La ligne 15 Ouest du Grand Paris express, censée relier les stations Saint-Denis Pleyel et Pont de Sèvres en passant par l’Ouest francilien, pourra-t-elle être mise en service en 2030 comme annoncé depuis une décennie ? La bombe est venue du Canard Enchaîné, mercredi 27 février : la gare du supermétro prévue sous le centre commercial des 4 Temps, sœur jumelle de celle du RER E actuellement creusée sous le Cnit, nécessitera 17 ans de travaux selon les évaluations de la Société du Grand Paris (SGP), chargée du Grand Paris express.

Sollicitée par La Gazette, l’institution reconnaît la validité des informations révélées par l’hebdomadaire satirique. La SGP envisage désormais de décaler la gare du supermétro de plusieurs centaines de mètres, sans préciser où elle se situerait dans le premier quartier d’affaires d’Europe continentale, dont la saturation des transports en commun aux heures de pointe est largement admise. Selon l’institution, cela permettrait de tenir une mise en service en 2030.

« La construction de la seule future station de la Défense devrait demander, selon Thierry Dallard (le président de la SGP, Ndlr), pas moins de… « deux cent mois » de labeur : soit près de 17 ans […] ! Les élus et le préfet n’en sont pas revenus… », rapporte le Canard Enchaîné d’une réunion houleuse du conseil de surveillance de la SGP, en présence donc d’élus et du préfet d’Île-de-France, le mercredi 20 février dernier. Ces délais repousseraient la mise en service de la ligne 15 Ouest entre 2035 et 2040.

Sollicitée pour un commentaire par La Gazette, la SGP assure que « la Défense avait été présentée en janvier 2018 aux élus comme une zone à risque, nécessitant encore des investigations ».

« Les ingénieurs se sont surpassés. Ils ont imaginé creuser cette gare dans le sous-sol de l’immense centre commercial des 4 Temps », raille l’hebdomadaire. Il rappelle qu’il est inenvisageable de fermer le plus grand mall d’Europe sans verser de conséquentes indemnités à son propriétaire, Unibail-Rodamco-Westfield : « Les ouvriers vont donc devoir tout reprendre en sous-oeuvre, pilier par pilier et à la petite cuillère, en croisant les doigts pour que rien ne bouge. »

Sollicitée pour un commentaire par La Gazette, la SGP assure que « la Défense avait été présentée en janvier 2018 aux élus comme une zone à risque, nécessitant encore des investigations ». Alors, elle assure que des études sont « en cours pour étudier un certain nombre de variantes et de possibilités différentes pour essayer de réduire les délais de réalisation

La SGP annonce désormais envisager « par exemple » de « décaler la gare de quelques centaines de mètres ». Malgré le fait que les liaisons avec la ligne 1 du métro comme avec le RER A étaient jugées jusqu’à présent cruciales pour le quartier d’affaires ? « Il faudra bien sûr soigner l’interconnexion avec le RER A et la ligne 1 du métro, mais si cela coûte moins cher et prend moins de temps, c’est une option qu’il faudra considérer », répond-on à la SGP.

La SGP envisage de décaler la gare de plusieurs centaines de mètres, sans préciser où elle se situerait dans le quartier d’affaires dont la saturation des transports aux heures de pointe est largement admise.

« D’autres sites sont pourtant disponibles sous la dalle de la Défense », détaillait de son côté le Canard Enchaîné, rappelant au passage que « jusqu’à présent, leur faisabilité n’avait jamais vraiment été étudiée », avant de rapporter ironiquement les informations en sa possession concernant la réunion du 20 février : « Une curiosité que Dallard a eu du mal à expliquer à son conseil de surveillance. »

A l’appui de ses nouvelles hypothèses de travail, la SGP met en avant le choix de confier « la conception et la réalisation des tronçons Est et Ouest de la ligne 15 directement à un groupement d’entreprises, plutôt que de concevoir d’abord le projet avec un maître-d’œuvre, puis de lancer les appels d’offres permettant de choisir dans un second temps les entreprises réalisant les travaux ».

L’institution indique que cette méthode, « utilisée partout dans le monde », a pour avantage majeur de « mieux gérer les risques ». Conséquence ? Si un autre emplacement permettant de construire la gare en moins d’une décennie est finalement validé, cela « permettra de garder l’objectif de 2030 pour ces deux tronçons ».

La SGP oublie cependant de préciser que les estimations financières du projet l’ont été avant de décider de changer de méthode de gestion des travaux des futurs contrats avec les géants du BTP capables de tels chantiers. « Le bâtiment n’étant pas une œuvre de bienfaisance, les devis risquent d’être sacrément gonflés au départ, afin de parer à tous les pépins possible », pointe le Canard Enchaîné qui rapporte cependant que « Dallard assure pourtant que cette procédure peut être bénéficiaire ».

Les péripéties financières et chronologiques de la ligne 15 Ouest et de sa gare sous la Défense ne sont donc probablement pas terminées. De nombreux élus sont d’ores et déjà furieux, à l’instar de Julien Sage (EELV), conseiller municipal de la mairie de Nanterre dont il était jusqu’à l’été 2018 l’adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement. Il annonce la création d’un collectif citoyen et d’un groupe Facebook destinés à « obtenir des réponses quant au nouveau calendrier et surtout d’anticiper les problèmes que le retard de livraison va nécessairement générer », notamment vis-à-vis de « toutes les constructions en cours » dans le secteur.

Le supermétro et la ligne 15 Ouest en dates

2010
Débat public autour du choix du tracé, qu’il soit gouvernemental, de 130 km, ou celui du conseil régional (nommé Arc express, Ndlr), de 60 km. Le budget est estimé entre 21,4 et 23,5 milliards d’euros. Une mise en service est espérée pour 2023.

2011
Le tracé est dévoilé suite à un accord « historique » entre la Région et le gouvernement. Il est une reprise dans sa majeure partie du projet Arc express. Le futur métro en rocade est baptisé Grand Paris express, il comprend 57 nouvelles gares contre 42 initialement. La facture globale est alors estimée à 32,4 milliards d’euros, et de premières mises en service partielles annoncées pour 2018.

« Le quartier d’affaires de La Défense sera finalement doté d’une gare traversante malgré les énormes difficultés techniques qu’il faudra surmonter pour y parvenir », s’inquiète déjà l’Express qui précise que « cette option était défendue bec et ongles par le conseil général des Hauts-de-Seine ».

2012
Un rapport dévoilé en décembre confirme une facture s’élevant à environ 30 milliards d’euros. « Cette nouvelle évaluation des coûts du projet conduit Pascal Auzannet, qui fut notamment un dirigeant de la RATP, à envisager trois scénarios pour la réalisation des travaux, assure en décembre l’AFP. Le plus réaliste conduirait à un étalement des travaux jusqu’à 2030. »

2013
Le gouvernement décide en mars du tracé définitif, réunissant amélioration de l’existant et la création de quatre nouvelles lignes, avec 72 gares supplémentaires. Le plan de financement de ce « supermétro » (le choix de trains RER de plus grande capacité est abandonné pour des raisons de coût, Ndlr) est toujours établi à une trentaine de milliards d’euros. « Officiellement, tout sera fini en 2030 », rapporte à l’époque Libération.

2018
Le premier ministre annonce cinq ans de retard pour la mise en service de la ligne 15 Ouest (diverses autres lignes avaient vu leurs dates de mise en service repoussées les années précédentes, Ndlr). Elle est désormais prévue non pour 2025, mais pour 2030, pour des raisons techniques comme budgétaires. Le calendrier « définitif » prévoit toujours une mise en fonction dans sa totalité des 205 km du Grand Paris express en 2030.

La facture est désormais estimée à 35 milliards d’euros. Alstom décroche le contrat de fourniture de trains, avec 183 rames pour un tarif total de 1,3 milliard d’euros. « Nous tiendrons la date de 2030 pour la construction du supermétro », affirme dans Le Parisien Patrick Braouzec, ex-président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis devenu en septembre le président du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris.

« Aujourd’hui proche de la saturation, le réseau de transport a pris un grand bol d’air grâce au supermétro et les salariés respirent », rapporte le quotidien francilien quelques semaines après dans un reportage consacré spécifiquement à la Défense.

2019
Le premier ministre demande à Thierry Dallard, nominé président de la SGP en avril 2018, de réduire la facture de 10 %. Thierry Dallard propose d’économiser 2,6 milliards d’euros, notamment en supprimant l’interopérabilité des deux branches de la ligne 15, et de raboter ou retarder la ligne 18. Son plan d’optimisation est dévoilé début 2019, les élus franciliens protestent avec virulence.

CREDIT PHOTO : SOCIETE DU GRAND PARIS

Mise à jour, 6 mars 2019 : Contrairement à ce qui était initialement indiqué, Julien Sage est conseiller municipal de la mairie de Nanterre et non adjoint à l’urbanisme, fonction qu’il a abandonnée l’an dernier.