« J’espère que ce sera revenu avant les pathologies hivernales ! », s’alarme une pharmacienne de la Défense installée à proximité de la tour First, côté Courbevoie. Comme tous ses confrères, elle doit faire face à de multiples ruptures de stocks de médicaments, alors que la rentrée est à peine passée. Tout l’été déjà, des traitements n’ont pas été disponibles pour les patients, obligés de contacter plusieurs pharmacies avant de trouver de quoi se soigner. Les hôpitaux sont eux aussi touchés, bien qu’ils soient prioritaires et qu’ils aient appris à faire avec leurs difficultés de plus en plus fréquentes.

Les officines de ville blâment leurs grossistes et estiment qu’il est difficile de savoir quand les stocks reviendront à la normale. Les grossistes, quant à eux, estiment que les ruptures sont pour la plupart dues à des problèmes techniques au sein des laboratoires ou de leurs sous-traitants, qui communiquent peu. L’État, lui, impute directement ces manques croissants aux grossistes qui favoriseraient d’autres pays payant plus cher que le tarif négocié en France pour les médicaments.

« Les pauvres, ils souffrent et on ne peut pas subvenir à leurs besoins », soupire une pharmacienne dans son officine proche de la tour Adria. Depuis plusieurs semaines, elle ne peut pas fournir certains antibiotiques utilisés pour les chimiothérapies. Les anti-inflammatoires contenant de la cortisone manquent aussi à l’appel. « On ne passe pas pour des professionnels, se désole-t-elle. Mais on n’y peut rien. »

« On n’a aucune date de retour et aucune info », déplore-t-elle alors qu’elle manque aussi de traitements aux hormones comme le Lutéran, ou les pilules contraceptives à base de progestérone. Les vaccins contre les hépatites A et B, indispensables pour les personnes prévoyant de voyager hors de l’Union européenne, sont aussi indisponibles, tout comme le Clarelux, utilisé dans le traitement du psoriasis. Installée près de la tour First, une pharmacienne constate également des délais plus longs que la normale après ses commandes.

Malgré les multiples sollicitations de La Gazette, aucun laboratoire concerné n’a souhaité répondre, bien qu’ils aient cet été parfois communiqué sur des médicaments spécifiques. Pourtant, selon la Chambre syndicale de répartition pharmaceutique (CSRP), ils seraient en bonne place pour apporter des éléments de réponse sur cette question des ruptures de stocks de médicaments, posée par de plus en plus de patients comme de professionnels.

Pour les corticoïdes, « c’est un problème industriel », explique son délégué général Emmanuel Déchin, qui précise qu’il n’y a qu’un seul fabricant. Les médicaments sont souvent fabriqués dans une même usine, hors de l’Europe dans la majorité des cas, expose-t-il : « Il suffit d’un grain de sable pour que la machine se grippe. » Mais se veut rassurant : « C’est en train de revenir à la normale », assure-t-il à propos des corticoïdes.

Au début de l’été, l’administration alertait d’ailleurs sur un risque de tension fort. Les laboratoires s’étaient « engagés à procéder dans les meilleurs délais à des importations de spécialités équivalentes », indiquait 20 Minutes. Pourtant, les corticoïdes comme les traitements de substitution sont tout de même venus à manquer.

En mai dernier, la radio Europe 1 revenait ainsi sur une rupture de stocks mondiale du Sinemet, un traitement anti-Parkinson. « L’usine située aux Etats-Unis a dû fermer pour se mettre aux normes, étant la seule au monde, le marché mondial a été impacté pendant de longs mois. » En France, le laboratoire MSD avait d’ailleurs été lourdement sanctionné financièrement, de plus de 340 000 euros, par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

L’agence d’Etat estimait en effet que le laboratoire n’avait pas tout mis en œuvre pour les patients. « La source de la multiplication des cas de pénurie vient de la recherche d’une maximisation des profits par les groupes pharmaceutiques qui les a amenés à délocaliser la production du composant actif », a quant à elle dénoncé sur France 24 Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse à l’université Paris XIII.

« Il y a toujours eu des ruptures », assure le CSRP. Emmanuel Déchin concède tout de même que « le nombre de signalements à l’ANSM a augmenté très significativement » ces dernier mois. « Les ruptures sont parfois courtes, grâce à nos stocks de 15 jours que la loi nous oblige à avoir ». Parfois même, « vous ne les voyez pas », se félicite-t-il.

Des ruptures se font sentir pour les traitements aux hormones comme le Lutéran, ou les pilules contraceptives à base de progestérone, le Clarelux, utilisé dans le traitement du psoriasis.

« Les ruptures viennent des grossistes », estime pourtant de son côté la pharmacienne courbevoisienne. Le diagnostic semble partagé par l’État. En mai dernier, l’ANSM sanctionnait cinq de ces sociétés (non adhérentes au CSRP), aussi appelées short-liners. Ils étaient accusés de ne pas avoir respecté le fameux stock de 15 jours obligatoires, et pointés du doigt par le directeur de l’institution française pour avoir acheté des médicaments à moindre coût en France afin de les revendre à l’étranger. Au total, ces cinq grossistes, dont l’ANSM a tu le nom, ont reçu une sanction financière totale de 480 500 euros.

Les pharmacies ne sont d’ailleurs pas les seules concernées, ces ruptures de stocks touchant aussi les hôpitaux. « On a des stocks faibles, on est en difficulté », explique Sophie Le Poole, pharmacienne du centre hospitalier des Rives de Seine : « C’est le quotidien de tout le monde dans la santé, estime-t-elle. Ça va rester comme ça à mon avis. »

Cependant, aucune crainte pour les patients, poursuit-elle. « Ça nous prend énormément de temps », détaille la spécialiste des recherches de solutions de substitution : « On ne laisse jamais un patient sans réponse. » Pour pallier cette difficulté, médecins et pharmaciens travaillent très étroitement et examinent chaque traitement. « On travaille aussi sur les bons usages » concernant les antibiotiques, les génériques et les substitutions possibles.

« La situation est un peu moins critique qu’en ville », temporise Sophie Sabin, du Centre d’accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre. Le risque d’interruption de traitement serait même « mineur » selon elle. « Le risque existe depuis plusieurs années, nous sommes habitués », estime-t-elle.

Là aussi, pharmaciens et médecins « jouent sur les prescriptions » et organisent « un travail accru » entre leurs services. De plus, lors de telles ruptures, les hôpitaux seraient autorisés à se fournir « en dehors des marchés habituels », pour éviter toute situation dans laquelle les médecins ne seraient pas en mesure de soigner un patient. « Cela a des incidences au niveau économique, analyse Sophie Sabin, mais le risque d’interruption de traitement est minime ».

Pour elle, le problème se situe surtout au niveau de la « continuité des soins », lorsque le patient soigné à l’hôpital en sort avec une ordonnance pour continuer à se soigner « en ville ». Là, comme beaucoup, il devra parcourir les pharmacies avant d’enfin trouver le traitement adéquat. Selon un professionnel de santé interrogé, seuls les cas rarissimes de « force majeure » peuvent se voir founir leur traitement par un hôpital alors qu’ils n’y sont pas admis.

Bien qu’en difficulté, les hôpitaux semblent donc privilégiés face à la recrudescence des ruptures de stocks. Les pharmacies, de leur côté, subissent de plein fouet les faibles distributions. « Gênée » face à des clients qu’elle ne peut pas aider, la pharmacienne installée près de la tour First s’inquiète. « Forcément, quand on a une ordonnance où il y a cinq médicaments et où on ne peut en fournir que deux, on le ressent sur les ventes », constate-t-elle par ailleurs.

Pour les patients une seule solution : chercher et contacter une par une les pharmacies en quête d’un traitement disponible. « Nous travaillons aussi avec les médecins », poursuit la pharmacienne courbevoisienne. Ainsi, il est parfois possible d’avoir un traitement identique en générique, ou inversement. « On jongle, on fait ce que l’on peut », rapporte-t-elle un peu démunie. « Il n’y a pas de volonté d’organiser » un retour à la normale, se désole quant à elle une autre professionnelle de santé des Hauts-de-Seine, jugeant les mesures et amendes infligées par les pouvoirs publics pas assez efficaces à son goût.