En apercevant les nombreuses ­terrasses dressées dans le quartier d’affaires de la Défense comme partout dans le pays, chacun a eu, de près ou de loin, un petit sourire de satisfaction au coin des lèvres. Le mercredi 19 mai 2021 marquera le jour de la réouverture officielle des terrasses des bars et restaurants, prévue par le gouvernement dans son plan de déconfinement.

Lors de cette semaine de réouverture, il régnait une ambiance conviviale, chaleureuse dans le quartier d’affaires de la Défense, chacun ­- restaurateur comme client – était heureux de retrouver l’autre après pratiquement sept mois de fermeture. La jauge imposée de 50 % des capacités d’accueil jusqu’au 9 juin et le temps pluvieux n’ont pas dissuadé les habitués de l’entrecôte, frites de s’installer en terrasse.

Du côté des restaurateurs, malgré un emballement général et la ­satisfaction d’avoir pu reprendre du service, des doutes subsistent ­encore vis-à-vis des aides versées par l’État durant la crise sanitaire.

La difficulté de recruter un personnel déjà formé, notamment au protocole sanitaire, est également un sujet épineux pour les professionnels, qui sont néanmoins satisfaits des ­solutions trouvées pour l’extension des terrasses.

« On travaille à la Défense et nous étions coutumiers des déjeuners le midi, raconte bière à la main, Thomas, un habitué de la brasserie Les Gentlemen, située derrière la Grande Arche. On est heureux de ­revenir voir les restaurateurs. » Une joie forcément réciproque pour Pierre Amagat, directeur de l’établissement, qui n’a jamais servi autant de pintes que depuis quelques heures. « On a presque affiché complet sur nos 120 couverts à l’extérieur. Malgré le temps, c’est une belle réouverture. On est très heureux ».

Pour répondre au protocole sanitaire, les professionnels doivent respecter une distanciation entre les tables, y présenter du gel hydroalcoolique sur toutes, et ne pas autoriser les tablées de plus de six convives. La jauge de 50 % en terrasse sera levée le 9 juin, avec également l’ouverture des salles intérieures, à 50 %. Travailleurs comme habitants, touristes ou encore étudiants, ils étaient nombreux à vouloir s’installer pour partager un bon moment. « C’est la libération, on a fini les partiels et on a maintenant du temps pour profiter après une année particulièrement pénible », s’exclame Éloïse au milieu de ses amis.

Pierre Amagat, directeur de l’établissement Les Gentlemen se réjouit de réouverture : « On a presque affiché complet sur nos 120 couverts à l’extérieur. Malgré le temps, c’est une belle réouverture. On est très heureux ».

Pour les restaurateurs, il a vite fallu se remettre dans le bain, en plus de la préparation de la réouverture : « Hier (jeudi 20 mai, Ndlr), le rythme a été particulièrement soutenu », confie Alexandre Ringer, le directeur du nouveau restaurant de Table Square Les 3 Brasseurs.

Son restaurant Les 3 Brasseurs, ­propose une carte alléchante de plats à consonance nordiste, et surtout des bières fabriquées sur place, par un brasseur attitré. Son directeur a également choisi de n’ouvrir sa salle de restaurant de 300 personnes (150 à jauge réduite) que le 15 juin, au lieu du 9 juin comme le calendrier des réouvertures le permet.

« Nous, on fait du service à table et j’ai décidé d’ouvrir la salle que le 15 juin parce que j’ai recruté beaucoup de personnes, mais j’ai besoin qu’elles soient parfaitement formées, explique-t-il. Donc je travaille avec Pôle emploi, et on a fait intégrer mes futurs salariés dans une formation qui leur permet de continuer d’être rémunérés par Pôle emploi. » Un partenariat qui permet l’allégement des coûts en termes de masse salariale, mais aussi la formation complète de salariés qui n’ont jamais travaillé dans la restauration.

Si le directeur de l’établissement s’est adapté, la problématique du recrutement du personnel n’est pas étrangère à son voisin, Michael Da Silva, co-fondateur du restaurant Measea, spécialisé dans la street food de la mer, également sur Table Square. « Il n’est pas évident de trouver du nouveau personnel car beaucoup ont quitté le secteur de la restauration avec la crise sanitaire. On n’a mis personne à la porte chez nous, mais on était forcément en équipe réduite. Aujourd’hui, on est dans une phase de recrutement parce qu’on anticipe une saison d’été intense. »

Au fil de l’itinérance au cœur du quartier d’affaires, les odeurs diverses et variées mènent sur la terrasse du restaurant japonais Koedo de Table Square. Dans ce restaurant où uniquement des ­Japonais cuisinent des ­produits frais, la clientèle était aussi au ­rendez-vous le 19 mai.

Tôt le matin, des fidèles accompagnaient déjà leur thé avec l’un des plats typiques de l’établissement, le fameux bentos de poisson escorté de son riz. Heureuse de retrouver ses habitués, sa directrice, Esther Miquel, s’étend rapidement sur les difficultés rencontrées durant la longue période de fermeture, et sur la différence de traitement qu’elle pense subir au niveau des aides financières apportées par le gouvernement.

« Il y a un sujet qui me fâche énormément, s’indigne-t-elle, je suis déjà allée manifester deux fois à l’Élysée. En fait, j’ai quatre restaurants, et lorsque j’ai ouvert celui-là en 2020, je l’ai associé aux autres, pour me permettre d’interagir entre mes quatre restaurants légalement, de basculer à ma guise un de mes salariés dans un autre restaurant ainsi que ma marchandise par exemple. » Ce que reproche Esther Miquel, c’est que les aides gouvernementales se rapportent aux chiffres d’affaires de ses autres points de vente, et ne prenant pas en compte l’investissement consenti dans son restaurant ouvert en 2020.

Une véritable injustice pour cette patronne, qui affirme avoir investi 800 000 euros dans cette affaire et avoir 550 000 euros de pertes de chiffre d’affaires. Contacté par la Gazette de la Défense, la porte-parole d’Alain Griset, le secrétaire d’État chargé des PME, revient sur cette situation. « Cette dame peut bénéficier du prêt garanti par l’État (PGE), de l’activité partielle et de l’exonération de charges. Sur les dispositifs massifs mis en place par l’État, elle en bénéficie quand même de trois. »

« Le PGE, c’est l’une des seules aides que j’ai reçues, confirme la restauratrice. Moi, ce restaurant, c’est toute ma vie, et en plus il fonctionne. Sur les 90 000 euros d’aides que j’aurais dû recevoir, je n’ai eu que 43 000 euros. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ? »

Pour venir en aide aux restaurateurs, le bailleur de Table Square, Urban Renaissance, a mis en place des dispositifs de gèle des loyers en 2020. « En tant que bailleur, on consent des grosses aides à nos locataires, avec des annulations de redevances de loyer, explique son directeur général Jocelyn Berthier. On attend aussi un décret du gouvernement qui viendrait en aide aux restaurateurs qui n’étaient pas éligibles aux aides… […] Nous même, et alors que nous sommes tous solidaires, nous n’avons pas encore trouvé d’accord avec notre bailleur, Paris la Défense (l’organisme de gestion du quartier d’affaires, Nldr). »

Des aides justement, certains en ont utilisées pour faire des travaux dans leur établissement. Quitte à s’endetter davantage. C’est le cas de Charbel El Hayek, directeur du restaurant libanais Beiti, situé dans le quartier Michelet : « Ce fut très long, mais on a réussi à récupérer des aides de l’État, explique-t-il. Pour nous, c’était aussi le moment idéal de faire des travaux, quitte à s’endetter et à prendre des crédits supplémentaires. »

Heureux de pouvoir enfin travailler, les professionnels du métier attendent désormais avec impatience la date du 9 juin pour augmenter leur capacité d’accueil.

Avant la date du 9 juin et donc l’ouverture partielle des salles intérieures, seules les terrasses extérieures sont autorisées. Alors que certains bars et restaurants disposaient déjà d’une surface importante, d’autres ont dû étendre la leur pour ne pas que cette réouverture ne se transforme en un cauchemar financier. « J’avais de toute façon prévu de louer un nouvel espace pour ma terrasse, poursuit le directeur du restaurant libanais Beiti. Mais, Paris la Défense nous autorise, dans le respect des circulations des piétons et des vélos, d’étendre un peu notre terrasse. Il font aussi un geste important ; jusqu’à la fin juin, on ne paie pas. »

Les municipalités se sont aussi mobilisées pour aider à la reprise du secteur. C’est le cas par exemple à Courbevoie, où la Ville a décidé d’exonérer de taxe terrasse tous les restaurateurs, bars et cafés sur l’ensemble de l’année 2021. « A partir du 10 mai, on a créé des terrasses pour ceux qui n’en avaient pas, gratuitement et temporairement jusqu’à la fin du mois d’octobre, souligne David Brexel, conseiller municipal en charge du commerce à Courbevoie. Cela représente un coût d’environ 180 000 euros à l’année, mais ça n’affectera pas le budget consacré aux commerces. »

Malgré tous les efforts, certains restaurants n’ont eux pas encore ouvert. Certains poursuivent la vente en livraison, comme les nombreux restaurants du centre commercial Westfield Les 4 Temps, qui ne bénéficient pas de terrasse. D’autres ont jugé l’adaptation trop difficile pour faire leur réouverture le 19 mai.

« Malheureusement, il y a un restaurant qui ne rouvre pas, confesse Jocelyn Berthier, bailleur de Table Square. C’est celui à l’étage du bâtiment principal : The Table. Il va attendre le 9 juin, bien qu’il ait une petite terrasse devant, sa cuisine est un peu plus compliquée et c’est du service à table, pas du snacking. » Un choix de raison, quand d’autres ont choisi le choix du cœur, et surtout l’impatience de retrouver la clientèle.

C’est avec une grande satisfaction, beaucoup de sourires, mais aussi quelques interrogations que la ­semaine de réouverture s’est conclue. Heureux de pouvoir enfin travailler, les professionnels du métier ­attendent désormais avec impatience la date du 9 juin pour augmenter leur capacité d’accueil et étendre leur ­service grâce au couvre-feu décalé à 23 heures. Habitués, curieux, étudiants, travailleurs, si on ne devait retenir qu’une réaction des clients interrogés, elle serait : « enfin ». Et surtout : « vivement la suite ».

CRÉDITS PHOTOS : LA GAZETTE DE LA DÉFENSE