Nouvelle étape dans la querelle qui oppose la direction de la branche française de la société parapétrolière TechnipFMC et ses syndicats. L’entreprise, assignée en justice par la CFDT et la CGT, avait été mise en demeure par l’inspection du travail, en juin dernier, pour « non-respect du principe général de prévention d’évaluation » des risques psychosociaux. Les représentants du personnel dénonçaient depuis plusieurs années des suicides et burn-out liés à l’ambiance dans l’entreprise, causée selon eux par des résultats en berne puis par la fusion avec FMC.

En début d’année, la direction du groupe parapétrolier se montrait plutôt confiante. Mais la médiation entre les deux parties s’est soldée par un échec, envoyant tout le monde au tribunal pour plaider leur cause le 5 février dernier. Les juges du Tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre ont tranché : TechnipFMC doit verser au total 5 500 euros répartis entre CFDT, CGT, mais aussi au Comité d’établissement (CE) et au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’entreprise.

Si la somme est bien loin des 600 000 euros demandés par les représentants du personnel, ceux-ci s’estiment tout de même satisfaits et qualifient le jugement de « première victoire ». Le TGI de Nanterre ordonne à l’entreprise de respecter ses obligations en matière de sécurité et de prévention des risques psychosociaux. Pour la direction, la décision démontre qu’il n’y a pas de manquement à l’obligation de Technip France « de sécurité et de prévention dans les domaines du droit à la déconnexion, le contrôle du temps de travail et des trajets inhabituels », déclare l’entreprise à La Gazette.

Le jugement du TGI de Nanterre du 23 mai, que s’est procuré La Gazette, stipule que le tribunal ordonne la société Technip France à procéder notamment à une « évaluation globale des risques psychosociaux au niveau de chaque division » et de « réviser le document unique d’évaluation des risques professionnels afin d’y faire figurer les moyens financiers, techniques et humains consacrés ». Il exige également de « procéder systématiquement » avant « chaque projet de réorganisation » à une « évaluation de l’impact de ce projet sur l’état de santé mentale des salariés ».

Au cœur de l’affaire, plusieurs événements tragiques survenus depuis 2015 dans l’entreprise, liés selon les représentants du personnel à la mauvaise santé du groupe français, puis depuis 2017 à une fusion compliquée avec son homologue américain FMC. Une salariée a tenté de mettre fin à ses jours sur le lieu de travail, et trois suicides de salariés ont eu lieu en 2015, 2016 et 2017. Après des dizaines d’enquêtes et rapports portant sur les risques psychosociaux auxquels étaient exposés les salariés, TechnipFMC était mise en demeure le 25 juin dernier par l’inspection du travail.

Lors de l’audience du 4 septembre, le TGI de Nanterre avait désigné une médiatrice judiciaire à la demande de la direction, pour qu’un dialogue s’installe entre la hiérarchie et les représentants syndicaux des salariés de l’entreprise. L’échec de cette médiation avait amené les deux parties à un procès dont l’audience s’est tenue le 5 février dernier.

« On a fait des demandes précises, explique Christophe Héraud, délégué syndical central CFDT (syndicat majoritaire depuis décembre 2016, Ndlr). On voulait que l’entreprise mette en place le document unique [portant sur les risques psychosociaux], et on l’a obtenu, mais aussi que lorsqu’il y a une réorganisation ou un projet qui peut impacter sur la santé des salariés, que la société évalue les impacts. » Il regrette cependant que la somme demandée par le TGI ne soit pas assortie d’astreintes en cas de manquement.

Surtout, pour le syndicaliste, le principal bémol résiderait sur les aspects liés au temps de travail, à la compensation des temps de trajet et au droit à la déconnexion. « La direction s’en sort bien, parce qu’ils argumentent qu’ils ont ouvert les négociations », regrette-t-il. En effet, le TGI « constate que la société Technip France justifie de l’engagement de négociations collectives qui sont en cours ou sont d’ores et déjà programmées sur le droit à la déconnexion, la compensation des trajets inhabituels, la mise en place d’un dispositif de contrôle du temps de travail… ».

« L’entreprise révisera son document unique afin d’y faire figurer les moyens financiers, techniques et humains consacrés à la mise en place de chaque action de prévention, commente la direction de Technip France. Elle poursuit sa démarche en faveur de la santé, de la sécurité et du bien-être de ses collaborateurs, priorité constante de l’entreprise. »

« Le tribunal a invité les parties à privilégier le dialogue et la négociation, précise Christophe Belorgeot, vice-président en charge de la communication. Technip France s’inscrit parfaitement dans cette démarche, dans l’intérêt de l’ensemble de ses salariés et voit ici une nouvelle opportunité pour relancer la dynamique de dialogue social, dans la confiance et la loyauté. »

Ouverture d’une information judiciaire sur les suicides

Plusieurs suicides sont survenus depuis 2015 chez TechnipFMC : une salariée a tenté de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail, et trois suicides de salariés ont eu lieu en 2015, 2016 et 2017. Lundi 20 mai, le parquet de Nanterre a ouvert une information judiciaire sur les trois suicides sur des faits d’homicide involontaire et de harcèlement moral, information révélée par l’Obs en mai.

« Dans cette affaire confiée à une juge d’instruction, deux cas de suicides ont fait l’objet de signalements par l’Inspection du travail, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, précise Christophe Héraud, délégué central CFDT chez Technip France. Le troisième cas, survenu en Chine, a été joint au dossier après la saisine directe de la famille du défunt. »

S’il se félicite de cette ouverture d’information judiciaire, il regrette qu’elle n’ait pas été prise plus tôt. « Pour les familles c’est important, c’est quelque chose qu’ils attendent, et ça étaye aussi le fait que c’est du sérieux », analyse-t-il. Sollicitée, la direction du groupe parapétrolier n’a pas souhaité faire de commentaire.