Ils étaient cinq sur la ligne de départ, fin juin dernier. Les voilà maintenant une vingtaine à s’affronter officiellement, depuis le 1er octobre dernier, dans le cadre du concours Cube d’économies d’énergies initié par l’Ifpeb, l’Institut français pour la Performance du Bâtiment (voir notre édition du mercredi 30 juin 2021). Propriétaires de tours ou entreprises locataires, ils sont plusieurs à avoir rejoint l’opération, qui vise à diminuer la consommation énergétique des bâtiments non résidentiels de la Défense, en encourageant salariés et usagers à adopter de meilleurs comportements.

Cette compétition nationale, qui s’offrira un lancement géant à la Paris la Défense Arena le 7 décembre prochain, est divisée en plusieurs ligues locales. Elle entend jouer les catalyseurs d’une pratique déjà ancrée dans les mentalités depuis près de dix ans maintenant dans le quartier d’affaires : l’immobilier de bureaux doit asseoir sa réputation en matière de respect de l’environnement. « Notre concours bat son plein, on attend près de 600 bâtiments participants dans toute la France, se réjouit Cédric Borel, directeur de l’Ifpeb. Le but du concours n’est pas d’attribuer une certification environnementale au
gagnant, mais de faire entrer dans la culture d’entreprise le respect de l’environnement ».

Sensibilisation du personnel, remplacement des luminaires par des LED, système de pilotage innovant du chauffage… Par de petits gestes et des améliorations techniques ne nécessitant pas de lourds investissements, Cube se veut « une opération coup de poing » pour préparer au mieux les entreprises de la Défense au décret tertiaire. Ce texte précisant les modalités de l’article 175 de la loi Elan, aussi appelé décret Éco Énergie tertiaire, est entré officiellement en vigueur le 1er octobre 2019. Mais, son application se veut étalée dans le temps, pour laisser la marge indispensable aux entreprises et possesseurs d’actifs immobiliers pour engager les moyens nécessaires au respect de ses exigences. Des exigences, qui vont conduire les tours du quartier d’affaires à une mutation certaine.

« C’est un texte majeur, parce qu’il impacte l’ensemble de l’industrie immobilière et va conduire l’ensemble des acteurs, propriétaires comme locataires, à réduire de façon drastique leur consommation énergétique », prévient Ludovic Chambe, du cabinet CBRE et auteur d’une étude sur l’immobilier responsable à la Défense. Le décret pose en effet plusieurs objectifs stricts de réductions de consommations énergétiques, ciblant les bâtiments tertiaires de plus de 1 000 mètres carrés : soit -40 % en 2030, -50 % en 2040 et -60% d’ici 2050 par rapport à une année de référence (année 2010 théorique).

« L’un des enjeux majeurs des prochaines mises à bail sera de savoir comment, dans les baux, sont réparties les responsabilités environnementales [le texte renvoie à la négociation entre les parties sur ce point, Ndrl], anticipe Ludovic Chambe. À mon sens, revient à la charge du propriétaire les installations techniques communes, tout autant que le “clos et couvert” [les murs et le toit, Ndrl]. Revient à la charge du locataire l’entretien de ses espaces privatifs et des installations techniques sur lesquelles il a la main ».

Peu d’exemptions seront accordées. Elles seront limitées aux édifices classés ou aux bâtiments dont les travaux d’ampleur nécessaires pourraient affecter la structure ou contrevenir au droit du sol, à celui de la propriété ou à la sécurité des biens et des personnes. Un critère économique peut aussi faire foi, celui d’un coût manifestement disproportionné par rapport aux bénéfices attendus. Tout contrevenant devra toutefois justifier du bien fondé de son inaction, sous peine de sanctions.

Celles-ci ne se montrent cependant pas très dissuasives. Ne pas se soumettre à la prochaine étape de la mise en application du décret, soit la déclaration avant octobre 2022 de ses consommations énergétiques sur la plateforme OPERAT, rattachée à l’ADEME (l’Agence de la transition écologique, Ndlr), n’expose les contrevenants qu’à 7 500 euros d’amende. « Aujourd’hui, le texte met surtout l’accent sur le risque de name & shame, soit un risque réputationnel. Les entreprises qui ne jouent pas le jeu verront leur nom révélé sur la plateforme de l’État ».

Une perspective peu glorieuse, alors que de plus en plus de grandes entreprises fondent une partie de leur stratégie RSE (responsabilité sociétale des entreprises) sur leurs progrès en termes d’écologie. Leur image de marque pourrait en pâtir, d’autant que les gestionnaires d’actifs immobiliers ont tout intérêt à se montrer bons élèves, quitte à engager un rénovation complète de leur tour.

La tour First est un bon exemple de rénovation réussie : elle a divisé par deux ses consommations d’énergie et par trois le carbone rejeté.

« Une rénovation est avant tout une opération de repositionnement patrimonial, rappelle plus cyniquement Cédric Borel. La tour First est un très bon exemple : elle a divisé par deux ses consommations d’énergie et par trois le carbone émis en travaillant sur les sources. Mais, l’idée pour financer ces travaux a été de rajouter des étages ».

Une opération gagnant-gagnant, qui évite au propriétaire de voir son bien victime d’obsolescence environnementale, ce qui se traduirait par une décote et un taux de vacance supérieur aux tours récentes. Pour éviter un pareil sort, les acteurs de l’immobilier du quartier d’affaires goûtent de plus en plus aux certifications environnementales, qui leur permettent d’afficher auprès de locataires de plus en plus sourcilleux leurs efforts en faveur de l’écologie.

Parmi les plus réclamées, les certifications anglo-saxones BREEAM et LEED, qui ont l’avantage d’être des points de références pour les clients étrangers. Mais, les Français ne sont pas en reste, avec le label NF HQE (pour Haute Qualité Environnementale), délivré par l’organisme Certivéa, filiale du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment).
« Nous avons créé nos certifications en 2006, mais c’est véritablement le Grenelle de l’environnement qui a donné un coup d’accélérateur aux démarches de certifications », explique Patrick Nossent, directeur de Certivéa.

« La certification HQE est leader en France et active dans 26 pays. C’est plus de 60 bâtiments neufs et rénovés que nous avons certifiés dans le périmètre de la Défense. Parmi les derniers, on trouve l’Archipel, futur siège de Vinci, Origine, la tour Saint-Gobain et Window, qui se trouve au-dessus des 4 temps ». Ces certifications, qui établissent des critères variés allant de la consommation d’énergies à la performance économique, en passant par la biodiversité ou le confort acoustique du bâti, peuvent aussi être prolongées après la construction ou la rénovation du bâtiment.

On parle alors de certifications en exploitation. Cœur Défense ou encore les bâtiments occupés par Axa derrière la Grande Arche, bénéficient par exemple de ces labels, qui garantissent le bon entretien des installations et les bonnes pratiques des usagers. « Il faut souligner que c’est une démarche volontaire, ce qui nous distingue des outils réglementaires, note Patrick Nossent. On fournit des logiciels d’auto-évaluation, des conseils techniques, mais c’est au demandeur de proposer des solutions techniques et architecturales pour répondre aux critères de la certification ».

Quelque soit la formule choisie, des contrôles réguliers sont opérés par « des auditeurs indépendants », nous garantit-on, afin d’éviter tout greenwashing (méthode trompeuse de communication jouant sur le supposé verdissement d’une marque, Ndrl). Car les organismes pourraient avoir un intérêt financier à délivrer à tour de bras des brevets factices, puisque qu’une certification peut rapporter 10 000 à 40 000 euros selon la taille du bâtiment à l’organisme. Le prix ne freine pas quant à lui l’engouement pour ces attestations. D’après l’étude CBRE citée plus haut et datée de 2020, 100 % des bureaux livrés à la Défense depuis 2010 bénéficient au moins d’une certification. Un phénomène qui finit même par modifier l’apparence du quartier.

« Pour baisser les dépenses énergétiques, il ne s’agit pas de jouer sur la température ou les débits d’air, mais de travailler sur l’isolation et la protection solaire, insiste Patrick Nossent. Car sur une tour à la Défense, il est aussi important d’évacuer le trop plein de chaleur que de chauffer l’hiver. Il faut donc réfléchir à l’orientation même du bâtiment. Vous avez peut-être remarqué la différenciation d’exposition des façades entre les anciennes et les nouvelles tours. Il n’y a plus de tours parfaitement symétriques parce que l’on suit une conception bio-climatique aujourd’hui ».

À côté des certifications, des labels se font aussi une place sur ce marché. Moins exigeant, l’éventail de leurs critères est plus restreint et se concentre seulement sur la connectivité, la consommation d’énergies ou le caractère bio-sourcé des matériaux de construction. L’origine et le bilan carbone des matériaux, qui vont d’ailleurs faire l’objet de plus en plus d’attention de la part des acteurs de l’immobilier, avec l’entrée en vigueur de la RE 2020, la nouvelle réglementation environnementale 2020 qui remplace la RT 2012.

Celle-ci, qui ne concerne que les nouvelles constructions à partir du 1er janvier 2022, entend limiter l’impact des composants du bâtiment, durant la totalité de leur cycle de vie, sur le changement climatique. Une nouveauté, qui pourrait limiter les constructions de nouvelles tours au profit de la rénovation des plus anciennes. L’impact des destructions / reconstructions est en tout cas suivi de près par les autorités.

Récemment, c’est la MRAe, la Mission régionale d’autorité environnementale qui pointait du doigt le projet de destruction des tours Miroirs dans un rapport (voir notre édition du mercredi 15 septembre 2021). Un avis qui liste un certain nombre de recommandations, plus ou moins contraignantes. « Il y a schématiquement deux autorités environnementales qui sont susceptibles d’intervenir dans le quartier de la Défense, relève Philippe Schmit, directeur de la MRAe d’Île-de-France. Soit le Conseil général de l’environnement et du développement durable, mobilisé lorsque le permis de construire relève du ministre et les MRAe, quand la décision revient au maire ».

« Le maître d’ouvrage n’est pas tenu de respecter scrupuleusement nos recommandations, mais in fine, le maire ou le préfet peuvent surseoir ou refuser la demande de permis de construire, s’ils estiment qu’il y a un risque pour l’environnement ». Autre danger pour l’instigateur du projet immobilier, les riverains ou les associations, friandes de ce genre de rapport et qui peuvent l’utiliser comme base pour un contentieux. D’autant que les compétences des MRAe, définies dans une directive européenne retranscrite dans le code de l’environnement français, sont vastes. Elles couvrent tant les risques sur la santé humaine, que sur le paysage. Soit autant de points d’achoppement possibles.

La Défense a des émissions équivalentes à celles d’une capitale régionale. Un tiers de l’empreinte carbone provient des travaux de construction quand 15 % est dû au fonctionnement des bâtiments, comme l’éclairage.

Face aux résolutions des acteurs privés en faveur de l’environnement, Paris la Défense a décidé de réagir. L’organisme public gestionnaire du quartier d’affaires, déjà soucieux d’augmenter la surface d’espaces verts sur le Parvis et l’Esplanade, vient de se fixer un objectif : devenir le premier quartier d’affaires post-carbone de dimension mondiale, en divisant par deux ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dépassant ainsi le seuil fixé par le décret tertiaire.

Dans un communiqué du 4 octobre 2021, le président de Paris la Défense Georges Siffredi, assure vouloir amorcer « une mutation profonde des procédés constructifs » et privilégier « le recours à des matériaux bio-sourcés » autour d’un projet d’éco-responsabilité. La Défense a « des émissions équivalentes à celles d’une capitale régionale alors que le territoire ne compte qu’environ 40 000 habitants ; un tiers de l’empreinte carbone résultant directement des travaux de construction », peut-on ainsi lire dans la déclaration établissant la nouvelle stratégie du territoire.

Pour inverser la tendance, Paris la Défense entend lancer « un appel à projets urbains innovants » dès le premier semestre 2022, avec en ligne de mire des propositions de projets innovants et exemplaires sur le plan de l’impact social et environnemental, censés repenser une sélection d’emprises foncières détenues en majeure partie par l’organisme public. À titre d’exemple, Paris la Défense souhaite se doter du premier immeuble tertiaire de grande hauteur de France possédant une structure en bois ; une tendance qui prend de l’ampleur en Scandinavie. Seront organisés sur le territoire les premiers États généraux de la transformation des tours en 2022.

« L’enjeu consistera à identifier les pistes d’évolution technique et réglementaire, mais aussi les nouveaux modes de partenariats entre l’aménageur et les opérateurs, qui permettront de passer enfin de la théorie à la pratique », souligne le communiqué. En outre, Paris la Défense entend orienter son plan d’investissement de 360 millions d’euros sur la période 2018-2027, « à l’aune d’ambitions environnementales ». Une reconversion des zones de stationnement devenues inutiles est également au programme pour l’année prochaine. Une mue qui se veut éclair, vers un quartier de la Défense de
l’environnement.

CREDITS PHOTOS : LA GAZETTE DE LA DEFENSE