Antoine Deltour et l’affaire Luxleaks, Edward Snowden et les écoutes du renseignement américain figurent parmi les plus connus des lanceurs d’alerte contemporains. Mais ces personnes en possession d’un lourd secret se retrouvent bien souvent seuls face à leur entreprise, à la justice, ou à l’État. En France, la loi Sapin II, votée en décembre 2016, a créé un cadre pour protéger les lanceurs d’alerte, sans pour autant réellement sécuriser la personne qui souhaiterait en revendiquer le statut, a expliqué un avocat spécialisé venu dans les locaux de la CFDT situés dans le quartier d’affaires.

« On a fait une réunion d’info-droit pour les cadres sur ce sujet, indique Cyril Besombes, secrétaire général adjoint de l’union territoriale interprofessionnelle de l’Ouest parisien de la CFDT, d’une précédente session. Une soixantaine d’entre eux étaient présents, et ils souhaitaient se renseigner sur la démarche, les enjeux et les risques. » La CFDT-cadres milite notamment pour une évolution de l’alerte professionnelle, et l’élargissement de la reconnaissance législative de la protection du salarié lanceur d’alerte.

Olivier Bichet, associé spécialiste du droit du travail au sein du cabinet Altalexis, conseille aux quelques présents à la réunion « d’info-droit » tenue dans les locaux syndicaux de la CFDT ce lundi 16 octobre de ne pas se lancer seuls dans une telle démarche. « Avant de faire une alerte, il faut contacter un organisme spécialisé, le Défenseur des droits, Anticor (association de lutte contre la corruption des élus, Ndlr), ou un avocat pour cadrer et montrer le dossier, » recommande-t-il.

La loi Sapin II, entrée en vigueur en janvier dernier, resterait en effet assez évasive dans sa définition : « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit […], ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

Selon l’avocat présent ce soir-là, le quartier des affaires regorgerait de potentiels lanceurs d’alerte. « La Défense, c’est le cœur du système, de la machine décisionnelle, détaille-t-il. Les cadres sont dans les confidences, et c’est là que se génèrent les problèmes de comptabilité, de fabrication, de trafic d’influence des marchés publics, puisque ce sont beaucoup de sièges d’entreprises ».

La loi Sapin II exclut les informations et documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client. « Dès lors qu’on est lanceur d’alerte, on est protégé et on ne peut pas être licencié, mais il faut rentrer dans la définition, prévient Olivier Bichet. Et c’est ce qui est le plus compliqué ». La personne qui désire devenir lanceur d’alerte doit passer par plusieurs paliers : dans un premier temps, il faut signaler l’alerte directement à sa hiérarchie, ou par le biais d’un référent désigné par celle-ci.

« La Défense, c’est le cœur du système, de la machine décisionnelle, indique l’avocat spécialisé présent ce soir-là. Les cadres sont dans les confidences, et c’est là que se génèrent les problèmes. »

Cette première étape réalisée, selon la loi, en l’absence de « diligences » de la personne destinataire de l’alerte dans un délai de trois mois, le futur lanceur d’alerte peut alors se tourner vers l’autorité judiciaire, administrative, ou à son ordre professionnel. Enfin, si son signalement n’est pas traité dans un nouveau délai de trois mois, « le signalement peut être rendu public ».

« Qu’est ce que veut dire diligences ? Et si l’entreprise estime qu’il en fait une, mais que ça ne me convient pas, que ce n’est pas assez ?, questionne Olivier Bichet. Il y a un risque qu’avec tous ces délais, le salarié se retrouve mis à la porte dès le signalement de l’alerte, mais le temps de passer ces étapes pour qu’il soit reconnu comme lanceur d’alerte, cela peut prendre des années. »

Si les salariés doivent passer par des paliers pour répondre aux critères, alerter et se protéger, les grandes sociétés ont elles aussi des obligations. « Les entreprises de plus de 50 personnes, depuis janvier 2018, sont obligées d’avoir une procédure de recueil de signalements, et doivent avoir un référent interne à l’entreprise, désigné par l’employeur », précise l’avocat.

« Les gens doivent prendre conscience de leur responsabilité, qu’ils ont un pouvoir de police, encourage d’ailleurs ce spécialiste. Tout le monde a la possibilité d’alerter et d’être protégé, il faut seulement ne pas se lancer dans cette entreprise tout seul. » Depuis la promulgation de la loi créant le statut du lanceur d’alerte comme sa protection, l’avocat n’a cependant toujours pas vu observer de cas concrets de lanceur d’alerte, et donc pas plus de jurisprudence.

« Je pense que les gens ne connaissent pas encore bien la loi et ce qu’il existe, mais je pense aussi que la loi telle qu’elle est n’est pas non plus totalement sécurisante pour les gens qui la revendiquent », estime Olivier Bichet. « Le fait de devoir automatiquement passer par la case employeur pour signaler, ce n’est pas forcément évident », poursuit-il.

« Les salariés protégés (mandat au comité d’entreprise, ou délégué syndical, Ndlr), eux, ont une vraie protection contre le licenciement, ils ne peuvent pas être virés sans autorisation de l’État », note-t-il par ailleurs des représentants syndicaux. « Le fait que le lanceur d’alerte doit être une personne physique, cela signifie que ça exclut les syndicats, et que ce doit être individuel. Ils ne sont pas prévus dans la loi, alors qu’ils sont là pour ça », regrette-t-il cependant.