations d’usagers qui tenteraient ainsi de les berner, ne laissent rien passer. Après une dizaine de minutes de négociations, la jeune Andréa est laissée aux mains de la police.

Les gardiens de la paix la libèrent au bout de cinq minutes, après avoir vérifié son adresse. « Je ne comprends pas, j’ai déjà été interpellée parce que je n’avais pas de tickets, mais ça n’a jamais posé problème, je pouvais donner mon adresse et ils me facturaient chez moi, souffle-t-elle. Mais là, ils sont en meute, on ne peut pas les raisonner. »

Sa copine Amélie s’est, elle aussi, fait contrôler en situation de fraude. Elle est munie d’un passeport français, l’opération se fait rapidement. Appelées à s’acquitter de 50 euros sur place, ou de 100 euros plus tard, les deux adolescentes choisissent la deuxième option. Pour les deux jeunes qui viennent de rejoindre leur groupe d’amis, l’opération n’est guère convaincante. «  On sait que c’est pas bien, mais franchement, on s’est déjà faites contrôlées et on a déjà payé des amendes, rétorquent-elles de ce contrôle géant. Donc bon, l’effet dissuasif…»

Les usagers ne seraient pas égaux par rapport aux comportements de fraude, avance la SNCF. « Selon des études internes, il y a un petit pourcentage de gens qui frauderont toujours quoiqu’on fasse, et d’autres qui ne frauderont jamais, analyse Barbara Juillet, responsable des contrôleurs du Transilien. L’enjeu, pour nous, c’est de convaincre les indécis. »

La sécurité ferroviaire, plus équipée que les agents assermentés, a besoin de la police lorsque les fraudeurs n’ont pas de justificatif de domicile.

Il serait bien aussi d’alerter « ceux qui ne veulent absolument pas frauder mais qui le font par confort, ou parce qu’ils n’ont pas le temps », poursuit-elle. Ces derniers seraient notamment les voyageurs qui ne prennent pas le temps de recharger leur passe Navigo le premier jour du mois « parce qu’il y a trop de monde ».

« Avec cette opération en gagne en visibilité et on veut toucher ces gens-là, leur envoyer le message que ça vaut la peine », met ainsi en avant Barbara Juillet. « Si on organise cette opération, c’est parce que c’est à ces heures-là qu’il y a le plus de fraudes », explique son collègue Alexis Degarne à 17 h 30. « Il faut aussi savoir que 60 % des actes d’incivilité dans nos gares et nos trains viennent de gens qui sont en irrégularité », assure-t-il par ailleurs.

Pour ce responsable de la lutte anti-fraude pour les Transiliens de la SNCF, cette politique est soutenue par les usagers des transports : « 85 % de nos clients veulent que l’on augmente la lutte anti-fraude, selon nos enquêtes de satisfaction client. » La plupart des associations d’usagers sont, elles aussi, favorables à l’augmentation des contrôles de validité des billets.

Alors qu’il explique les enjeux de la lutte anti-fraude en compagnie de la responsable des contrôleurs de la gare Saint-Lazare, Alexis Degarne est interrompu par une usagère de la ligne J : « Vous n’avez pas honte ? » Martine Duval, 57 ans, est très remontée contre l’opération : « Et nous, on va vous demander une amende de combien ? Pour tout vos retards, pour vos grèves ? Pour les avertissements que j’ai eu au travail et pour le manque à gagner que cela génère pour moi ? C’est inadmissible ! »

Les agents assermentés ont été positionnés en barrage à la fin des quais. Depuis 2015, ils peuvent contrôler et donner des amendes.

« Ils ne sont pas compréhensifs, ils se la racontent et font les gros bras ! C’est un non-respect des clients », ne décolère pas cette soignante à domicile. « Je ne suis pas contre payer, ni contre le contrôle, mais qu’au moins, le service soit de qualité, on est une mine qui ne rapporte pas assez ! », commente-t-elle sévèrement, manifestement plus inquiète de trains à l’heure que de l’efficacité de la politique anti-fraude.

« Vous savez, ce qui coûte plus cher, c’est toujours le coût humain », commente de son côté Martin, un médecin de 29 ans, qui doute du retour sur investissement de la lutte anti-fraude. « Vous croyez vraiment que tous ces contrôleurs rapportent tous un Smic chacun à la SNCF en amendes ?, martèle-t-il. Non, bien sûr que non : le contrôle permanent comme ça coûtera toujours plus cher ! »

Pour plusieurs dizaines de contrôleurs présents ce jour-là, l’argument de Martin semble faire mouche. « C’est plus compliqué que ça », répond la responsable des contrôleurs du Transilien (La Gazette a demandé mais n’a pu obtenir le coût humain de la lutte anti-fraude dans le secteur, Ndlr) : « La lutte anti-fraude a un impact indirect sur les fraudeurs. Les gens qui nous voient ne frauderont peut-être pas un autre jour… »

Police et SNCF interdépendants lors des contrôles

« Vous savez, on est dans une situation particulière. La fraude dans les transports, il y en a énormément, et c’est hallucinant : les gens fraudent devant nous sans aucune gêne ! », soupire l’un des policiers présent à l’opération de lutte contre les resquilleurs, organisée gare Saint-Lazare le mardi 23 octobre. Policiers et contrôleurs auraient en effet des difficultés face aux fraudeurs lorsqu’ils n’exercent pas en même temps.

« Pour intervenir, on a besoin d’avoir au moins une personne de la SNCF avec nous, sinon, on ne peut strictement rien faire », explique-t-il. A l’inverse, les contrôleurs « ne peuvent pas faire grand chose », lorsqu’un fraudeur n’a pas de papiers et ne peut justifier son identifié. « Si le gars veut me prendre pour un guignol, me donner un nom et une adresse bidons, je peux rien faire si ce n’est appeler la police », glisse un contrôleur, bien campé sur ses jambes écartées, les deux pouces à la ceinture.

« Ah oui, on est très souvent appelé, oui, vous n’avez pas idée ! » s’esclaffe l’un des policiers à quelques mètres de là. « Bon déjà, on y va au flair, je vais poser cinq fois la question de façon différente, si le type ne me donne pas le même code postal à chaque fois, où qu’il a l’air de trop réfléchir, c’est mal barré, décrit-il. S’il a l’air réglo, je vérifie l’adresse dans ma base de données et le tour est joué. »

« Mais allez, 95 % des gens, on sait immédiatement s’ils nous mentent, le problème, ce sont les 5 % restants, confie l’homme de la police avant d’avancer pour une opération de vérification d’identité. Honnêtement, il y en a qui sont très très forts, des excellents menteurs, c’est possible que certains nous baladent après, on n’est pas infaillibles. »