Il y avait du sang un peu partout. À l’arrivée des policiers, le 26 juillet dernier dans le kebab Antalya de Clichy, il ne fait aucun doute. Un des clients, touché au flanc par un coup de cutter, ne peut être que dans un état grave. Pourtant, il est toujours debout, s’agite, continue de toiser et d’invectiver son agresseur reclus dans un coin de la pièce. Faute à la décharge d’adrénaline, qui a inondé ses veines après s’être fait planter ? Il finira par être évacué d’urgence à l’hôpital, son pronostic vital engagé.

C’est une victime tout aussi exaltée et volontiers acariâtre qui se présentera le 1er septembre dernier au Tribunal de grande instance de Nanterre, afin d’être fixée sur le sort de son agresseur. L’accusé, un égyptien en situation irrégulière, était employé au noir comme peintre en bâtiment sur un chantier, non loin du restaurant. Assisté d’un interprète, il va tenter d’éclaircir ce qui s’est passé en cette fin juillet pour qu’en plein déjeuner, il décide de poignarder un parfait inconnu.

« Sois tu manges, sois tu te casses ! Je mange ici tous les jours ». C’est par ces mots que le prévenu aurait envoyé sur les roses le client venu lui demander de baisser le son de la vidéo qu’il était en train de regarder, tout en dévorant un sandwich. Habitué de l’établissement, l’homme scotché devant le récap’ d’un match du championnat de foot égyptien n’aurait pas apprécié de se faire rappeler à l’ordre. Se sentant souverain dans sa cantine du midi, il pensait pouvoir faire comme chez lui.

Selon ses dires, le client aux oreilles incommodées aurait carrément exigé qu’il coupe purement et simplement son téléphone. Ce fut la goutte d’eau aux yeux du mal-élevé, qui s’empressera de refuser. Alors la victime lui aurait proposé d’aller s’expliquer dehors, l’invitant ainsi à en venir aux mains. Les deux bonhommes s’échauffent alors, mais restent à l’intérieur. Les versions auront divergé tout au long du procès sur le rôle précis de chacun dans la prise de bec entre les deux protagonistes.

« Nique ta mère, fils de pute, je te tue ! », lâchera l’agresseur au cours de l’altercation. « Nique ta mère, tu feras rien », lui répondra tout de go l’autre client, chauffé à blanc. Au beau milieu de ce dialogue de sourd, dit en langue arabe, l’accusé aurait sorti son cutter de la poche de son pantalon de peintre, après que l’autre homme l’ait menacé de lui fracasser une chaise sur la tête. L’ami de la victime tentera de séparer les deux bagarreurs. En récompense, il se fera taillader le poignet par l’assaillant.

Une plaie ouverte au flanc gauche atteindra la victime la plus sérieuse de l’affaire. « Ce sont mes côtes qui auront protégé mes organes », expliquera l’homme à la barre. Turbulent, ne supportant pas la contradiction, « épileptique » selon ses dires, il se montrera le plus souvent insupportable avec la présidente du tribunal. Comme il l’eut été avec les policiers qui auront pris sa déposition à l’hôpital. Son comportement à l’audience convaincra d’ailleurs la juge que la victime a joué un rôle actif dans sa dispute avec le prévenu, qui recevra en conséquence une peine allégée par rapport aux réquisitions du procureur.

C’est aussi l’axe que choisira l’avocat de l’accusé pour dédouaner son client. « Je remercie monsieur d’être venu aujourd’hui au tribunal », ironisera-t-il, s’appuyant sur son attitude à l’audience pour pointer du doigt un comportement « peu commun ». À l’en croire, son client, se sachant en situation irrégulière sur le territoire, en infériorité numérique et plus petit que la victime, aurait pris peur. Il aurait dégainé son cutter par réflexe, étant habitué à tirer l’outil de sa poche à longueur de journée sur son chantier.

« J’ignorais que la lame était sortie », assurera le prévenu, sans convaincre grand monde.
Photographié, son cutter ressemble à celui de tout un chacun, avec une sécurité empêchant tout accident. 08.

Le prévenu était donc pourvu des pires intentions au moment des faits. Son avocat ne plaidera d’ailleurs pas la légitime défense. Il récoltera un an de prison, dont huit mois avec sursis assortis d’une interdiction de territoire pour dix ans, qui s’ajoutent à l’injonction précédemment formulée par les forces de police de quitter la France.

CRÉDIT PHOTO : ILLUSTRATION / LA GAZETTE DE LA DÉFENSE