Le calice jusqu’à la lie. Après presque deux ans de mesures sanitaires plus handicapantes les unes que les autres, la pandémie de Covid-19 a une nouvelle fois porté un coup de massue sur le secteur de la restauration. Le variant Omicron rebat en effet les cartes, avec des chiffres de contamination jamais vus auparavant.

Pour endiguer la flambée épidémique, le Gouvernement a misé, à la fin du mois de décembre, sur le retour massif au télétravail. Si cette mesure fait chanceler l’ensemble des restaurateurs du pays, elle a un impact particulier dans le quartier d’affaires de La Défense, où la clientèle est essentiellement composée de salariés des tours.

Entre deux services, Fadila et Esther ruminent. La première est à la tête de la crêperie Chez Loulou, au cours Michelet. La seconde tient le restaurant japonais Koedo, dans l’ensemble Table Square. Pour faire face à cette situation devenue invivable, elles ont rejoint le collectif des restaurateurs de la Défense, créé en ce mois de janvier. « On se battait chacun dans notre coin avec la même problématique, raconte Fadila. Donc on s’est dit qu’à plusieurs, on pourrait être plus forts, et enfin se faire entendre. On n’a pas l’habitude d’avoir des aides ou de quémander. Mais là, on doit faire appel. C’est vital ».

Aujourd’hui, la situation des restaurateurs du quartier d’affaires est encore plus dramatique que lors des périodes de couvre-feu et de confinement. Car après deux ans à « bouffer la trésorerie », la quasi-totalité de leur clientèle ne répond plus présent. « On était déjà tellement pliés, qu’en rajoutant une plume sur notre dos, on a fini par rompre, constate la restauratrice. En temps normal, être restaurateur, c’est déjà difficile. Mais si l’activité avait pu reprendre, on aurait pu se relever. À chaque nouvelle mesure, notre chiffre d’affaires chute ».

Après s’être pliés aux masques, aux plexiglas, aux jauges et au contrôle du passe sanitaire, voilà que les professionnels de la restauration se voient asséner le coup de grâce avec l’instauration du télétravail.

S’ils se serraient les coudes et espéraient voir revenir des journées bien remplies, les entreprises du quartier d’affaires font le choix du travail à distance. Mais croire que ce n’est qu’une solution temporaire est une illusion : de nombreuses structures ont signé un accord pour pérenniser ces trois, voire quatre jours de télétravail par semaine (voir notre précédente édition). De quoi éteindre pour de bon tout espoir d’embellie. « Maintenant, on sait que les gens ne reviendront pas, on sait que ça va durer, fulmine Esther. On ne voit pas la lumière au bout du tunnel. Et je suis sûre que quand on la verra, d’autres problèmes viendront à nous ».

La pandémie a également exacerbé d’autres problématiques qui, aujourd’hui, menacent les restaurateurs. Leurs loyers ont été calculés selon le taux d’occupation du quartier d’affaires, à une période où ce dernier grouillait de monde. Depuis, les tours se vident, ce qui entraîne une chute du prix des bureaux. Mais dans le même temps, le loyer des restaurants reste le même. « C’est un problème qui pèse très lourd, avoue Fadila. Aujourd’hui, on n’est plus en mesure de payer, on est en train de mourir petit à petit ».

« Il faut se mettre autour d’une table avec les bailleurs pour réviser tout ça, enchérit Esther. Mais on ne peut pas avoir gain de cause face à quelqu’un qui ne répond pas. Ils vont perdre des restaurateurs qui mettent leurs tripes et leur savoir-faire à l’œuvre.
Ce n’est plus du moyen terme ».

À cela s’ajoutent des chantiers à répétition et une augmentation générale des tarifs, que ce soit l’électricité, les taxes et même les livraisons, notamment pour les restaurateurs qui privilégient les produits frais en circuit court. Et pour riposter face au télétravail et à l’absence de clients, les services de livraison n’apparaissent pas comme une solution viable. « Uber Eats et Deliveroo prennent 30 % de commission sur chaque commande. C’est impossible. L’autre problème, c’est qu’aujourd’hui, 80 % des clients font des réclamations parce que le plat est arrivé froid, ou mou. Ce qui fait qu’au final, on n’est pas payé. En attendant, nous, on a sorti la marchandise ! De plus, ça nous fait du mauvais bouche-à-oreille ».

Pour faire face à cette situation devenue invivable, Fadila et Esther ont rejoint le collectif des restaurateurs de La Défense, créé en ce mois de janvier.

Les restaurants ne sont pas les seuls à subir de plein fouet la mutation du quartier d’affaires. À quelques mètres de là, à l’Apogé, dans la galerie de l’esplanade, Christophe ronge son frein. En début d’année, le caviste, lui aussi membre du collectif des restaurateurs, mise sur les cérémonies de vœux et événements en tout genre. Mais en même temps que la généralisation du télétravail, le Gouvernement y a coupé court. « Cela représente la majeure partie de notre activité de début décembre à fin janvier, souligne-t-il. Avec les nouvelles mesures, on est passé de deux événements par soir à zéro ».

Si son activité de restauration est totalement mise de côté, Christophe se console avec les cadeaux d’entreprise, les particuliers et la livraison, qui a augmenté avec la pandémie. « C’est vrai qu’une partie de mes activités a permis de réduire l’impact, tempère-t-il.
Mais on reste dans une période de flottement très difficile. Certains jours, quand on voit l’activité sur la dalle, on se croirait en plein confinement. C’est le même sentiment qu’il y a deux ans. La fréquentation est en chute libre, et il est impossible de savoir comment ça va se passer sur le long terme ».

Le long terme, justement, préoccupe également l’équipe du Corcoran’s, pub irlandais situé à deux pas de la Paris La Défense Arena. Si l’établissement misait énormément sur les afterwork et les repas du midi, ils se retrouvent aujourd’hui avec une activité réduite de moitié.

« On travaillait bien jusqu’au 13 décembre, puis c’est descendu en flèche, soupire Mila derrière son bar. Ça bouge beaucoup moins, on ferme beaucoup plus tôt depuis plusieurs semaines. Avec le couvre-feu on travaillait bien le midi, c’était moins compliqué qu’aujourd’hui, même si les gens ne pouvaient pas venir le soir ». En réponse à cette énième difficulté, le staff a décidé d’ouvrir le dimanche, le seul jour de fermeture habituel. Avec un objectif : se tourner vers les habitants du quartier, en l’absence des salariés.
« Il y a de nouveaux quartiers qui se développent aux alentours, on doit miser là-dessus », conclut Mila.

Quelles solutions pour sortir la tête de l’eau ? Le collectif des restaurateurs de La Défense, par la voix d’Élisabeth Astruc – patronne du Bistro du Faubourg à l’origine de l’initiative – et de tous ses membres, fait valoir des revendications pour entamer le dialogue. Avec en priorité, la baisse des loyers ou sa fixation par rapport au chiffre d’affaires, l’instauration du chômage partiel à 100 % avec exonération totale de charge, et l’ouverture d’un fonds de solidarité. Sans quoi les restaurateurs pourraient « ne pas survivre au mois de janvier ».

Mardi 18 janvier, le premier ministre Jean Castex a annoncé un élargissement des aides pour les hôtels, cafés et restaurants. En fonction du chiffres d’affaires et des pertes des établissements, les entreprises pourront être aidés et accompagnés pour payer leurs cotisations ou leurs charges salariales.

CREDITS PHOTOS : LA GAZETTE DE LA DEFENSE/ELISABETH ASTRUC/LA BISTRO DU FAUBOURG