Ils sont retraités, salariés ou fonctionnaires. Comme dans bien des villes de France, ils forment depuis plusieurs années, à intervalles réguliers, un cercle pour exprimer publiquement mais en silence leur opposition au traitement légal et administratif des travailleurs et habitants présents irrégulièrement sur le territoire français. Ils étaient une quarantaine en 2012 à se retrouver à la Défense, mais ne sont plus maintenant qu’une dizaine de manifestants réguliers à se retrouver sur le parvis du quartier d’affaires, au milieu de salariés dont l’immense majorité ignore leur combat.

« On vient alerter les gens », explique Jean-Philippe Martin, qui travaille pour le ministère de l’écologie. Il est 12 h 15 sur la dalle et comme tous les troisièmes jeudis du mois, ils sont une poignée à s’être réunis pour manifester en silence en faveur d’une amélioration du traitement des sans-papiers. Après quelques minutes d’installation, le cercle, qui se composait à ses débuts de militants, est maintenant représenté par des pancartes installées en rond.

Les cercles de silence sont un évènement militant commencé en 2007 à Toulouse (Haute-Garonne), à l’initiative de moines de l’Eglise catholique, des frères franciscains, pour « protester contre l’enfermement systématique des sans-papiers dans les centres de rétention administrative en France ». Le mouvement, qui revendique à ce jour 180 cercles en France, semble cependant perdre peu à peu de son engouement à en juger par la désaffection croissante de celui de la Défense.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Les affiches, placées dans les interstices de la dalle ou sur le dos de militants transformés en hommes-sandwichs pour l’occasion, citent le premier article de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. D’autres appellent à un « traitement juste et digne des personnes sans-papiers ».

A l’heure du déjeuner, il y a foule sur la dalle piétonne, des salariés pressés avancent à vive allure, le nez rivé sur leur téléphone sans prêter attention à la manifestation. Une femme en tailleur glisse un regard au groupe tout en ouvrant un sandwich triangle. Le vent souffle, et renverse régulièrement les pancartes que les militants s’empressent de relever. Au pied d’une grande banderole, Bernadette Barran, 77 ans, tient du mieux qu’elle peut la barre qui la soutient.

« Je sais bien que certains peuvent penser que c’est une heure de perdue, argumente l’un des manifestants. Mais nous, on fait le pari que c’est une façon efficace d’interpeller les gens. »

« Moi, c’est les horaires qui me plaisent », glisse-t-elle. « J’ai des occupations, et à Sartrouville, c’est plus le soir, ça ne me convient pas », précise cette retraitée également investie dans une association de solidarité avec les travailleurs immigrés. Elle doit se répéter pour se faire comprendre sur la dalle, où les hauts-parleurs du festival Urban week n’ont cure de leur combat.

Les enceintes de l’évènement de street art installées dans le cadre du festival, juste à côté du cercle, font cracher leurs beats sur les passants. Entre deux mesures d’une chanson de Jennifer Lopez, la militante avoue ne pas savoir « si cela fonctionne », mais évoque « la courtoisie » de ceux qui prennent les tracts qui leur sont tendus.

« Je sais bien que certains peuvent penser que c’est une heure de perdue, argumente Jean-Philippe Martin. Mais nous, on fait le pari que c’est une façon efficace d’interpeller les gens. » Il poursuit en souriant : « Surtout à la Défense, on vit dans un monde où il faut aller vite, où il faut faire de l’argent, nous, on n’est pas dans la rentabilité, et cet écart, je trouve ça beau. » Il ne peut cependant que constater la diminution progressive du nombre de manifestants au fil de années.

« C’est vrai, on a un peu moins de succès, avant il y avait une forme de rejet de l’ère Sarkozy, et les cercles attiraient plus, analyse-t-il. Ensuite, il y a eu l’élection de Hollande, qui était quand même plus à gauche, ça a fait croire aux gens qu’il fallait moins s’engager. » Jean-Philippe s’arrête pour aller ramasser un panneau qui vient de se retrouver plaqué au sol par le vent :
« Et bon, après, il y a eu les attentats et puis la vague de migrants, ça a peut-être crispé les gens. » Jean-Paul Vanhoove, un ancien ingénieur de 73 ans, pointe de son côté, tout en distribuant des tracts, un vieillissement des militants engagés dans cette cause : « On n’arrive pas à transmettre le flambeau, nous les vieux, ça nous désole ».

Par contre, l’attitude des salariés de la Défense croisés lors de ces manifestations du jeudi midi aurait évolué, engendrant une pacification des rapports parfois ardus au lancement du cercle du quartier d’affaires. « Avant, on avait des gens qui nous interpellaient, parfois assez agressifs, se rappelle ce militant de la première heure des cercles de silence. Mais ce n’est plus vraiment le cas, maintenant. »